Par Jérémie Ezerzer
[1] Cela en permettant notamment l’intégration d’entreprises nationales à l’écosystème Rafale.[2] Par ailleurs, lors des négociations pour la vente d’une centaine de Rafale à l’Inde, il a été établi qu’une partie de ceux-ci seraient fabriqués en Inde. Ces deux politiques donnent lieu à une situation paradoxale : aucun de nos voisins n’est équipé de Rafale. Lockheed Martin a annoncé qu’un accord avec l’Espagne autour de l’achat de 50 F35 allait être signé[3], tandis que l’Egypte, un pays dont le ministère des Affaires étrangère français a dénoncé les manquements aux droits de l’homme[4], formule sa deuxième commande. La communication du ministère des Affaires étrangères à l’égard du respect des droits de l’homme en Egypte nous invite à nous pencher sur un autre facteur expliquant cet engouement pour le Rafale à savoir, la considération que portent maintenant les gouvernements français et les chefs d’Etats aux contrats d’exportation. En effet, lors de la présidence de Nicolas Sarkozy, certains contrats avaient échappé au groupe industriel français du fait de la condamnation par le chef d’état de la politique menée par certains potentiels pays acheteurs. C’est notamment le cas de la Suisse que le président de la République avait qualifiée de paradis fiscal, mettant ainsi un terme aux négociations pourtant bien avancées avec Dassault Aviation.[5] A l’inverse, sous le mandat de François Hollande, l’industrie de l’armement n’a pas connu de revers de ce type. Le ministre de la Défense d’alors, Jean-Yves le Drian, a œuvré pour favoriser l’exportation de Rafale, allant même jusqu’à être qualifié de “super VRP”[6] par les acteurs de l’industrie de l’armement. Il en va de même pour Emmanuel Macron qui a travaillé à l’apaisement des tensions naissantes avec le Maréchal Al Sissi en invitant celui-ci à l’Elysée et en lui remettant la grand-croix de la Légion d’honneur.[7] Cette évolution de la considération portée par les chefs d’État français aux potentiels acheteurs de Rafale témoigne de la dimension politique prégnante des contrats d’armements de grande ampleur. La France réaffirme de la sorte son décalage historique à l’égard de l’hégémonie américaine en matière militaire, la vente de Rafale lui permettant par ailleurs de conserver son autonomie stratégique. Pour autant, cette vente à l’Egypte ne remet en cause la domination américaine sur le marché de l’armement. Malgré les ambitions plusieurs fois répétées de l’Europe de la Défense, nos voisins européens s’équipent très majoritairement de F35, témoignant ainsi de la permanence de la pression des Etats-Unis sur l’industrie militaire de ses alliés. Ce constat incite, dès lors, à s’interroger sur l’avenir du programme franco-germano-espagnol SCAF (Système de Combat Aérien du Futur).
Lundi 15 novembre, Dassault Aviation a publié un communiqué de presse annonçant l’officialisation de la vente de 30 Rafale à l’Egypte. Cette opération dont le montant avoisine les 3,75 milliards d’euros porte ainsi à 66 le nombre de commandes fermes à l’export du Rafale en 2021. Remarquable, pour un avion qui a longtemps eu la réputation de ne pas se vendre au-delà des frontières françaises. Il aura en effet fallu attendre 13 ans au fleuron de l’industrie aéronautique française pour commencer à s’exporter. En 2015, une commande égyptienne inaugurait déjà la première vente. Depuis lors, le Qatar, l’Inde, la Grèce et la Croatie ont commandé un total de 156 avions. Pour comprendre ce regain de popularité à l’international, il faut prendre en considération plusieurs facteurs, notamment la concurrence américaine incarnée par le F35 de Lockheed Martin. En effet, alors que le Rafale est un avion de génération 4+ (conçue entre l’année 1990 et 2000), le F35 appartient quant à lui à la génération 5 (conçue après l’année 2000). Son caractère récent apparaît comme étant une de ses forces, mais représente également une faiblesse majeure. Ce décalage technologique est un frein à son intégration dans des flottes essentiellement constituées d’avion de quatrième génération. De plus, bien que l’avion américain soit moins cher, il est vivement critiqué pour le coût potentiellement prohibitif de l’heure de vol qui avoisine les 25 000 dollars. Le Rafale a, quant à lui, l’atout d’être combat proven, c’est-à-dire d’avoir été utilisé sur de véritables théâtres d’opérations. Au contraire du F35, utilisé jusqu’à présent presque exclusivement lors d’exercices, le Rafale a déjà fait ses preuves en Libye et en Irak. En dépit de la supériorité technologique du F35, il n’apparaît pas évident de le préférer au Rafale français du fait de l’expérience et donc de la plus grande confiance accordée à ce dernier. Au-delà des considérations techniques relatives aux deux avions, il est nécessaire de s’intéresser à l’aspect diplomatique que revêtent ces contrats. Une commande de F35 crée une dépendance stratégique à l’égard des Etats-Unis. Ceux-ci conservent un droit de regard sur l’utilisation qui est faite des F35. Cette dépendance n’est ni nouvelle ni problématique pour la plupart des pays de l’OTAN dont la sujétion aux Etats-Unis est assumée dans le domaine militaire. Elle l’est en revanche pour d’arafeutres nations qui ne sont pas certaines de pouvoir conserver une relation de confiance avec les Etats Unis sur le long terme. L’achat d’avions de combat est un engagement courant sur au moins 30 ans. Par conséquent, il est nécessaire d’avoir une relation forte avec son fournisseur. Pour permettre au Rafale de tirer profit des faiblesses de la position américaine, le gouvernement français a décidé d’en prendre le contre-pied en proposant une politique d’exportation moins intrusive.