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Beauvau de la sécurité : une armure de parade ?
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Le 14 septembre dernier s’est achevé le Beauvau de la sécurité, débuté au mois de février de la même année. Le président de la République Emmanuel Macron, lors du discours de clôture, a annoncé une série de mesures pour « défendre la sécurité et les forces de sécurité intérieure »[1].

 

Les pistes évoquées semblent empreintes de pragmatisme ; pourtant, elles peinent à convaincre. Si le constat de leur nécessité – ou à tout le moins de leur opportunité – est établi de longue date, le président de la République et les ministres concernés sont restés évasifs quant à leur applicabilité.
Hormis les plus simples, comme celles qui consistent à doter les effectifs de la Police nationale d’uniformes neufs ou à limiter à 6 mois le délai séparant la réussite à un concours de la Police et l’intégration en école, ces propositions font par conséquent figure de promesses hâtives. Ainsi des engagements à « doubler sous 10 ans la présence des policiers et gendarmes sur la voie publique », ou à renforcer significativement les effectifs des réserves respectives de la police et de la gendarmerie. Et certains précédents, comme la réduction décriée de la formation des gardiens de la paix de 12 à 8 mois en 2020, annulée moins d’un an plus tard, laissent dubitatif lorsqu’Emmanuel Macron déclare qu’« on ne peut pas piloter une politique de sécurité à l’embardée ».

 

En outre, parmi les mesures annoncées, une réforme de la procédure pénale doit permettre de vaincre « le formalisme, la lourdeur des procédures » qui sont« l’ennemi commun de nos forces de sécurité et de nos magistrats ». Mais cette idée n’est pas neuve, et les réformes successives de la procédure pénale témoignant de l’incapacité du Législateur à attaquer le problème à la racine ont fini par lasser tant ceux qui l’appliquent – enquêteurs, magistrats, avocats – que ceux qui la commentent[2].
Il est cependant vrai que l’articulation entre la simplification de la procédure et le respect des principes fondamentaux du procès pénal est extrêmement délicate, et que de nombreuses tentatives de réforme ont été jugées incompatibles avec la Constitution ou le droit européen. Cette difficulté est particulièrement prégnante en ce qui concerne la délimitation des cadres d’enquête dont le président de la République a évoqué la « simplification drastique ».
Sous l’empire du code d’instruction criminelle de 1808, la flagrance était le seul cadre d’enquête légalement prévu, qui échappait au monopole inquisitorial du juge d’instruction. Une enquête « officieuse » à l’initiative du procureur de la République, qui préfigurait l’enquête préliminaire, est progressivement devenue courante. L’enquête préliminaire a été intégrée au code de procédure pénale de 1959 et s’est imposée comme la norme, l’enquête de flagrance étant réservée à des situations limitativement énumérées[3].
Or, le cadre de l’enquête de flagrance est bien plus permissif que celui de l’enquête préliminaire, qui est en quelque sorte une « enquête “consentie” »[4]. Et si le président de la République a délégué aux États généraux de la justice le soin de définir le contenu des réformes procédurales à venir, il est probable que la simplification des cadres d’enquête passe par un rapprochement – avoué ou non – de l’enquête préliminaire avec l’enquête de flagrance… qui risque de se heurter aux mêmes écueils que les tentatives des décennies précédentes.

 

Une autre proposition consisterait à créer une « instance de contrôle parlementaire des forces de l’ordre » tout en rendant publics les rapports de l’IGPN et de l’IGGN : un « contrôle plus strict et plus transparent » de l’activité des forces de l’ordre serait à même de se substituer à la « défiance généralisée » et au « soupçon permanent ».
Le plus grand flou règne néanmoins sur la forme et les prérogatives de cet organe de contrôle. Si Emmanuel Macron a mentionné le modèle de la délégation parlementaire au renseignement, la comparaison semble se restreindre à une question de forme : la délégation en question n’est pas une instance de contrôle, mais a pour mission de « suivre l’activité générale et les moyens des services de renseignement » et de présenter « des recommandations et des observations » au Président de la République ainsi qu’au Premier ministre[5]. En revanche, hormis la publication de leurs rapports, aucune réforme de l’IGPN et de l’IGGN n’a été évoquée, pas plus qu’une extension du contrôle externe de l’activité des forces de l’ordre réalisé par le Défenseur des droits.

 

L’ensemble présente donc un caractère hétéroclite, entre des mesures « à hauteur d’homme » semblables, dans l’esprit, à celles qui avaient participé à la popularité de la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025[6], et des chantiers aux airs d’indomptables serpents de mer.

 

 


[1] « Discours du Président de la République en clôture du Beauvau de la sécurité », 14 septembre 2021, www.elysee.fr/. Sauf indication contraire, toutes les citations de cet éditorial en sont tirées.
[2] Dorothée Goetz, « Chantiers de la justice : focus sur les deux rapports relatifs à la matière pénale », Dalloz actualité [en ligne], 18 janvier 2018 [consulté le 16 septembre 2021], www.dalloz.fr/.
[3] Art. 53 du code de procédure pénale.
[4] Pauline Le Monnier de Gouville, « La juridictionnalisation de l’enquête pénale », Les Cahiers de la Justice, vol. 1, n° 1, 2015, pp. 131-139.
[5] Présentation de la délégation parlementaire au renseignement [consulté le 16 septembre 2021], www2.assemblee-nationale.fr/.
[6] « La loi de programmation militaire a été conçue à hauteur d’homme », Présentation des vœux aux Armées par le ministre des Armées Florence Parly, 22 janvier 2020.
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