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L’hégémonie occidentale ou le discours de légitimation du Parti communiste chinois
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Pour réaliser son rêve de puissance, le gouvernement chinois est mis au défi de maintenir sa légitimité à l’intérieur et à l’extérieur de son territoire national. Si Xi Jinping souhaitait susciter une adhésion croissante à l’hégémonie chinoise, les travaux de chercheurs occidentaux sur le manque de transparence de la Chine pendant la crise sanitaire, sur les violations des droits de l’Homme à Hong Kong et contre les Ouïghours au Xinjiang par le gouvernement chinois ont fortement dégradé l’image de la Chine. En France, les opinions défavorables à la Chine sont passées de 42 % en 2002 à 70 % en 2020, une hausse similaire à celle observée aux États-Unis (35 % à 73 %) sur la même période1. Outre les tentatives de racheter son image en Occident, Pékin souhaite avant tout maintenir sa légitimité auprès de sa population, puis, en second temps, auprès des pays du Sud signataires du projet des nouvelles routes de la soie.  Écarter l’influence occidentale de la ChineLa légitimation du Parti communiste chinois auprès de la population en Chine est cruciale pour la survie même du gouvernement chinois. Traumatisés par la chute de l’Union soviétique, les dirigeants chinois redoutent une infiltration des idées occidentales en Chine avec des problématiques comme celles des droits de l’Homme et de la démocratie comme cheval de Troie. Ainsi, le gouvernement chinois a intégré le rejet des influences occidentales dans les lois sur la sécurité nationale en juillet 2015. Selon les articles 23 et 25, l’Etat promeut la culture traditionnelle de la nation chinoise, résiste à l’influence des « cultures nuisibles » et doit construire un système d’assurance sur la sécurité de l’information2. Ce cloisonnement se matérialise notamment dans l’éducation et dans la recherche. Sous la tutelle du Parti, l’éducation patriotique est destinée à détourner la jeunesse des revendications démocratiques réprimées dans le sang en 1989. En ce sens, les chercheurs et universitaires chinois ont pour rôle « d’accélérer la construction d’une philosophie et des sciences sociales aux couleurs de la Chine »3. La volonté de rattacher les caractéristiques nationales au façonnement de la culture chinoise est révélateur d’une peur de l’hégémonie occidentale qui pourrait mettre en péril la survie du Parti communiste chinois4 Décrédibiliser les sources d’informations occidentales auprès de la diaspora chinoiseExposée à une liberté d’accès à l’information et à de nombreuses critiques envers le gouvernement chinois, la diaspora chinoise présente le risque de pouvoir importer des idées libérales en Chine. Le gouvernement chinois tente donc de discréditer les sources d’informations occidentales pour rediriger la diaspora chinoise vers les canaux d’information chinois. Face aux critiques liées aux violations des droits de l’Homme, le gouvernement chinois contourne les questions de fond pour s’attaquer à la démarche de ces critiques : les chercheurs et journalistes occidentaux ont régulièrement été vilipendés pour ingérence dans les affaires intérieures de la Chine, manque de neutralité dans la construction du savoir sur la Chine et méconnaissance générale de la Chine. En juin 2016, le ministre des Affaires étrangères de la Chine, Wang Yi, s’en est pris à une journaliste canadienne qui évoquait la question des droits de l’Homme lors d’une conférence de presse. Selon l’auteur Mobo Gao, elle ne disposerait pas du savoir nécessaire pour parler de la Chine et discréditerait le régime chinois selon des critères occidentaux5. Les chercheurs et médias occidentaux feraient volontairement de la Chine un ennemi commun à l’Occident, ce qui permettrait de justifier l’hégémonie américaine. D’une manière générale, le pouvoir chinois fait qualifie toute critique de la Chine de « propagande anti-Chine ». En Europe, les médias chinois dénoncent une instrumentalisation états-unienne des pays européens ; en témoignent les critiques du rapport de l’Irsem sur les opérations d’influence chinoise par la presse chinoise qui le qualifie de « faux rapport au service de la répression de la Chine par les Etats-Unis »6.  En ce sens, Pékin suggère à la diaspora chinoise que le choix des sources d’informations chinoises est un engagement politique de résistance envers l’hégémonie occidentale sur le droit à l’information.  