Accusé par certains observateurs de se refermer sur lui-même, le gouvernement de transition du Mali suscite davantage de craintes que d’espoir. La suspension du pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en raison de la non-tenue d’élections présidentielles et législatives avant le 27 février 2022 et de l’emploi du groupe paramilitaire russe Wagner, suivie du départ du G5 Sahel en mai, donne l’impression qu’il souhaite s’isoler de tous ses anciens partenaires, qu’ils soient régionaux ou nationaux. Toutefois, cela semble loin d’être le cas, en dépit de réelles provocations diplomatiques et des différents signaux négatifs envoyés aux Etats Africains et aux pays occidentaux. En effet, désormais dirigé de facto par le colonel Assimi Goïta, le gouvernement de transition du Mali a multiplié les actions à l’encontre de la France et de la CEDEAO. Ces provocations sont en réalité la récupération d’un fil rouge déjà établi par le Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui avait été à l’origine de la contestation du pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020. Ce discours dénonce les ingérences occidentales, notamment françaises, dans l’économie et la politique malienne. Cette récupération fut d’ailleurs dénoncée par le M5-RFP, qui s’opposa à la charte de transition soutenue par la junte lors des concertations nationales des 10, 11 et 12 septembre 2020 sur la Transition. On peut donc comprendre les récentes provocations du Mali à l’encontre de son voisin ivoirien et de la France et comme appartenant à une volonté commune de s’opposer à la France et à ses alliés, mais également comme un souci de récupération politique d’un mouvement qui tente de s’enraciner dans le paysage local.
C’est dans ce contexte qu’ont eu lieu plusieurs passes d’armes entre le Mali, les Nations Unies et la Côte d’Ivoire, donnant l’impression d’une volonté de rompre l’équilibre diplomatique régional. En effet, le 10 juillet dernier, 49 militaires des forces spéciales ivoiriennes, présentés par le gouvernement de transition comme des « mercenaires », ont été arrêtés à l’aéroport international de Bamako. Le porte-parole de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), Olivier Salgado, a déclaré sur son compte Twitter que ces soldats ivoiriens n’appartenaient pas à l’un des contingents de celle-ci, mais étaient des Éléments nationaux de soutien (NSE), c’est-à-dire des soldats de l’armée conventionnelle ivoirienne chargés de soutenir leurs compatriotes, niant donc le qualificatif de mercenaire. En retour, le Mali a accusé le porte-parole de la Minusma d’avoir diffamé l’Etat malien dans des déclarations “tendancieuses”, sans donner de preuve du bien fondé de la présence ivoirienne sur le sol malien. Ces passes d’armes ont conduit à l’expulsion d’Olivier Salgado du Mali, mais également à la demande de Bamako de « contreparties » en échange des prisonniers. Ces opérations qui ressemblent fort à une volonté d’indépendance vis-à-vis de ces voisins, ont suscité de vives réactions, notamment de la part de la Côte d’Ivoire, directement en cause dans ces tractations. Elle a donc demandé à la CEDEAO un sommet ouest-africain afin de mettre fin à ce qu’elle qualifie de « chantage inacceptable », faisant appel à cette structure communautaire comme à un médiateur.
Cette arrestation est loin d’être anodine et perturbe les fragiles équilibres régionaux. En effet, elle apparaît comme une réponse à la reconduction du mandat de la Minusma pour une année supplémentaire au mois de juin 2022, décidée dans des termes ne satisfaisant pas le gouvernement de transition. Celui-ci est effectivement opposé à ce qu’une mission de l’ONU enquête sur les possibles exactions commises par les FAMA et le groupe paramilitaire Wagner au Mali. Ce prolongement apparaît pour le gouvernement de transition comme une énième sanction, puisque soutenu par la CEDEAO et décrié comme une atteinte à la souveraineté malienne. L’affaire des militaires ivoiriens a donc permis à la transition malienne de se positionner en victime d’une tentative de déstabilisation étrangère. Cette réaction n’est donc pas simplement liée à des enjeux régionaux mais bien à des enjeux internationaux.
L’isolement malien apparaît d’autant plus grand qu’en en parallèle de cette crise diplomatique, le gouvernement de transition accuse la France de fournir des renseignements et des armes à des groupes armés terroristes, démontrant par là à nouveau de l’hostilité à l’ancien partenaire. Le 15 août dernier, dans un courrier de trois pages à destination du président du Conseil de sécurité de l’ONU, Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères maliennes, liste les chefs d’accusations : « intimidation » des forces armées maliennes, « fourniture d’armes », « renseignements au profit des groupes terroristes » et « espionnage ». A ces accusations s’ajoutent celles déjà formulées depuis janvier 2022 de violation par la France de l’espace aérien malien, entretenant ainsi une rhétorique bien ancrée d’hostilité à celle-ci. Ces accusations ont d’ailleurs été vivement démenties par l’Elysée, tant par voie de presse que via ses réseaux sociaux. En outre, cet isolement ne tient pas seulement à la rupture des liens qui unissent le Mali à la France mais également aux tensions manifestes avec les Nations Unies. A la veille de l’Assemblée générale de celles-ci, les déclarations de son secrétaire général n’annoncent rien de bon pour le gouvernement d’Assimi Goïta, qui risque de se voir accuser de paranoïa. De surcroît, le Mali est dans une mauvaise posture sur le plan institutionnel. Quand bien même ces accusations seraient fondées, la France occupe depuis le 1er septembre 2022 la présidence du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. De nombreux observateurs considèrent que la confrontation pourrait ne même pas avoir lieu, renforçant ainsi l’apparent isolement du pays africain.
Cependant, ce qui prend la forme d’une de mise au banc de la scène internationale est assez trompeur tant sur le plan régional qu’international. En effet, il est à noter que la Russie et la Chine ont répondu aux appels maliens, en la soutenant face aux sanctions de la CEDEAO. Le 9 janvier 2022, les deux pays, par l’intermédiaire de leurs représentants au Conseil de sécurité des Nations Unies, ont ainsi bloqué une résolution présentée par la France et visant à soutenir les sanctions des États africains contre le Mali décidées lors du sommet de la CEDEAO. A cette occasion, la Guinée a soutenu la transition malienne. Un autre ami du Mali s’est aussi manifesté lors de la crise avec la Côte d’Ivoire de juillet dernier : le Togo. Celui-ci a accepté la demande malienne d’arbitrer le conflit, redessinant ainsi, dans une certaine mesure, la géopolitique régionale.
Cette transformation des relations diplomatiques maliennes par le gouvernement de transition, choisissant de nouveaux alliés en dépit de ses anciens partenaires, donne de l’État malien une idée d’instabilité et d’inexpérience qui le pousserait à accuser de façon compulsive et ultra-populiste tous ceux qui remettent en question sa bonne gouvernance. Toutefois il s’agit bien d’un rééquilibrage, et malgré la guerre en Ukraine qui détourne les intérêts de ses nouveaux alliés, le gouvernement malien se taille une place respectable dans le cortège de ceux qui veulent dénoncer la prétendue prédation des pays occidentaux. Ainsi, il apparaît imprudent de parler d’isolement du Mali. En outre, s’il est raisonnable, au contraire, d’affirmer l’incapacité des forces armées maliennes à endiguer le terrorisme au nord du Mali, malgré l’aide paramilitaire russe, il ne faut pas perdre de vue que la France n’y était pas parvenue elle-même.