Par Ismaël Haidar
Le 18 février 2021, l’astromobile Perseverance s’est posée sur le sol martien. L’objectif de cette opération était d’explorer les environnements anciens de Mars, afin de renseigner son histoire géologique et de préparer de futures explorations humaines. Le succès de la mission spatiale Mars 2020, lancée en 2013 et développée par le Jet Propulsion Laboratory (JPL), centre de recherche spatiale de la NASA, marque un tournant dans la course pour la conquête de la planète rouge. Dès la décennie 1960, les puissances spatiales traditionnelles que sont les États-Unis et la Chine, puis dès 2000, l’Europe, la Chine, l’Inde et les Émirats arabes unis se sont engagés dans cette compétition spatiale.
À l’arrivée de Perseverance, le président de la République, Emmanuel Macron, s’est félicité de la présence d’un “bout de la France” sur Mars, grâce au partenariat franco-américain entre les équipes de l’Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP) de Toulouse pour le CNES et la NASA.[1] Ce partenariat s’inscrit dans une continuité de collaboration entre l’Europe et les Etats-Unis. Aux côtés de la NASA, l’Agence spatiale européenne (ESA) avait annoncé en octobre 2020, une pluie de contrats, correspondant sur la durée à 2,6 milliards d’euros d’engagements, aux industriels européens pour développer des équipements destinés aux futures missions d’exploration de la Lune et de Mars. [2]
Par ailleurs, la Russie et la Chine ont signé, le 9 mars dernier, un partenariat pour construire une station en orbite autour de la lune, comme préalable à des ambitions martiennes.[3] Ce projet de «Station scientifique lunaire internationale » sera mené par l’agence russe Roscosmos et l’administration spatiale chinoise (CNSA). Pékin a montré, jusqu’à présent, une politique spatiale très prometteuse, avec le lancement de la sonde Tianwen-1 le 23 juillet 2020, actuellement en orbite autour de Mars. Son objectif est de collecter des données sur la planète pendant deux ans.
S’il existe bien un partenariat stratégique entre Moscou et Pékin d’un côté, et entre l’Europe et les USA de l’autre, il est important de noter que les activités spatiales ne s’insèrent plus dans une logique bipolaire. Il existe une forte coopération internationale en matière de politique spatiale civile. Celle-ci est matérialisée par des accords de programmes et une communication tournée vers la recherche commune des États au profit de l’humanité. Le programme ExoMars est une preuve de cette évolution[4], regroupant deux missions martiennes développées par l’Agence spatiale européenne et l’agence spatiale russe Roscosmos. Si l’envoi de l’atterrisseur du programme, Schiaparelli, envoyé en mars 2016 fut finalement un échec[5], en raison d’une défaillance du freinage de l’appareil, le rover européen ExoMars, sera bien envoyé en 2022, via une fusée russe de Roscosmos. La Russie et la Chine ont appelé les autres États à s’investir dans leur partenariat pour la construction d’une station en orbite autour de la lune. Reposant sur le principe des « bénéfices partagés », le projet sera ouvert à « tous les pays intéressés et partenaires internationaux ».[6]
Ainsi, dans l’espace extraatmosphérique, s’il n’y a plus d’opposition directe entre les États, les manifestations de puissance n’ont pas pour autant disparues, prenant la forme d’une mise en scène des exploits techniques nationaux. En effet, les innovations scientifiques et technologiques, s’inscrivant dans une logique performative font l’objet d’intenses campagnes de promotion médiatique. L’Elysée a ainsi officiellement apposé l’étiquette “made in France” sur SuperCam appelée “les oreilles et yeux sur mars”, avec la conception du laser par le géant Thales ou de la tête du robot par un laboratoire d’astrophysique bordelais[7]. De son côté, la Maison Blanche a communiqué sur les réseaux sociaux la réussite de Mars2020, en qualifiant l’atterrissage de Perseverance comme un “moment historique dans l’exploration spatiale américaine”. Sous format vidéo, nous pouvons voir le nouveau président américain, Joe Biden, félicitant l’équipe de la NASA[8], tout en rappelant la grandeur des faits d’armes antérieurs américains et ceux à venir.
Le titre de “puissance spatiale” est également un objectif auquel tendent les nouveaux pays industrialisés. L’Inde fut le premier pays asiatique à envoyer une sonde en orbite sur Mars en 2014, suivant les pas des États-Unis, de l’Europe et de la Russie. Nouvel acteur du domaine spatial, les Émirats arabes unis, sont devenus la cinquième nation à s’installer autour de mars via sa sonde depuis le 9 février et se sont proclamés comme nouvelle puissance spatiale du monde arabo-musulman.
Acteur principal de la scène internationale, l’État connaît aujourd’hui des contestations et une compétition, notamment de la part d’acteurs non étatiques. Aussi, le domaine spatial, terra nullius exclusivement investi par les acteurs étatiques, apparaît comme l’espace international idéal pour les manifestations traditionnelles de puissance. Si celles-ci peuvent prendre la forme d’une mise en scène des prouesses techniques via les activités spatiales privées, l’espace est surtout un enjeu stratégique et militaire. Si le Traité du 27 janvier 1967 interdisait les usages non pacifiques de l’espace, le cadre international actuel, marqué par la multiplicité des acteurs du spatial et la résurgence de la conflictualité de haute intensité, peut contribuer à l’extension de l’insécurité internationale dans le domaine spatial.