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Le tombeau du JCPOA
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Par Baptistine Airiau, agrégée d’histoire

La reconduction des accords de Vienne sur le nucléaire iranien n’aura pas lieu. C’est en tout cas ce qui semble se profiler aux vues de la tournure que prennent les négociations viennoises actuellement suspendues par les plénipotentiaires iraniens – il s’agit de la troisième interruption en trois semaines, les précédentes étaient de fait européen. Plusieurs éléments expliquent cette haute probabilité d’un échec des négociations.

Le premier réside dans l’attitude des Iraniens. Ceux-ci semblent chercher volontairement à faire trainer les négociations par des atermoiements sans fin avec différents objectifs en perspectives. Selon les diplomates américains, il s’agit pour eux de gagner des délais supplémentaires afin d’avancer dans leur politique d’enrichissement de l’uranium sans avoir accepté de nouvelles visites des inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). En effet d’après les services de renseignement israéliens, il ne faudrait que quelques semaines à la République Islamique d’Iran avant d’avoir suffisamment d’uranium enrichi pour être en capacité d’atteindre le seuil de 90% permettant un usage à des fins militaires. L’Iran deviendrait alors un Etat dit du seuil, en mesure d’utiliser l’énergie nucléaire couplée à des missiles, et ce d’autant plus que ce pays possède des compétences balistiques non négligeables. Il lui faudrait ensuite entre un et deux ans pour mettre au point des missiles nucléaires opérationnels.

Suspendre les négociations suffisamment longtemps serait alors un moyen pour l’Iran de franchir un cap irréversible dans ses capacités nucléaires, cap vers lequel ce pays progresse à grands pas depuis que les Américains sont sortis de l’accord le 8 mai 2018. Ce coup d’éclat de Donald Trump a créé une situation préjudiciable à la fois pour les Iraniens et pour l’AIEA et donc pour le contrôle de l’usage du nucléaire par la communauté internationale. En effet, l’administration Trump a remis en place une forme de blocus portant le nom de sanctions économiques à l’égard de l’Iran, conduisant celui-ci en retour à contraindre les visites et les opérations de contrôle des inspecteurs de l’AIEA.

L’attitude iranienne pourrait également s’expliquer par le souhait d’acculer Américains et Européens en les menaçant d’atteindre ce fameux seuil afin d’obtenir la levée de ces sanctions économiques. L’enlisement des négociations serait alors volontaire. La situation économique du pays est en effet critique, conduisant à des contestations récurrentes de la part des populations et à un doute quant à la possibilité qu’a le régime de résorber les difficultés. De fait, se combinent les effets du coronavirus sur l’économie et ces fameuses sanctions relevant bien plus d’un blocus que d’un simple ciblage des officiels, dans la mesure où ces sanctions portent aussi sur les exportations de pétrole ; la population du pays est donc la première affectée. Les Américains font donc usage des sanctions comme de véritables armes d’une guerre qui ne dit pas son nom. Ainsi y a-t-il pour les dirigeants iraniens une forme d’impératif à obtenir la levée notamment de cet embargo sur le pétrole.

Cependant, plus encore que les attitudes iraniennes, américaines ou encore européennes c’est celle d’Israël qui semble la plus hostile au succès de telles négociations. Les Israéliens tentent actuellement de faire pression sur les Etats Unis afin qu’aucun accord ne soit conclu, alors même qu’ils ne sont pas dans le cercle des négociations. Cela rentre dans leur volonté de faire échouer toute forme de programme nucléaire iranien – civil comme militaire. Cette stratégie passe non seulement par un refus de tout compromis diplomatique liant développement civil et visites de l’AIEA mais également par des actions de guerre asymétrique. Au rang de celles-ci : frappes fréquentes sur des objectifs liés au nucléaire iranien ou encore attaques informatiques sur les systèmes des centrales iraniennes. À ce titre l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh en novembre 2020, portant la marque d’Israël et non revendiqué officiellement, est extrêmement significatif. En effet c’est bien un acteur civil aux responsabilités de premier ordre dans le programme nucléaire de la République islamique d’Iran qui a été tué lors d’une action planifiée au moins sur plusieurs mois. Le message envoyé était alors relativement clair : tous les moyens sont bons pour faire échouer l’avancée vers l’acquisition d’un potentiel nucléaire militaire, et bien davantage la force qu’une négociation que l’Etat d’Israël soupçonne d’être le masque d’une duplicité iranienne, car elle ne remet pas en cause une stratégie à long terme d’acquisition de capacités nucléaires militaires. Seul Israël est aussi déterminé à l’échec de ce programme dont la réussite viendrait remettre en cause, selon cet État, sa politique de dissuasion construite selon le complexe obsidional qu’il entretient avec ses voisins. Différents représentants de ce pays ont d’ailleurs évoqué à plusieurs reprises la possibilité d’entrer en guerre contre l’Iran si celui-ci avait la capacité de produire des missiles nucléaires.

Se pose alors la question des garanties que possède Israël s’il s’engage sur ce terrain qui pourrait s’avérer être glissant. En effet le parapluie américain ne leur est pas assuré dans un potentiel conflit avec l’Iran : il ne serait pas dans l’intérêt des Etats Unis d’intervenir militairement sur ce front. Non seulement ils cherchent à se désengager du Moyen-Orient mais en plus selon la Stratfor Worldview, les résultats d’une opération américaine en Iran seraient un vrai bourbier pour l’US Army[1]. Cependant la perspective de l’absence de soutien américain ne semble pas pour le moment arrêter Israël dans sa volonté de faire échouer un quelconque compromis sur le sujet. Sur ce point les Israéliens semblent servis à la fois par l’attitude iranienne – le maintien d’une ligne dure, par le calendrier des essais iraniens mais également par la majorité républicaine du Sénat américain qui risque très probablement de refuser la ratification du traité si traité il devait y avoir. Ainsi ces négociations à Vienne ressemblent-elles plus à des obsèques en grande pompe qu’à la résurrection d’un traité déjà moribond.


[1] Stratfor Worldview, « Why Invading Iran Is the Last Thing America Should Ever Do », 13 avril 2021, [en ligne] https://nationalinterest.org/blog/reboot/why-invading-iran-last-thing-america-should-ever-do-182531
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