La course au lithium s’accélère, à mesure que cet or blanc conquiert les industries militaires et civiles. Selon la presse chinoise1, la Marine chinoise pourrait installer des batteries Lithium-Ion2 à bord de ses sous-marins à propulsion conventionnelle pour remplacer les batteries plomb-acide qui y sont employées depuis près d’un siècle. L’état-major chinois s’appuierait sur les progrès énergétiques réalisés par l’industrie automobile chinoise disposant d’une expertise avancée en matière de batteries Lithium-Ion. Celles-ci disposent de capacités de charge accrues, de délais de rechargement réduits et d’une puissance supérieure aux batteries traditionnelles, soit autant d’atouts pour des sous-marins à propulsion classique.
Initialement développées pour les équipements mobiles comme les smartphones et les tablettes tactiles, les batteries Lithium-Ion trouvent principalement leur application sur les marchés de l’automobile, la fabrication de batteries électriques représentant 40% de la valeur des véhicules électriques. En 2020 déjà, le lithium faisait partie des matières qui représentaient un risque élevé de pénurie d’approvisionnement. En effet, le type d’accumulateur lithium li-ion, grâce à sa capacité de stockage efficace pendant de longue période, constitue aujourd’hui l’option de stockage la plus populaire, puisqu’il approvisionne plus de 90% du marché mondial des réseaux électriques. Pour cette raison, l’Agence internationale pour l’énergie, prévoit une multiplication par quarante de la demande de lithium dans les vingt prochaines années, soit la plus forte croissance parmi les métaux rares. L’importance du lithium est d’autant plus grande que les batteries électriques doivent avoir remplacé les moteurs thermiques dans l’Union Européenne d’ici 2035.
De plus en plus, le lithium est convoité par les industries de défense : ce minerai se trouve dans presque tous les systèmes d’armes. Cela s’explique par la demande de systèmes de combat fondés sur des technologies sophistiquées, celle de drones de surveillance ou encore par la dépendance croissante aux technologies mobiles sur le champ de bataille. Notons qu’une augmentation des dépenses militaires observable dans tous les domaines en raison de l’accroissement du nombre de différends internationaux – et ce antérieurement à la guerre en Ukraine, est amenée à stimuler également la croissance du marché des batteries militaires au cours des six prochaines années. Selon les analystes, la demande mondiale de ces technologies devrait augmenter de 30 % au cours des six prochaines années3. L’avantage de ce système est en effet tactique : bien que les systèmes de batteries primaires aient toujours leur place, les batteries rechargeables sont plus performantes en raison de la durée de vie supérieure du lithium-ion.
Cette hausse rapide de la consommation de lithium risque donc d’accroitre la dépendance de l’Europe aux exportations extra-européennes de lithium, dans un contexte où la crise sanitaire a révélé la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales.
Des chaines de production mondiales de batteries essentiellement extra-européennes
Pour cette raison, la domination du marché de batteries électriques est donc un enjeu géopolitique majeur. Jusqu’à présent, les batteries sont essentiellement importées d’Asie, à partir d’une matière première extraite en Amérique latine et en Asie de l’Est. En 2020, la Chine était le premier marché mondial pour les véhicules électrique avec 55% de la production totale. Parallèlement à cela, deux entreprises chinoises, Tianqi Lithium et Jiangxi Ganfeng Lithium ont investi sur l’ensemble de la chaîne de valeur du marché du lithium, disposant de nombreuses participations hors Chine. La Chine, l’Australie et l’Amérique du Sud concentrent 90 % des extractions du lithium. En Argentine, pays faisant partie du « triangle du lithium », plus de cinquante projets d’extraction sont à l’étude.
La dépendance critique de la France et de l’Europe aux approvisionnements extérieurs
Les gisements européens de lithium en roche sont encore de faible importance, celui de la major Rio Tinto, en Serbie étant le seul qui soit de classe mondiale. Le métal extrait en Europe doit en outre quitter le continent pour être traité ailleurs, faute de technologies et de capacités suffisantes d’extraction, de traitement, de recyclage, de raffinage et de séparation. Toutefois, une vingtaine de projets de mines, d’usine de conversion de lithium et de raffineries, essentiellement portés par des start-ups, sont à l’étude sur le continent européen. L’approvisionnement durable est en effet une condition nécessaire au développement de technologies numériques dans tous les écosystèmes industriels de l’UE, et notamment dans les secteurs des technologies numériques de pointe.
