La présence actuelle de la Russie au Mali est principalement développée par des acteurs non officiels, permettant à Moscou de ne pas intervenir directement dans les affaires du pays. Les opérations du groupe Wagner dans le champ informationnel servent deux objectifs complémentaires : légitimer son action dans les pays où il est implanté et contribuer à évincer la communauté internationale des pays concernés.
Pour ce premier objectif, le soutien informationnel à la Russie sert à forger des représentations favorables aux paramilitaires de Wagner, approuver leurs actions par des moyens médiatiques et culturels, établir des liens avec des partisans locaux potentiels et, à plus grande échelle, légitimer la coopération russo-malienne et discréditer ses critiques. Après l’arrivée au pouvoir du colonel Assimi Goita, le groupe Wagner a su tirer profit d’un contexte favorable à l’arrivée des mercenaires. Il a pu se reposer sur une défiance de plus en plus forte d’une part de la population malienne envers la présence militaire française, et sur la nécessité pour la junte d’avoir une garde rapprochée, la junte fondant elle-même sa légitimité sur le rejet de la France. Pour évincer les acteurs occidentaux du pays, les mercenaires russes ont multiplié les opérations de communication en Afrique, saisissant l’opportunité laissée par le retrait de l’opération Barkhane en tirant parti des opinions négatives des Maliens au sujet de l’opération militaire, notamment grâce à la mobilisation de discours anticolonialistes.
Des campagnes de désinformation ont été menées avec succès : selon un rapport du Digital Forensic Research Lab, la Russie gagnerait des opinions favorables auprès des populations locales en étant présentée comme un « partenaire viable » et « une alternative à l’Occident » par un réseau coordonné de pages Facebook au Mali, relayées par les médias locaux dans les mois qui ont précédé l’arrivée de Wagner au Mali. Des opérations ont été réalisées par le biais d’opérations d’influence contre la France et de campagnes pro-Junte sur les réseaux sociaux, à l’instar de la publication sur les réseaux sociaux de la mise en scène d’un charnier près de la base de Gossi accompagnée d’accusations des militaires français d’exactions au Mali. Ces accusations ont toutefois été démenties grâce à des vidéos capturées par drone montrant les membres du groupe préparer l’opération de communication.
De manière significative, la quantité de contenus consacrés au Mali par Federal’noye Agenstvo Novostey, fleuron de Patriot Media Group, un conglomérat appartenant à Prigojine, sert de caisse de résonance pour des activités liées au réseau de Prigojine. Depuis l’arrivée des mercenaires russes fin décembre, et dans le contexte d’une crise diplomatique majeure entre Paris et Bamako et du retrait de l’armée française du pays, la Federal’noye Agenstvo Novostey publie chaque semaine plusieurs dizaines d’articles sur le Mali. Les opérations de désinformation se manifestent également via des sondages tronqués ou orientés en faveur de l’influence russe : la protection des valeurs nationales (FZNC), un groupe de réflexion russe financé par Prigojine et sanctionné par les États-Unis a publié le 28 septembre 2022 un sondage sur la situation politico-sécuritaire du Mali, réalisé auprès d’un millier de Maliens, probablement choisis pour leur tendance pro-russe, afin de démontrer une perception négative de l’opération Barkhane au profit du groupe Wagner.
Le groupe codifie aussi son espace informationnel sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse du slogan « le revers de la médaille » ou de métaphores tirées du registre musical . Le groupe se compare en effet à un orchestre, décrit ses opérations comme des symphonies et ses armes comme des instruments. Pourtant, l’empreinte numérique du groupe Wagner est difficilement détectable : il ne dispose d’aucun site internet ni de compte officiel sur les réseaux sociaux. Les métaphores musicales serviraient en fait à contourner la modération des réseaux sociaux en associant des légendes codifiées à des clichés de contextes militaires explicites sur Telegram, Twitter et TikTok auprès de groupes d’internautes antifrançais.
Enfin, Wagner normalise sa présence au Mali à travers la multiplication de symboles au quotidien, comme l’illustre l’impression et la distribution aux populations africaines de tee-shirts brodés de messages de propagande pro-russe par un des principaux protagonistes et organisateurs de l’implantation de Wagner au Mali. En Centrafrique, ces vêtements ont même été distribués au centre de formation de la gendarmerie de Bangui.
La population malienne semble être exposée à une guerre informationnelle croissante. Les liens importants entre le groupe Wagner et certains relais locaux ou radios, média le plus important au Mali, posent la question de l’indépendance éditoriale des médias. Les acteurs russes liés à Wagner pourraient également reproduire des pratiques d’externalisation d’autres types d’opérations d’information déjà observées dans d’autres pays africains. Par exemple, en 2020, une branche de l’Internet Research Agency (IRA), l’« usine à trolls » parrainée par Prigojine à Saint-Pétersbourg, a été incorporée dans une ONG de la banlieue d’Accra au Ghana. Par ailleurs, le vice-ministre Alexeï Voline a déclaré à Sotchi que les deux médias, ainsi que Tass, étaient prêts à former des journalistes africains, soit à Moscou, soit directement dans les pays africains intéressés par ce type de coopération. La Russie a d’ailleurs déjà organisé plusieurs sessions de formation depuis 2020 avec des journalistes de Côte d’Ivoire, du Congo, du Kenya, du Mali et du Zimbabwe.
Sources :
Dr. Maxime Audinet et Dr. Emmanuel Dreyfus, “A FOREIGN POLICY BY PROXIES? THE TWO SIDES OF RUSSIA’S PRESENCE IN MALI” , IRSEM, 09/23
Benjamin Roger; “The Wagner wars: Malian edition”, The Africa Report, 06/01/23
Damien Glez, “Mali : entre Barkhane et Wagner, la guerre de communication fait rage”, World Vision
“Au Mali, le groupe Wagner lance une campagne sur les réseaux sociaux” Radio France, 07/12/21
Maxime Audinet et Kevin Limonier, “Le dispositif d’influence informationnelle de la Russie en Afrique subsaharienne francophone : un écosystème flexible et composite”, Questions de Communication
ALL EYES ON WAGNER – “Monitoring Wagner’s activities across the globe”