Par Cyrille Bricout
Le 7 novembre, un projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2018 était présenté en conseil des ministres. Contrairement à l’usage, intégré à la loi de programmation militaire (LPM) actuelle, qui veut que les surcoûts liés aux opérations extérieures (Opex) et intérieures (MISSINT) soient pris en charge par un financement interministériel, ce projet laisse à la charge du ministère des Armées le financement de ces surcoûts.
Le surcoût des Opex pour 2018 est estimé à 1,37 milliard d’euros, dont 790 millions ont été provisionnés. Le reste, soit 580 millions, ne sera donc pas pris en charge par la solidarité interministérielle comme cela était initialement prévu. Pour y faire face, le ministère a mentionné des sommes immédiatement disponibles, notamment 155 millions d’euros de masse salariale en définitive non utilisés, pour cause de départs d’effectifs plus nombreux que prévus, en particulier chez les sous-officiers. Notons que lors de son audition par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale le 26 septembre dernier, le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Jean-Pierre Bosser, faisait état d’un « fort déficit [d’effectifs] chez les officiers et les sous-officiers ».
Ce sont en définitive 404,2 millions d’euros que le ministère des Armées doit encore, en urgence, puiser dans ses crédits. Les postes auxquels ils étaient initialement alloués en seront par définition amputés : ainsi, 319 millions d’euros seront retirés au programme 146 « Équipement des forces ».
Cette annonce a provoqué l’indignation de nombreux parlementaires, en particulier au sein du parti Les Républicains, mais également dans les rangs de La France Insoumise. Chacun des deux groupes à l’Assemblée Nationale a respectivement déposé un amendement au PLFR, dans le sens d’un retour du financement des surcoûts liés aux Opex par les crédits interministériels.
Au Sénat, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a également réagi : « Je pense à nos armées ; la déception doit être grande, au seuil de l’entrée dans la nouvelle LPM, qui a généré tant d’espoirs, et qui se trouve d’emblée fragilisée », a ainsi déploré Christian Cambon, président de la commission.
En octobre 2016, un rapport de la Cour des comptes passait au crible le système de financement des surcoûts liés aux Opex par la solidarité interministérielle, déplorant qu’il « évite d’avoir à formuler de façon transparente, au moment de la construction de la loi de finances initiale, la réalité des contraintes financières liées à la conduite des OPEX ». Il concluait : « [Ce système] ne permet pas au Parlement de disposer des éléments d’appréciation utiles pour le débat budgétaire. Le budget de la défense doit refléter de manière réaliste et sincère la charge que représente les OPEX sur la nation ».
Si la justification du PLFR par le Gouvernement s’inscrit dans la droite ligne de cette conclusion, amputer les crédits du ministère apparaît aux yeux du public et des commissions parlementaires spécialisées contre-productif : l’engagement intensif des armées françaises à l’intérieur et à l’extérieur du pays, et les contraintes budgétaires afférentes, sont des sujets qui suscitent bien plus d’intérêt qu’il y a encore quelques années. La LPM 2019-2025 faisait montre d’une prise en compte volontaire et réaliste des besoins des armées – à la hauteur de l’intensité de leurs engagements. Par contraste, le contenu du PLFR renvoie davantage au contexte qui a poussé à la démission le général Pierre de Villiers, alors chef d’état-major des Armées, en juillet 2017.