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Manifestations en Guinée : l’opposition muselée ?
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Par Baudouin Aubert

 

Mamady Doumbouya, le chef de la junte guinéenne, a fait face au début du mois de mai à des manifestations qui ont paralysé Conakry. Ces manifestations, lancées par les Forces vives de Guinées (FVG), sont la réunion de partis politiques et de coalitions de la vie civile qui demandent la libération de détenus politiques, la levée de l’interdiction de manifester, la fin du contrôle judiciaire de leur leader et plus d’inclusion de leurs revendications dans le dialogue avec les militaires censés permettre un « retour à l’ordre constitutionnel »[1]. Les quartiers de Kobaya, Wanindara, Bambéto, Kosa, Simantra, traditionnellement contestataires du pouvoir, ont connu une mobilisation de la jeunesse de la capitale[2]. Les FVG avaient appelé les Forces de défense et de sécurité, et le reste des forces armées guinéennes à se désolidariser du gouvernement de Mamady Doumbouya.

 

Le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) a été proclamé le 5 septembre 2021 à la suite du coup d’État mené contre le président Alpha Condé. Cette junte, menée par Mamady Doumbouya, a annoncé dans la foulée la suspension de la Constitution, la dissolution du gouvernement et des institutions ainsi que la fermeture des frontières. Le gouvernement de transition s’est chargé, sous l’autorité de son chef, de la rédaction de la nouvelle Constitution. Sous la menace de sanctions de la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest (CEDEAO), les militaires ont accepté de rendre le pouvoir aux civils au bout de deux ans à compter du 1 janvier 2023[3]. Cependant, les exigences de la CEDEAO n’ont pas été respectées selon l’opposition, et la  « refondation » de l’État guinéen promise par la junte n’est précédée d’aucun signe d’amélioration.

 

Dans un communiqué du 11 mai 2023, les organisateurs de la manifestation faisaient état de 56 interpellations, 32 blessés par balles dont 13 cas graves, et de 7 morts sur la seule journée du 10 mai. Les FVG ont par ailleurs dénoncé des opérations punitives menées par des contre-manifestants armés de machettes et d’armes de guerre, soutenus par les Forces de défense et de sécurité (FDS). Ce communiqué appelait à manifester à nouveau les 17, 18, 24 et 25 mai 2023 [4]. Le porte-parole du gouvernement (aussi Ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique) Ousmane Gaoual Diallo a rapporté, au lendemain des manifestations, que le président Doumbouya et son Premier ministre Bernard Goumou déplorent les victimes et les dégâts causés lors de la journée du 10 mai. Toutefois, toujours selon le porte-parole de la junte, ce sont les FVG qui sont responsables de l’échec de cette journée de mobilisation[5].

 

Malgré cette dénonciation, le bilan du 10 mai et la médiation des chefs religieux ont permis la libération de responsables du Front de libération pour la défense de la Constitution (FNDC), Oumar Sylla, Ibrahim Diallo et Mamadou Billo Bah, des activistes des FVG incarcérés depuis janvier 2023 [6]. La veille de la manifestation, les responsables religieux guinéens en charge des négociations entre le gouvernement et les différents groupes d’opposition, réunis autour du grand imam de la mosquée Fayçal et de l’Archevêque de Conakry, avaient communiqué que les négociateurs  s’étaient accordées sur la priorité de mettre fin le plus vite au contrôle judiciaire des forces vives et à accorder la liberté conditionnelle à quatre anciens dignitaires[7].

 

En Guinée, le FNDC a organisé des manifestations depuis 2019, afin de dénoncer la confiscation du pouvoir par les dirigeants successifs au détriment de la Constitution. Ils se sont opposés au troisième mandat du président Alpha Condé, puis au Conseil national du rassemblement pour le développement (CNRD). C’est ce même front qui dirige la coalition des Forces vives de Guinée (FVG). En somme, les manifestants réclament des actes qui iraient dans le sens du retour au pouvoir des civils, prévu par le chronogramme imposé par la CEDEAO.

 

Ces manifestations sont représentatives des aspirations d’une grande partie de la société guinéenne[8] qui s’impatiente de l’incapacité du pouvoir militaire à assumer le programme de transition. En effet, si le gouvernement n’a pas totalement fermé l’espace de dialogue démocratique en favorisant la médiation religieuse, beaucoup de guinéens favorables il y a deux ans à Mamady Doumbouya l’accusent aujourd’hui de confiscation autoritaire du pouvoir, sans contreparties politiques et sans transparence sur l’agenda de transition. Ces reproches expliquent la rupture du dialogue entre l’opposition et le gouvernement depuis le début de cette année : après l’annonce par l’opposition d’une manifestation le 9 mars 2023, la négociation proposée par la junte s’était vue refusée par les acteurs sociaux[9].

