Par François-Xavier Le Quintrec
La visite du Président de la République en Inde, qui s’est achevée lundi 12 mars après trois jours sur place, a permis la signature d’un accord de coopération logistique ouvrant des bases françaises à la marine indienne et des bases indiennes à la Marine Nationale. On peut lire, sur le site de l’Elysée, la déclaration conjointe des deux dirigeants, français et indien, se félicitant de cet accord “emblématique de la profondeur et de la maturité stratégiques de la relation entre la France et l’Inde en matière de défense”[i]. (Déclaration conjointe).
La coopération de défense à l’ordre du jour de cette visite d’Etat
Les questions de défense ont fortement marqué cette visite d’Etat très attendue en Inde, où les autorités gouvernementales et militaires des deux pays ont pu s’accorder sur la nécessité d’intensifier l’échange d’informations classifiées et protégées, d’organiser une rencontre annuelle sur la coopération de défense entre les deux pays et d’assurer ensemble la sécurité maritime des voies commerciales de navigation. Emmanuel Macron et Narendra Modi se sont en outre félicités des échanges fréquents entre les forces françaises et indiennes. A titre d’exemple, on a pu observer ces derniers temps, dans la continuité d’une dynamique initiée dès la fin des années 1990, l’organisation d’exercices militaires franco-indiens de grande ampleur qui révèlent le souci des deux états-majors d’accroître l’interopérabilité des deux armées. Ces derniers mois par exemple, l’exercice naval Varuna mené en France en avril 2017[ii] a mobilisé 4 frégates indiennes et 4 frégates françaises ainsi que des moyens aéronavals. L’exercice terrestre Shakti mené en France en janvier 2018[iii], a quant à lui permis aux militaires du 8ème régiment de Gurkhas et du 1er bataillon français de chasseurs de partager leurs savoir-faire[iv].
En parallèle de ces déclarations très institutionnelles, la délégation française a saisi l’opportunité de cette visite de haut niveau pour appuyer le développement de partenariats industriels franco-indiens déjà marqués par deux grands contrats : celui des sous-marins Scorpene de Naval Group et fabriqués en Inde par le chantier naval Mazagon Dock Ltd. et de l’avion de combat Rafale dont le premier exemplaire devrait être livré en 2019. Dans les deux cas, les industriels français impliqués avaient su se différencier de la concurrence en jouant le jeu du Make in India. Cette politique officielle, chère à Narendra Modi, vise la constitution d’une véritable BITD (base industrielle et technologique de défense) indienne en favorisant les transferts de savoir-faire et les investissements étrangers par la coproduction et le développement de programmes communs avec des partenaires internationaux[v].
C’est dans ce cadre que le Président de la République et le Premier Ministre de la République d’Inde ont salué les discussions en cours entre Safran et le DRDO (Defence Research and Development Organisation) sur un moteur destiné aux avions de combat. Ils espèrent que ces négociations déboucheront sur un nouveau domaine de collaboration franco-indienne.
Le dossier Rafale figurait aussi à l’ordre du jour des échanges franco-indiens. En plus du contrat signé le 23 septembre 2016 portant sur l’acquisition par l’Inde de 36 Rafales, Paris espère convaincre New Delhi d’acquérir des Rafale supplémentaires si les premiers exemplaires livrés donnent satisfaction. Lors d’une audition à l’Assemblée Nationale, le PDG de Dassault Aviation faisait part de son souhait de vendre davantage de Rafale, notamment dans une version « marine » et insistait sur « les gros besoin en avions de combat »[vi] de l’Inde. La marine indienne souhaite en effet acquérir 57 bimoteurs et a lancé depuis janvier 2017 un appel à propositions dans le cadre du programme Multi Role Carrier Borne Fighters[vii]. L’Inde souhaite, à terme, se doter de trois porte-avions dans des configurations CATOBAR et STOBAR[viii] s’affirmant ainsi comme une puissance maritime de premier plan.
Approfondir les relations franco-indiennes : un enjeu stratégique pour la France
L’armée indienne est la troisième du monde par ses effectifs et la quatrième en terme de puissance selon les conclusions du Think Tank Global Firepower[ix], qui prend en compte une cinquantaine de critères pour établir son classement. Sa montée en puissance est continue depuis l’indépendance du pays ; elle est non seulement corrélée à l’évolution des menaces qui pèsent plus ou moins immédiatement sur sa défense et sa sécurité mais aussi alimentée par sa volonté de jouer un rôle majeur sur la scène diplomatique et militaire internationale dans les prochaines années. Selon la revue américaine The National Interest[x], l’Inde aura, d’ici 2030, rattrapé tout retard technologique qu’elle aurait pu avoir jusque là et disposera, à tous points de vue, d’un outil militaire de premier rang et pleinement compétent. L’Inde s’impose progressivement comme un acteur incontournable dans le domaine militaire, notamment pour la France qui opère progressivement un virage stratégique en s’intéressant de plus en plus à cette région.