L’approvisionnement durable en lithium : un enjeu d’autonomie stratégique pour l’Europe
L’Union Européenne s’est donc saisie de la problématique via l’initiative « Matières premières » qui vise à renforcer l’approvisionnement intérieur en soutenant l’approvisionnement en matières premières secondaires grâce à une amélioration de l’efficacité et la circularité des ressources. Ainsi, une vingtaine de projets européens de mines ou d’usine de conversion en lithium ont été initiés ces dernières années. Celui de la construction d’une usine chimique d’hydroxyde de lithium par la société finlandaise Keliber, initié en juin 2022, est le plus avancé.
Elle serait alimentée par un site minier situé à 600 km au nord d’Helsinki. Les projets de raffineries se multiplient également. A titre d’exemple, le fabricant suédois de batteries Northvolt et le portugais Galp prévoient de construire au Portugal une usine de lithium capable d’équiper 700 000 véhicules par an en 2026. L’entreprise suédoise a produit sa première batterie lithium-ion en 2021 et le projet bénéficie notamment du soutien de la Banque européenne d’investissement, de l’Agence suédoise de l’énergie et de l’Allemagne pour lever 6 milliards d’euros.
L’ambition française de devenir un fournisseur de lithium de premier plan sur le marché européen
La France n’est pas en reste puisqu’en octobre 2022, le groupe Imerys a annoncé le lancement d’un projet d’exploitation de lithium à Echassières dont la production débutera en 2028. Ce gisement a pour but de fournir une capacité d’équipement de 700 000 véhicules en batteries lithium-ion par an et permettra l’extraction de 34 000 tonnes pendant vingt-cinq ans. En ce sens, un appel à projet national a été opéré par Bpifrance dans le cadre du plan d’investissement France 2030, ciblé sur les métaux critiques à destination des filières industrielles dans une démarche de partenariats entre les acteurs public et privé. L’objectif de ce fonds est de contribuer à la sécurisation des approvisionnements des industriels français et européens par la mise en place de contrats d’approvisionnements de long terme.
Alors que la France et l’Europe prônent leur autonomie stratégique, elles restent dépendantes de fournisseurs extra-européens en matière d’approvisionnement en lithium, notamment pour leur industrie de défense. Cette dépendance ne concerne d’ailleurs pas que le lithium : l’UE dépend à 98 % de la Chine et de la Turquie pour ses approvisionnements en terres rares et borate, tandis que l’Afrique du Sud fournit 71 % des besoins de l’UE en platine. Cette dépendance est également technologique, puisque l’UE peine à maîtriser les différentes étapes de l’industrie du lithium. En cas de tensions ou de ruptures des chaînes d’approvisionnement, des pénuries sont à prévoir. Celles-ci remettraient en cause l’autonomie stratégique ouverte de la France et de l’UE.
Ces vulnérabilités sont accentuées par l’instabilité d’un marché du lithium caractérisé par l’horizontalité de ses différents acteurs. En raison de la tension à venir sur le marché, l’intégration du lithium pour les équipements militaires est une solution économique incertaine et présente un risque pour la sécurité européenne. Ces secteurs ne peuvent pas reposer sur la seule confiance dans les circuits logistiques de la mondialisation ou sur la diversification des approvisionnements en lithium. Pour étudier la faisabilité de l’objectif européen, l’Union Européenne pourrait d’abord créer un réseau européen d’agences des matières premières pour anticiper les risques de perturbations, de hausses de prix ou de pénuries. Il s’agirait ainsi de prendre des décisions appropriées en matière de diversification, de stockage et d’investissement. Il en va en effet de l’autonomie stratégique de l’Union Européenne.
1 : Stephen Chen, « China’s submarine fleet may soon be powered by lithium batteries », South-China Morning Post, 29/10/22
2 : Une batterie lithium-ion est un type d’accumulateur lithium. Ses principaux avantages sont une énergie massique élevée ainsi que l’absence d’effet mémoire.
3 : Etude de marché Valuates Reports à Bangalore, en Inde.