Le groupe paramilitaire russe Wagner fait de nouveau parler de lui depuis que l’AFP a révélé le lundi 31 octobre que des exactions auraient été commises la veille par des militaires maliens, accompagnés de « militaires blancs ». Ces déclarations, faites par des habitants d’un village du centre du pays, Guelledjé, où les crimes ont eu lieu, évoquent des victimes civiles[1]. Cette description des responsables fait se pointer les soupçons sur les mercenaires du groupe russe Wagner présents depuis plusieurs mois sur le territoire, chose toutefois démentie par la junte malienne. Cette actualité continue d’interroger la pertinence pour le gouvernement malien de l’emploi du groupe russe. En effet, depuis le premier accrochage avec des jihadistes ayant impliqué les mercenaires, le 3 janvier 2022 près de Bandiagara, ces derniers ont multiplié les esclandres, sans pour autant rendre raison de leurs actions d’un point vue stratégique. La situation sécuritaire du nord-Mali s’est en effet fortement dégradée ces huit derniers mois, et en analysant la manière dont le vide laissé par les Français a été comblé, on peut déjà dresser un bilan, peu concluant à plusieurs titres, de la nouvelle collaboration entre le groupe paramilitaire russe et le Mali.
En premier lieu, la stratégie défaillante du gouvernement de transition malien, en partenariat avec les mercenaires russes, fonctionnant, semble-t-il, sur le mode de l’expédition punitive, apparaît comme le ferment d’un accroissement significatif de la menace jihadiste au Sahel, et même au-delà. En effet, les différents groupes rebelles et jihadistes profitent du vide lié au retrait français de ses bases, vide très partiellement comblé par les hommes de Wagner. Les exactions du groupe ne s’accompagnent pas de résultats, notamment dans le nord-est malien, où se livre une guerre entre les deux principaux groupes jihadistes, là où les Français en collaboration avec les autorités maliennes avaient agi au cours de l’opération Barkhane.
Le travail franco-malien de lutte dans la « zone des trois frontières », principalement commencé en 2018 par le général Bruno Guibert, avait en effet conduit à une relative stabilisation de la zone par des missions longues, en partenariat avec des groupes d’autodéfense Touaregs, notamment contre l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS). Le départ de Barkhane en aout dernier a laissé un espace pour des combats meurtriers entre l’EIGS et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM). Ainsi, la commune de Tessit, située dans le cercle d’Ansongo, a vu une incursion de combattants du JNIM et de l’EIGS. Le premier, après les combats, a accusé les populations locales de collaboration et de soutien au second. Ces accusations ont conduit à des représailles contre une soixantaine de responsables communautaires en février 2022[2]. Des équipements sociaux furent aussi détruits en représailles. Par ailleurs, cette attaque a conduit à de forts mouvements de population vers la commune de Gounzoureye dans la région de Gao. Ces incursions jihadistes coïncidaient ainsi de manière très nette avec le retrait progressif de la France du Mali.
En effet, la France a quitté Gossi en avril 2022, puis sa base de la Ménaka en juin, et enfin sa base de Gao en aout. Systématiquement, les départs de la France de ces localités furent suivis de l’installation de mercenaires du groupe Wagner. La stratégie de l’épuisement mise en place par le Général Bruno Guibert et continuée par ses successeurs, s’est ainsi vue remplacée par une stratégie russe de représailles et d’expéditions punitives. Or, cette nouvelle stratégie expéditive conduit à la multiplication des victimes civiles.
Dès lors, selon Wassim Nasr[3], le mode opératoire employée par Wagner et les forces armées maliennes serait contre-productif à plusieurs titres. Périlleux pour les forces russes en premier lieu : le JNIM a déjà revendiqué la capture de plusieurs soldats des forces russes de Wagner, et 5 mercenaires ont déjà été tués. En outre, toujours selon Wassim Nasr, les exactions commises servent la propagande jihadiste puisqu’on observe des pics de recrutement après les massacres[4]. Un fort pic de recrutement aurait, entre autres, été observé après le massacre de 300 civils à Moura du 27 au 31 mars 2022. Ce massacre, selon l’enquête de l’ONG Human Rights Watch, aurait mobilisé plus de 100 soldats russes, et seraient probablement des représailles contre les populations peules, accusées de soutien aux jihadistes, dans un contexte de multiplication des exécutions de civils par des groupes liés au JNIM ou à l’EIGS [5].Les exactions de fin octobre témoignent donc de la persévérance du groupe russe dans cette stratégie, en dépit de ses possibles répercussions, mais aussi d’un délaissement du nord-est malien, livré à un conflit meurtrier entre le JNIM et l’EIGS.
