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De 2023 à 1923 ? : regards contemporains sur l’hyperinflation
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À l’approche de la nouvelle année 2023, la hausse des prix à la consommation concentre toutes les attentions. Plusieurs publications institutionnelles, résumées ici dans un premier temps, se penchent sur les causes globales de l’inflation.

La guerre de la Russie contre l’Ukraine et le renchérissement des ressources énergétiques et alimentaires sont les causes principales de l’inflation par les prix touchant les économies européennes. Réponse à la crise ukrainienne, « l’économie de guerre » invoquée par le président Emmanuel Macron dans la revue nationale stratégique, porte elle aussi la marque de l’inflation. Il en va de même pour les investissements publics dans la transition énergétique, dont les effets inflationnistes ne peuvent être éludés.

Parce qu’elle touche à la souveraineté du contrôle étatique sur la valeur de la monnaie, l’inflation élevée doit être surveillée de près par les décideurs. Une hyperinflation trahirait la défiance des investisseurs étrangers et des citoyens à l’égard de la monnaie comme de l’État qui en garantit la valeur. Nous évoquerons donc  dans un second temps l’hyperinflation de 1923 en Allemagne pour mettre en perspective, avec ceux d’hier, les enjeux de sécurité et de dépense publique d’aujourd’hui.

 

1. Linflation et le système financier international

Selon l’INSEE, l’inflation désigne la perte de pouvoir d’achat d’une monnaie, ce qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Ce phénomène qui frappe l’économie nationale dans son ensemble (ménages, entreprises) est mesuré par l’indice des prix à la consommation (IPC).

La définition de l’hyperinflation, aussi appelée inflation galopante, est quant à elle moins connue. Pour les économistes, le terme ne s’emploie qu’en cas d’inflation extrêmement élevée, lorsque le taux d’inflation mensuelle est supérieur à 50%. Selon le professeur Steve H. Hanke, de la John Hopkins University, l’hyperinflation est un phénomène rarissime : les États-Unis n’ont par exemple jamais connu de tel épisode, tandis que le Vénézuela y est confronté depuis une dizaine d’années (taux d’inflation à 200% pour l’année 2022). Force est de constater, pourtant, que le mot s’invite dans les esprits au terme d’une année marquée par une hausse soudaine et considérable des prix. La peur d’une inflation très élevée, plutôt que d’une hyperinflation au sens strict, est d’autant plus vive dans la zone euro que celle-ci est menacée  depuis 2014 par le spectre de la déflation. Or, il est à noter que cette baisse générale des prix n’a pas eu lieu, en dépit du moral en berne des ménages et des entreprises, et qu’en 2021 déjà la zone euro connaissait une hausse générale des prix de l’ordre de 5% selon Eurostat.

 

Selon une note d’Eurostat datant du 17 novembre dernier, le taux d’inflation annuel de la zone euro s’est établi à 10,6% en octobre. La France (7,1%) et l’Espagne (7,3%) présentent la hausse générale la moins élevée, tandis que la Lituanie (22,1%) et la Hongrie (21,9%) ont connu l’inflation la plus élevée entre octobre 2021 et octobre 2022. Les plus fortes contributions au taux d’inflation annuel de la zone euro provient depuis un mois de l’énergie, puis de l’alimentation, de l’alcool et du tabac, et dans une moindre mesure des services. Le taux d’inflation dans la zone euro est donc supérieur à la moyenne mondiale, avec un taux de 8,8% selon le dernier World Economic Outlook du FMI, publié en octobre 2022[1], qui estime par ailleurs que l’inflation devrait rester élevée en 2023 (6,5% de croissance des prix prévus).

 

En cause, l’envolée des prix du gaz consécutive aux mesures prises à l’encontre de la Russie après l’invasion de l’Ukraine en février 2022 qui a conduit à une multiplication par quatre des prix de cette ressource en Europe par rapport à 2021. Les contraintes à l’export de grain qui en résultent ont elles aussi participé à la hausse du prix des denrées alimentaires, tandis que la frénésie des confinements frappant la Chine depuis 2020 pèse encore lourdement sur les chaînes d’approvisionnement. Ainsi la forte interdépendance des économies et des marchés nationaux conduit chacun de ces événements a avoir des répercussions en cascade sur la majorité des économies mondiales.

 

Les pays émergents sont particulièrement frappés par l’appréciation soudaine et vive du dollar, à l’origine d’une inflation importée, et d’une une hausse des prix domestiques résultant du renchérissement des importations à la suite d’une dépréciation du taux de change. Parmi ces pays, le Ghana, a été frappé par une hausse de plus de 40% des prix à la consommation entre octobre 2021 et octobre 2022. Cette dépréciation du taux de change aggrave du reste la charge de la dette : sur l’année 2022, la dépréciation du cédi ghanéen est passée de 0,16 dollars par cédi à 0,07 dollars par cédi ; du même fait, la charge liée à la part de la dette ghanéenne libellée en dollars s’accroît.

Le resserrement de la politique monétaire des États-Unis, encouragé par les bons chiffres de la création d’emploi et une décélération de l’inflation jugée décevante place donc les marchés émergents en grande difficulté[2]. Les pays à faibles et moyens revenus connaissent en effet une fuite des capitaux redirigés vers le marché américain, jugé plus sûr. La dépréciation monétaire et le creusement de la dette qui en résulte inquiètent le FMI. Celui-ci plaide donc pour une restructuration de la dette extérieure des économies les plus fragiles en réactivant le Cadre commun du G20 pour le traitement de la dette. Il y a tout juste un an, la directrice du FMI Kristalina Georgieva alertait déjà les décideurs sur la nécessité de développer le mécanisme de restructuration de la dette créé lors de la pandémie de Covid-19 et laissé en déshérence depuis lors[3].