 

Le porte-parole du gouvernement défend au contraire un bilan positif, et assure que l’administration guinéenne est très largement dépolitisée[10]. Dans un entretien donné à RFI en mars dernier, Ousmane Gaoual Diallo affirmait que la transition suit son cours et que la justice n’est pas instrumentalisée contre l’opposition : «Toutes les dispositions sont prises pour que la justice puisse travailler dans la sérénité et rapidement pour juger ces personnes qui sont incriminées»[11]. Le colonel Doumbouya affirme dès qu’on lui en donne l’occasion que « ni lui, ni aucun responsable de la transition ne seront candidats aux prochaines élections »[12]. Les manifestations des Conakrykas témoignent d’une prise de conscience avisée du risque que représente un pouvoir de transition militaire. Cette prise de conscience s’est faite entre autres raisons pour ce que sont devenues les juntes malienne et burkinabè.

 

L’annonce des manifestations des 17 et 18 mai a entraîné la réaction du gouvernement, qui a mobilisé l’armée dans la capitale. Ce déploiement a enrayé toute manifestation à Conakry ce mercredi. Malgré la réussite de ce maintien de l’ordre, le bilan humain des manifestations du 10 mai montre que le calendrier imposé par la CEDEAO n’empêche pas la junte guinéenne d’affermir son autorité  en confisquant progressivement le pouvoir, comme en témoigne l’important dispositif  mis en place pour endiguer les manifestations. En plus de la mobilisation de la Marine, de l’armée de l’Air, de la gendarmerie, et de plusieurs autres unités d’intervention et de maintien de l’ordre, l’organisation de surveillance pour la liberté sur internet NetBlocks a révélé par l’intermédiaire de son compte twitter que les principaux réseaux sociaux utilisés en Guinée ont connus des restrictions ce mercredi[13]. L’échec de la manifestation est d’autant plus important que les FVG ont annulé dans la foulée la manifestation qui devait se tenir ce vendredi 18 mai, afin que les chrétiens puissent célébrer la fête de l’Ascension[14].

 


[1] Christian Eboulé, « Guinée : une fin de transition en dix étapes et de nombreuses interrogations », TV5 Monde, 18/04/22.

[2] Laure de Matos, « Manifestation meurtrière en Guinée », TV5 Monde, 11/05/23.

[3] « En Guinée, la junte accepte de rendre le pouvoir aux civils dans deux ans », Le Monde (avec AFP), 22/10/22.

[4] COMMUNIQUÉ DES FORCES VIVES DE GUINÉE (FVG) SUR LES JOURNEES DE MANIFESTATIONS DES 10 ET 11 MAI 2023.

[5] Abdoulaye Bella Diallo, « Manif du 10 mai : le gouvernement déplore les victimes et fustige le comportement des forces vives », Vision Guinée, 11/05/22.

[6] Le Monde avec AFP, « En Guinée, libération de trois figures de la société civile après une violente manifestation », 11/05/23.

[7] Bob Barry, « Les forces vives de Guinée appellent à manifester à Conakry », Deutsche Welle, 09/05/23.

[8] Entretien de Kabinet Fofana par Nadia Bouchenna« Qui sont les Forces Vives de Guinée, qui s’opposent à la junte militaire ? », TV5 Monde, 16/05/23.

[9] « Guinée: la junte appelle au dialogue, l’opposition refuse », Le Monde (avec AFP), 28/02/2023.

[10] Meriem Amellal, « Guinée : l’espoir laisse place à une frustration grandissante un an après le coup d’État », France 24, 05/09/22.

[11] Entretien pour RFI “Ousmane Gaoual Diallo, ministre guinéen: Le président Doumbouya ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle», 20/03/23.

[12] « Guinée: la junte s’offusque que les USA décomptent son temps restant », Le Figaro (avec AFP), 03/04/23.

[13] https://twitter.com/netblocks/status/1658910869940576261.

[14] Communiqué du comité d’organisation des manifestations pacifiques et citoyennes des forces vives de Guinée  – Bilan provisoire, 17/05/23.

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