Par Salomé Sifaoui
L’administration Biden a organisé le premier sommet États-Unis – Pays insulaires du Pacifique[1] à Washington, les 28 et 29 septembre. Ce sommet réunit plus d’une douzaine de dirigeants des îles du Pacifique pour discuter de domaines d’intérêts communs, notamment le changement climatique, la sécurité maritime et le développement économique. En parallèle, la Maison Blanche a publié la stratégie de partenariat pour le Pacifique[2], établissant un cadre pour l’avenir de l’engagement américain dans la région.
Ce sommet s’inscrit dans le sillage des initiatives américaines visant à renforcer la coopération dans l’Indo-Pacifique, telles que le Quad, l’alliance AUKUS et le Sommet États-Unis-Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) réuni en mai dernier. Dans cette même perspective, les Etats-Unis ont poussé à la création en juin 2022 d’un nouveau groupe de discussions informel, intitulé « Partners in the Blue Pacific » (PBP). Ce groupe rassemble autour de Washington l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, le Royaume-Uni, le Canada et l’Allemagne.
Le renforcement de la présence américaine dans la région s’est accéléré depuis que Pékin a entrepris discrètement la conclusion d’un accord de sécurité[3] avec les îles Salomon en mars 2022, comprenant le potentiel établissement d’une base navale chinoise[4] et la possibilité pour Pékin d’envoyer des forces de sécurité sur l’île en cas de désordres intérieurs. Au cours des six derniers mois, l’administration Biden a ainsi multiplié ses efforts, en envoyant plusieurs délégations de haut niveau dans la région, en élevant le statut de son engagement et en promettant davantage de ressources à ses partenaires.
Si la présence chinoise met l’accent sur les questions sécuritaires, les préoccupations de la communauté des îles du Pacifique, comme la lutte contre le changement climatique, la protection de la pêche locale, ou le renforcement des institutions et la promotion du développement durable, priment pour l’instant sur la rivalité sino-américaine. La hausse du niveau des mers y est deux à trois fois plus rapide qu’ailleurs dans le monde, s’élevant de 5mm à 11mm par an[5].
A cet égard, la Stratégie américaine pour le Pacifique Sud se concentre largement sur la résilience et l’adaptation au changement climatique, la gestion des ressources et la santé des océans, ou encore la santé publique et les échanges éducatifs. Cette orientation a permis de rallier notamment les Iles Salomon, pourtant réticentes au départ, à la signature de la déclaration commune en 11 points[6] à l’issue du sommet.
Si la Chine est à peine mentionnée dans la stratégie ou dans les déclarations publiques entourant le sommet, bon nombre des initiatives présentées – renforcement des institutions régionales comme le Forum des îles du Pacifique (PIF), soutient à la sécurité maritime, promotion d’une bonne gouvernance – visent à contrer la présence chinoise dans la région. Concrètement, la stratégie vise à étendre la présence diplomatique américaine par l’intermédiaire de nouvelles ambassades aux Îles Salomon, et éventuellement aux îles Kiribati, aux Tonga, aux Iles Cook et Niue.
D’autres éléments complètent cette stratégie : la nomination d’un émissaire américain auprès du PIF ; le lancement d’une nouvelle mission régionale de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) à Fidji ; et le renforcement de la présence des Peace Corps dans la région. En outre, 810 millions de dollars de nouveaux financements ont été annoncés – dont une demande d’assistance économique de 600 millions de dollars sur dix ans liée au renouvellement du Traité sur le thon du Pacifique Sud – et le financement de programmes liés à la résilience climatique, à l’éducation et à la formation.
Seule la question plus épineuse de la renégociation des pactes de libre association avec les États fédérés de Micronésie, les Îles Marshall et les Palaos a été laissée en suspens durant le sommet. Négociés à l’indépendance de ces pays, les pactes de libre associations stipulent que les États-Unis assurent la défense nationale, l’aide financière et permettent aux citoyens de vivre et de travailler librement aux États-Unis.
En échange, les Etats-Unis disposent d’un accès militaire exclusif aux eaux et à l’espace aérien des trois pays. Les pactes doivent expirer en 2023 pour les Îles Marshall et la Micronésie, et en 2024 pour les Palaos. Quelques jours à peine avant le sommet, le gouvernement des Iles Marshall a annulé un troisième cycle de négociations prévu avec l’équipe américaine. En cause : le différend sur la compensation financière des essais nucléaires américains dans les années 1950, que les Etats-Unis rejettent, jugeant que la question a déjà été réglée lors de négociations antérieures[7].
Ce déplacement d’attention au-delà du traditionnel Pacifique Nord révèle ainsi les nouvelles méthodes d’influence américaines, basées sur une proposition d’alternatives visant à répondre aux besoins des partenaires, plutôt qu’à dissuader les pays du Pacifique d’une collaboration trop étroite avec Pékin.