Dès 2016, un rapport sur « la France et la sécurité en Asie-Pacifique », publié par le ministère français de la défense décrivait l’Asie comme « le principal foyer de croissance du monde, mais aussi comme l’une des régions où les risques de tensions et de conflits sont les plus élevés » et insistait sur « la modernisation accélérée des appareils de défense et de sécurité, la persistance de tensions inter-étatiques et l’accroissement des risques et menaces globales »[xi] dans cette région du monde. La France, consciente de ce changement de paradigme a effectué une réorientation stratégique autour de la région indopacifique dont l’Inde constitue un pôle majeur. Depuis les années 1990, la France a signé plusieurs partenariats stratégiques dans la zone : avec le Japon en 1995 – partenariat qui fut élevé au niveau ministériel en 2012, avec la Chine (1997), l’Inde (1998), l’Indonésie (2011), l’Australie (2012), Singapour (2012) et le Vietnam (2013).
La France et l’Inde partagent plusieurs préoccupations communes, parmi lesquelles figurent le terrorisme, les ambitions chinoises ou la sécurité des voies de navigation. Les deux pays ont d’ores et déjà établi des axes de collaboration pour le partage de leurs compétences dans quelques domaines très spécifiques. Entre autres exemples, le GIGN et le NSG ont largement développé leur coopération au prix de l’interruption des échanges entre la Gendarmerie Nationale et les forces pakistanaises de contre-terrorisme[xii].
La diplomatie des mers : un axe structurant de la diplomatie française en Asie
Dans ce recentrage opéré vers la zone indopacifique, dont le rapprochement avec l’Inde est un signe majeur, l’axe maritime semble être l’approche privilégiée par la France. L’accord de coopération logistique signé entre les deux pays prévoit, du côté français, d’ouvrir les bases de la Réunion, des Emirats Arabes Unis et de Djibouti à la marine indienne avec le souci évident de contrebalancer, à l’échelle régionale, l’influence grandissante de la Chine.
La France est le seul pays européen à disposer d’une présence navale permanente en Asie-Pacifique, présence qui s’accentuera progressivement. La Frégate de classe Floréal, basée à Nouméa, effectue actuellement une mission de trois mois, impliquant notamment des escales au Japon, à Hong-Kong, aux Philippines, et la participation à des manœuvres avec les marines des pays visités.
Autre signe de cette diplomatie des mers, la mission Jeanne d’Arc du Groupe Ecole d’Application des Officiers de Marine (GEAOM), se concentrera en 2018, pour la quatrième année consécutive, sur la zone indopacifique[xiii]. Cette année encore, le groupe Jeanne d’Arc effectuera une escale en Inde, occasion privilégiée pour présenter aux futurs officiers de la royale l’allié indien.
La relation franco-indienne en matière militaire semble donc à l’image de cet arbre planté par le Commandant de la FREMM Auvergne à Karwar en octobre 2017 lors de la première escale réalisée par un pavillon étranger sur cette base navale indienne[xiv] à savoir celle d’une collaboration déjà fructueuse et qui promet de porter encore davantage de fruits.
Sources :
[i] http://www.elysee.fr/conferences-de-presse/article/transcription-de-la-declaration-conjointe-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-et-de-narendra-modi-premier-ministre-de-la-republique-d-inde-a-new-delhi/
[ii] https://in.ambafrance.org/Exercice-Varuna-2017-au-large-des-cotes-francaises-avec-la-Marine-indienne
[iii] https://in.ambafrance.org/Exercice-conjoint-Shakti-2018-en-France
[iv] https://in.ambafrance.org/Exercice-conjoint-Shakti-2018-en-France
[v] http://www.makeinindia.com/sector/defence-manufacturing
[vi] http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/17-18/c1718046.asp
[vii] http://www.opex360.com/2017/01/27/la-marine-indienne-veut-acquerir-57-chasseurs-embarques/
[viii] http://nationalinterest.org/feature/the-5-most-powerful-navies-2030-16723?page=2
[ix] https://www.globalfirepower.com/countries-listing.asp
[x] http://nationalinterest.org/blog/the-buzz/ranked-5-most-powerful-armies-the-planet-2030-22386
[xi] https://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/enjeux-regionaux/la-france-presente-sa-politique-de-defense-en-asie-pacifique
[xii] https://www.intelligenceonline.fr/renseignement-d-etat/2016/02/17/le-gign-retourne-ses-alliances,108130450-gra