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Les exportations d’armes françaises, entre intérêt diplomatique et bénéfice économique
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Les exportations d’armes françaises, entre intérêt diplomatique et bénéfice économique

Par Baptistine Airiau, agrégée d’HistoireL’annonce, le 10 février, de la commande indonésienne de 42 Rafale porte désormais à plus de 200 le nombre d’appareils commandés sous le mandat d’Emmanuel Macron ; si les succès industriels de la diplomatie française sont indéniables, la politique française d’exportation d’armement peut néanmoins interroger.

 D’une part, la politique actuelle d’armement est un réel succès sur le plan intérieur. Elle s’appuie notamment sur une législation européenne selon laquelle le matériel de défense est extrait partiellement du droit de la concurrence. En effet, la législation européenne, en vertu de la directive 2009/81/CE, prend en compte la spécificité du marché des matériels de défense en adaptant les règles des autres marchés publics à celui de la défense et en laissant aux États la possibilité de négocier des contrats en dehors de toute publicité[1]. En outre, les pouvoirs publics français restent très investis dans ce secteur. Cette politique s’appuie également sur un engagement de l’Etat tant par la mise en place de programmes d’armement que par la présence au sein du capital des fleurons de la défense, mais aussi sur un savoir-faire indéniable.

 Ainsi l’industrie de défense représente-t-elle en France des investissements de plusieurs milliards d’euros- à titre d’exemples, la DGA a acheté pour 5,03 milliards d’euros aux PME et ETI en 2020[2].. Cette industrie assure un emploi à 200 000 personnes – soit 4% environ des emplois industriels et même 7% dans certaines régions. Dans un pays dont l’économie s’est largement désindustrialisée – 13,5% du PIB en 2020 pour l’industrie – au détriment de tout un tissu productif ancien, cette industrie de défense maintient des emplois et des savoir-faire. De surcroît, cette branche de l’industrie est le lieu de nombreuses innovations et projets de recherches – dont plus d’une centaine financée par la DGA en 2020.

 Cependant, pour assurer la viabilité de ce tissus productif, cette base industrielle et technologique de défense (BITD), il est aujourd’hui nécessaire de vendre à l’export une partie des équipements produits sur le territoire national. Cette BITD est dépendante des exportations pour deux raisons. D’une part la demande étatique est trop faible pour assurer la viabilité économique d’une partie des entreprises concernées et donc celle des sous-traitants. D’autre part les exportations permettent une augmentation des quantités produites et donc un accroissement des économies d’échelles tout en entretenant les savoir-faire[3]. Néanmoins, cette dépendance aux exportations s’assortit souvent d’une dépendance diplomatique.

 En effet, la vente d’armement a parfois semblé se substituer à une réelle tactique diplomatique : la France a tendance à vendre aux plus offrants, présentant chaque vente d’ampleur comme un succès diplomatique. Pour autant, il faut bien distinguer les contrats qui sont des succès économiques intérieurs de ceux qui représentent un avantage diplomatique véritable. Sur ce plan-là, deux cas de figures peuvent être distingués. Le premier est celui du réel succès diplomatique à l’exemple des ventes d’armement récemment conclues à destination de la Grèce. Le contrat de vente signé en septembre 2021 de frégates de défense et d’intervention à hauteur de 3 milliards d’euros est en effet accompagné d’un accord visant à renforcer et à structurer la coopération stratégique notamment dans le cadre d’une Méditerranée de plus en plus conflictuelle. Cela a été le moyen d’affirmer le soutien français à la Grèce notamment face à la Turquie ; pour autant, le levier de la vente d’armement a moins créé de tensions au sein de l’OTAN que ne le ferait un rapport de forces plus direct. En outre, cette vente a permis aux pouvoirs publics d’affermir l’existence d’un marché de l’armement proprement européen.

 A l’inverse, les ventes d’armes à l’Arabie saoudite, premier client de la France en 2021, peuvent interroger dans la mesure où elles risquent de mettre en porte-à-faux la France à court et moyen terme dans ses relations avec certains pays du Moyen-Orient. Si ces transactions sont juteuses – 703 millions d’euros en 2021 – il n’en demeure pas moins que lors de négociations notamment avec l’Iran dans le cadre du JCPOA, avoir vendu des armes aux Saoudiens ne jouera pas entre notre faveur. En outre la France prête le flanc aux critiques et aux sanctions relatives à la vente d’armes à des pays risquant de les utiliser de manière contraire au droit international. Ces ventes sont bien des succès pour l’industrie intérieure ; mais leur aspect de victoire diplomatique doit donc être nuancé.

 Si la politique d’exportation apparaît nécessaire et souhaitable tant sur le plan économique que sur le plan diplomatique, deux éléments devraient être pris bien davantage en compte : à la fois un meilleur contrôle des exportations – demandé à plusieurs reprises par le Parlement par ailleurs[4], et une clarification du discours politique sur ce plan. C’est, tout à la fois, la cohérence diplomatique de long terme et la pérennisation de l’industrie diplomatique françaises qui seraient ainsi réaffirmées.

 


[1] « Mission flash sur les marchés publics européens de défens », 29 septembre 2021, https://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/commissions/Defense/Communication-miflash_marches_publics_europeens.pdf
[2] Chiffres clés de la DGA, 2020
[3] « Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France », juin 2021, https://www.defense.gouv.fr/fre/portail/actualites2/rapport-au-parlement-2021-sur-les-exportations-d-armement-de-la-france
[4] Ibid
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