Les conséquences d’une telle stratégie pour l’armée malienne ont été très rapidement visibles. Le 07 aout dernier, les forces armées maliennes subissent à Tessit l’attaque jihadiste la plus meurtrière depuis 2019, 49 soldats maliens sont tués. Cette agression, décrite comme « complexe et coordonnée » – témoignant au passage des capacités jihadistes, est l’occasion pour le gouvernement malien d’accuser la France de fournir des renseignements aux jihadistes[6]. Elle s’inscrit dans une vague d’attaques qui a fait 16 morts côté FAMa depuis juillet, sans grande réaction du groupe russe et avec des conséquences indéniables pour les populations. En effet, le 14 octobre, dans un contexte d’augmentations des violences à l’encontre des civils, le journaliste Serge Daniel révélait sur son compte twitter que des jihadistes procédaient à des enrôlements forcés dans les environs de Mondoro (centre) depuis le début du mois[7].
Le vide laissé par la France permet également aux mouvements indépendantistes de l’Azawad de restructurer leur défense autonome contre les groupes jihadistes. Le 30 aout s’est tenu à Kidal (nord) le Congrès de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), afin d’unifier les différents groupes Touaregs dans sa lutte contre le jihadisme[8]. Dans la foulée, la CMA a décrété un couvre-feu à Kidal [9]. Dernier élément en date, le 07 novembre dernier, le général de l’armée malienne Aladji Gamou, leader Touareg de la tribu des Imrades, a appelé les jeunes Touaregs de l’intérieur et de l’extérieur à une mobilisation générale à Gao le 17 novembre[10]. Cette remobilisation des groupes rebelles et indépendantistes de l’Azawad prend pleinement part à la lutte contre l’expansion de EIGS tout en déstabilisant dans une certaine mesure le pouvoir central malien. Ce conflit est mené en parallèle par le JNIM, qui se présente comme plus acceptable que l’EIGS pour les populations . Si la Coordination des mouvements de l’Azawad nie en bloc sa proximité avec Al Qaïda, sa perméabilité à sa doctrine est reconnue[11]. Par exemple, il compte dans ses rangs le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), un groupe politique et militaire constitué, entre-autre, de transfuges d’Ansar Dine [12] , un groupe armé salafiste djihadiste ayant fusionné avec AQMI en 2017. Son drapeau, reconnaissable par ses couleurs blanches et jaunes, a été notamment reconnu par Wassim Nasr au côté de la bannière noire inversée d’Al Qaida, sur les photos des prises de l’EIGS à la suite d’ affrontements victorieux contre le JNIM le 02 novembre qui firent au moins 34 morts côté Al Qaida[13]. Il est toutefois probable que la présence de ce drapeau sur la photo soit une tentative de l’EIGS d’accuser les populations Touaregs de jouer double-jeu, puisque ce drapeau ne serait plus en usage par le HCUA depuis deux ans. Cependant, dans ce conflit où les deux groupes jihadistes s’accusent réciproquement d’apostat, le JNIM, présent au nord du Mali depuis 2007, jouit d’une plus forte implantation territoriale.
Cette dégradation sécuritaire du nord-est du Mali, deux ans après le coup d’État d’Assimi Goïta, remet donc en question la stratégie malienne d’emploi du groupe Wagner. Malgré l’installation des mercenaires dans les anciennes bases du nord de pays, le terrorisme sous toutes ses formes n’a pas été contenu, c’est d’ailleurs le contraire qui semble s’être produit. L’intensification du conflit entre le JNIM et l’EIGS, et la stratégie d’expéditions punitives menée par les forces armées maliennes et le groupe russe, risquent de surcroît d’exacerber les tensions interethniques affaiblissant ainsi durablement un État déjà instable.