Pékin « joue la confrontation avec l’Ouest, et la séduction au Sud » : l’Occident comme ennemi communC’est parmi les économies développées, surtout les États occidentaux (Europe et Amérique du Nord) et leurs alliés (Japon, Corée du Sud), que l’image de la Chine s’est fortement dégradée. Elle reste correcte dans les pays en développement, en Afrique, en Amérique latine et en Asie7. Les nombreuses références au « siècle de l’humiliation »8, à la colonisation européenne et à l’hégémonie américaine dans les discours chinois destinés aux pays du Sud favorisent l’ancrage d’un modèle chinois alternatif au modèle libéral occidental. L’affirmation d’une expérience chinoise s’est d’abord manifestée dans le domaine du développement avec l’émergence du consensus de Pékin, face au consensus de Washington porté par les institutions de Bretton Woods et les agences américaines dans les années 1990. A l’inverse, en Europe et aux Etats-Unis, les médias et diplomates chinois ont adopté un ton belliqueux suscitant de nombreuses controverses. Comme d’autres pays occidentaux, la France a été la cible du gouvernement chinois, notamment quand l’ambassade de Chine à Paris a publiquement attaqué le chercheur Antoine Bondaz. Jugé trop critique à l’encontre de Pékin, il a été publiquement insulté sur twitter en mars 2021 par l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye. Ce comportement belliqueux est porté par la diplomatie chinoise dite « des loups guerriers ». Selon la chercheuse Camille Brugier, les véritables destinataires de cette politique extérieure chinoise sont les Chinois eux-mêmes. Cette politique extérieure a pour but principal de légitimer le gouvernement chinois aux yeux de ses propres citoyens à l’intérieur et à l’extérieur des frontières nationales chinoises8 Malgré les critiques de Pékin dénonçant une « mentalité de guerre froide » de l’Occident, la distinction entre l’Est et l’Ouest est un pilier des discours de légitimation du Parti communiste chinois. Wang Huning, « le cerveau derrière Xi Jinping »9, a répandu les théories de Carl Schmitt au sein du Parti communiste chinois, dont celle selon laquelle l’existence politique d’un groupe doit être fondée sur une distinction ami-ennemi10. Cette distinction nécessite l’unité et l’homogénéité internes de l’État, y compris la suppression ou l’élimination des ennemis internes qui ne se conforment pas à cette distinction, comme en témoigne la présence des mouvements démocratique chinois dans la liste des « cinq poisons »11. Si le gouvernement chinois « joue la confrontation avec l’Ouest, et la séduction au Sud »12 pour s’imposer comme un modèle auprès des Suds, il tente aussi, en vain, de racheter son image en Occident. Bien que les pays du Sud adhèrent globalement à l’initiative chinoise de créer de nouvelles normes internationales neutres plutôt que favorables à la démocratie, le projet des nouvelles routes de la soie dévoile les failles du modèle chinois. Comme le rappelle Jean-Pierre Casteban, « les pays du Sud ont de plus en plus de mal à rembourser leurs dettes aux banques d’État chinoises, mais aussi parce que Pékin a besoin de financements plus importants pour soutenir la croissance intérieure ». Le piège de la dette apparaît alors véritablement comme une politique d’arrimage à la Chine de nombreux pays en développement. 1 : Unfavorable Views of China Reach Historic Highs in Many Countries https://www.pewresearch.org/global/2020/10/06/unfavorable-views-of-china-reach-historic-highs-in-many-countries/2 : Conférence “Défis et limites de la stratégie de communication du Parti communiste Chinois », Institut d’Études de Géopolitique Appliquée3 : Conférence donnée par Xi Jinping en mai 20164 : Chloé Foissard, Enjeux du débat sur les sciences sociales dans la Chine de Xi Jinping https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03122159/document5 : “ Ce qui est vrai ou faux, bon ou mauvais, ce qui devrait être mis en valeur, ce qui est légitime, ce sont les occidentaux qui l’imposent aux Chinois. C’est l’Occident qui détient à la fois le droit au savoir, le pouvoir et les ressources pour produire le savoir au sujet de la Chine, et donc le droit de construire la Chine à travers des productions discursives.”, Mobo Gao, « La fabrique de la Chine, déconstruction d’un discours occidental », Editions critiques, 20186 : 中国驻法国使馆发言人就法国军事学校战略研究所“中国影响力报告”答记者问https://www.163.com/dy/article/GKI7DPGG0514BIH4.html7 : LES OPÉRATIONS D’INFLUENCE CHINOISES ; Un moment machiavélien, Paul CHARON & Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER8 : Cette expression utilisée en Chine fait références à une série de défaites subies par la Chine au XIXe siècle. Ce siècle comprend notamment la France et le Royaume-Uni pendant les guerres de l’Opium. La défaite de la Chine a débouché sur la signature de traités inégaux.9 :  Le Consensus de Pékin est un terme décrivant la diplomatie et le modèle de développement proposé par la République populaire de Chine, en particulier auprès des pays en voie de développement.8 : Dr Camille BRUGIER Chercheuse Chine à l’IRSEM , « La diplomatie des « loups guerriers » ou la nouvelle politique de légitimation du Parti communiste chinois » https://www.irsem.fr/media/5-publications/notes-de-recherche-research-papers/nr-irsem-114-brugier-loups-guerriers-v2.pdf9 : https://asialyst.com/fr/2020/11/21/chine-quel-avenir-pour-wang-huning-deologue-chef-vizir-xi-jinping/10 : https://hedgehogreview.com/web-features/thr/posts/why-carl-schmitt-matters-to-china11 : Les « cinq poisons » sont cinq menaces perçues pour la stabilité du pouvoir du Parti communiste chinois. (Ouïghours, Tibétains, Falun Gong, « militants pro-démocratie », « indépendantistes taïwanais »)12 : Mathieu Duchâtel, cité dans Sébastien Falletti, « Pékin veut conquérir la planète par le Sud », Le Figaro, 2 juin 2021, p. 11.

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