 

2. 1923-2023, d’un siècle à l’autre. De l’engouement éditorial pour 1923

Pour mettre en perspective cette situation, un retour historique sur l’hyperinflation allemande de 1923 peut nous éclairer.  Autrement plus aigüe par son ampleur et ses conséquences, l’inflation galopante de 1923 fait l’objet en cette fin d’année 2022 d’un engouement éditorial Outre-Rhin, tandis que l’Allemagne a connu une hausse des prix de 10% sur un an le mois dernier, du jamais vu depuis le lendemain de la Seconde guerre mondiale.

Déjà liée de guerre, la jeune République de Weimar avait dû s’endetter encore davantage pour conduire une politique sociale forte après la révolution de novembre 1918[4]. Le journaliste Christian Bommarius signe cette année Im Rausch des Aufruhrs. Deutschland 1923, mêlant histoire sociale et culturelle, sources littéraires et ouvrières, pour conter mois par mois cette année terrible[5]. Terriblement ancrée dans la mémoire collective par ce chiffre surprenant : tandis qu’un janvier 1923 un kilo de pain de seigle coûtait 250 marks, en décembre il en coûtait 399 milliards.

Plus universitaire, Außer Kontrolle. Deutschland 1923 de Peter Longerich, spécialiste du national-socialisme et de l’antisémitisme, réfléchit à la crise du pouvoir qui saisit la République de Weimar cette année-là, et dont le putsch raté de Munich par le Parti national-socialiste, le 8 novembre 1923, ne fut que la manifestation la plus spectaculaire. L’auteur nous rappelle combien l’hyper-inflation ne saurait être pensée sans le cortège de crises politiques qui l’accompagne usuellement.

Au public francophone, signalons enfin la traduction peu remarquée de l’ouvrage de Carl-Ludwig Holtfrerich, paru en 2008. Dans L’inflation en Allemagne (1914-1923), cet économiste de la Freie Universität à Berlin démontre que l’hyperinflation constitua, dans le malheur, une chance :  elle fut en effet une solution parmi d’autres pour résoudre la crise de la dette publique allemande. De nos jours également, si la FED comme la BCE se fixent un ciblage de l’inflation à 2%, certains économistes envisagent une inflation plus élevée pour équilibrer la dette publique. Akerlof, Dickens et Perry (2000) conseillaient ainsi de viser une inflation de 1,5% à 4%. Olivier Blanchard, dans un article de 2010, prônait quant à lui un ciblage de 4% d’inflation par les banques centrales.

Toujours en 1923, Thomas Mann achevait le manuscrit de La Montagne magique. Au cœur de la tourmente weimarienne, éprouvée par les émeutes de la faim et le désoeuvrement des soldats démobilisés, l’écrivain quittait les rivages du nationalisme de guerre pour défendre la forme républicaine de gouvernement. Après avoir défendu la jeune République de Weimar dans De la République allemande, Thomas Mann clôturait ce roman choral et fleuve qui esquissa une autre définition de la germanité[6]. Sous le regard de l’ingénieur Hans Castrop, la sanatorium de Davos laisse défiler un Juif jésuite et nihiliste, une Russe lascive, un Italien pragmatique et libéral, un colon Hollandais. Boursouflés d’idées et de sens, les protagonistes ne miment pas seulement une Allemagne d’avant-guerre. Ils incarnent aussi peut-être, pour leur créateur, une démocratie risible et bavarde, celle qui en 1923 tâchait de naviguer dans les eaux troubles de la reconstruction sans léser le frêle contrat liant l’État social à ses citoyens.

Dès 1924, la République de Weimar parvint à dompter la fièvre monétaire. Un homme en particulier, Hjalmar Schacht, créa le rentenmark, monnaie de transition gagnant rapidement la confiance des investisseurs nationaux et étrangers. Plus trouble encore qu’un personnage de La Montagne magique, cet économiste sourcilleux devait servir le Troisième Reich comme ministre de l’économie puis président de la banque nationale jusqu’en 1943, avant d’être jugé puis blanchi pour faits de résistance. Au même titre que la classe politique des années 1930, il participa surtout à ancrer dans la mémoire collective allemande le traumatisme de l’hyperinflation de 1923, sans cesse invoquée pour appeler à la rigueur budgétaire ou au contraire attribuer l’endettement de l’époque au tribut décidé par les Alliés[7].

 


[1] https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2022/10/11/world-economic-outlook-october-2022

[2]https://apnews.com/article/inflation-business-economy-prices-government-and-politics-c253a626706b0053c2759848ecd432a0

[3]https://www.imf.org/fr/Blogs/Articles/2021/12/02/blog120221the-g20-common-framework-for-debt-treatments-must-be-stepped-up

[4]https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/a-vos-marks-1923-l-hyperinflation-ruine-l-allemagne-2520393

[5] Christian Bommarius, Im Rausch des AufruhrsDeutschland 1923Munich, dtv, 2022.

[6] Gérard Chneilin, «Thomas Mann et la république de Weimar de ses débuts à sa dissolution, à la lumière du Journal et de ses Écrits politiques», in Weimar ou de la démocratie en Allemagne, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 1994 (généré le 07 décembre 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/psn/5775>.

[7] Frédéric Clavert, Hjalmar Schacht, financier et diplomate 1930-1950, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2006.

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