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Vers une aide militaire chinoise à la Russie ?
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En adéquation avec l’annonce d’une « amitié sans limites » lors du sommet sino-russe de février 2022, le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, a évoqué en mars 2023 la relation sino-russe en la caractérisant de ”confiance stratégique et le bon voisinage, donnant un bon exemple pour un nouveau type de relations internationales” ; tout en dépeignant les Etats-Unis et leurs alliés comme une source de tension et de conflit1. Si cette alliance est qualifiée de « gagnant-gagnant » par les deux pays, la Russie est pourtant bien la partie faible de cette union. Depuis le début du conflit russo-ukrainien, la dépendance géopolitique et économique de Moscou, dont l’économie n’égale qu’un dixième celle de son voisin, est plus grande que jamais à l’égard de Pékin.

Sur bien des aspects, le conflit russo-ukrainien offre de nombreuses opportunités à la Chine. Tout d’abord, sur l’aspect économique de leur relation : bénéficiant de la fermeture d’un certain nombre des débouchés du commerce russe en raison des sanctions occidentales, la Chine a pu multiplier ses importations depuis la Russie, et ce à moindre coûts. Les avantages sont par ailleurs aussi stratégiques, puisque le conflit détourne, pour un temps et partiellement, l’attention et les efforts américains de leur rivalité stratégique avec la Chine et permet à celle-ci de préparer sa potentielle intervention militaire à Taïwan. Enfin, d’un point de vue géopolitique, le conflit maintient la Russie dans une situation d’infériorité à l’égard de Pékin, l’obligeant à tourner le regard vers l’est. À l’exportation, les entreprises chinoises sont désormais indispensables pour permettre à l’économie russe de fonctionner. Les marques chinoises occupent déjà plus de 30 % du marché automobile russe contre 3,5 % en 2020. 2

Il est dans l’intérêt de Pékin de conserver ce lien d’affinité avec la Russie, autre puissance du Conseil de sécurité de l’ONU, qui soutient les intérêts fondamentaux de la Chine. En effet, à l’inverse des autres membres du Conseil, Moscou accepte le système politique autoritaire chinois et ne s’oppose pas aux revendications territoriales de la Chine, notamment sur Taïwan. La Russie a même rejoint la Chine dans un exercice naval en mer de Chine méridionale en 2016 après qu’un tribunal international a soutenu les Philippines contre les revendications chinoises en mer de Chine méridionale. En ce sens, la diplomatie russe participe à la construction d’une politique mondiale de la Chine au détriment de l’influence occidentale tout en renforçant la montée en puissance de l’armée chinoise grâce à des ventes d’armes et à des exercices militaires conjoints. La Russie aide également la Chine à répondre à d’importants besoins économiques et énergétiques – alors que le pays est en situation de dépendance énergétique depuis les années 2000.

Pour autant, à l’inverse des cas iranien et nord-coréen, la Chine s’est abstenue, pour l’instant, de passer le seuil de l’aide militaire par crainte de perdre l’accès aux marchés européens et nord-américains, alors que son économie a considérablement fléchi à cause de la crise sanitaire, et que son image a déjà subi de graves dommages en Occident à cause de son association avec l’agresseur russe. Il est à noter que les échanges commerciaux de la Chine avec les pays occidentaux sont bien plus importants que ceux avec la Russie. Pékin est ainsi confrontée à un dilemme cornélien : l’autarcie pour réduire la dépendance à l’égard de l’Occident et renforcer son alliance avec la Russie ou, au contraire, rester ouverte aux échanges avec l’Ouest ? Le défi consiste à trouver une voie alternative qui permette à la Chine de maintenir des relations stables avec la Russie, tout en préservant sa position centrale dans l’économie mondiale.

Selon la presse chinoise, plusieurs mesures “douces” permettraient à Pékin d’aider Moscou sans lui fournir d’aide létale. La première manière concerne le champ informationnel. Les informations sur l’Ukraine sont censurées par les médias officiels chinois qui diffusent aux 1,4 milliard de Chinois de la désinformation en faveur de la Russie. La chaîne de télévision officielle CCTV va jusqu’à affirmer que les États-Unis ont financé un programme ukrainien de production d’armes biologiques. Ensuite, la Chine aide la Russie sur le plan économique en stimulant le commerce sino-russe, ce qui minimise l’effet des sanctions occidentales. Par ailleurs, la Chine peut envoyer du matériel de protection à la Russie, tel que des gilets pare-balle, des casques, des vêtements de protection, des rations de combat, ou encore de l’aide humanitaire. La Chine peut également fournir à la Russie des biens à double-usage, tels que des drones civils pour la surveillance. Enfin, elle peut s’abstenir de voter des mesures qui ne sont pas favorables à la Russie. Elle a ainsi bloqué à l’ONU l’ouverture d’une enquête sur les crimes de guerre en Ukraine.

Cependant, cette approche ostensiblement neutre est difficile à maintenir alors que la guerre se transforme en un conflit plus large entre la Russie et l’Occident. La Chine, qui ne veut pas être isolée dans sa confrontation stratégique avec l’Amérique, pourrait se voir reprocher par le Kremlin de ne pas avoir fourni d’aide tangible en cas de défaite russe, ce qui mettrait la relation sino-russe à rude épreuve.

En ce sens, le vendredi 24 février, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a publiquement déclaré que Pékin envisageait de livrer à Moscou armes létales, plus d’un an après l’invasion de l’Ukraine3. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel affirme par ailleurs qu’une entreprise chinoise envisage de produire des drones kamikazes pour l’armée russe en vue d’une possible utilisation pour frapper des cibles en Ukraine. Des négociations auraient été entamées entre les responsables militaires de Moscou et le fabricant chinois de drones Xi’an Bingo Intelligent Aviation Technology. Les États-Unis ont clairement fait savoir à la Chine que des livraisons d’armes à la Russie auraient de « sérieuses conséquences ».4

Cet engagement renforcé de la Chine en faveur de la Russie isolerait davantage Pékin de l’Occident et intensifierait la confrontation sino-américaine. Pékin pourrait alors renforcer ses échanges avec les pays du Sud. En ce sens, la diplomatie chinoise intensifie les messages destinés aux pays en développement, à l’instar du message de l’ambassade de Chine en France le 7 mars : « La modernisation brise le mythe de la « modernisation = occidentalisation » et constitue une source d’inspiration pour le monde, en particulier pour les pays en développement. ». Cette nouvelle direction de la Chine questionne sa volonté de changer les équilibres mondiaux qui tendent vers le retour à une logique de blocs.

1 : “Foreign Minister Qin Gang Meets the Press” , Ministry of Foreign Affairs, the People’s Republic of China 2023-03-07
2 : Hubert Testard, “Russie : le pivot vers l’Asie s’accélère” , Asialyst, 25/02/23
3  : Ukraine war: Blinken says China might give weapons to Russia”, BBC, 20/02/23
4  : US warns China against providing lethal aid for Russia’s war in Ukraine”, Arab news, 27/02/23

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