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Effervescence insurrectionnelle à Bamako
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Les djembés et les dununs n’ont pas résonné ce dimanche à Bamako. La kora et le n’goni n’étaient pas au rendez-vous, les chants des jours de mariage ont laissé place à une violence peu commune dans la capitale. Vendredi 10 juillet se tenait la troisième grande manifestation organisée par le Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), contre le président IBK et son gouvernement. L’évènement a pris des allures de guerre civile lorsqu’après un appel explicite à la désobéissance civile, les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur la foule. Des barricades se sont formées sur les ponts et dans les rues, des incendies sporadiques se sont déclarés, et des édifices aussi emblématiques que l’Assemblée nationale et les locaux de la télévision nationale ont été investis et sérieusement dégradés par les manifestants. Les affrontements se sont poursuivis autour de la mosquée où prêche l’imam Dicko, principale figure du mouvement contestataire, et des groupes de jeunes ont continué à défier les forces de l’ordre jusqu’à la tombée de la nuit. En deux jours, six figures de l’opposition ont été interpelées, une dizaine de morts et un grand nombre de blessés ont été dénombrés. Cette fièvre insurrectionnelle et imprévisible fait redouter la dégradation d’une situation déjà alarmante.

 

 

Les évènements de ce week-end procèdent de discordes croissantes depuis les élections législatives qui se sont tenues en mars et avril 2020 et de l’invalidation d’un certain nombre de résultats par la Cour constitutionnelle. Le Mouvement du 5 Juin, une coalition composite, s’est en effet constituée autour de Mahmoud Dicko pour porter plusieurs revendications : le départ du président, la dissolution du Parlement et de la Cour constitutionnelle, la formation d’un gouvernement de transition chargé d’organiser de nouvelles élections et la nomination d’un Premier ministre issu du Mouvement. Malgré une première rencontre entre le gouvernement et le M5-RFP et quelques promesses, il aura fallu passer par les turbulences de cette fin de semaine pour voir se concrétiser les gestes d’apaisement de la part du gouvernement. Le président IBK a annoncé par un communiqué samedi soir la dissolution et le remplacement de la Cour constitutionnelle, ce qui conduirait à des législatives partielles dans les circonscriptions concernées. Mais cela n’est pas suffisant pour le M5-RFP, dont la colère se porte sur la personne même du président.

 

 

Les charges contre le président ne sont pas des moindres : mauvaise gouvernance et népotisme, détournement de fonds et corruption, vacuité du traité d’Alger, disparition de l’état au centre du pays, trafic des élections, intimidations et emprisonnements etc. Autant d’accusations qui fragilisent sa légitimité démocratique. Face à ce régime à bout de souffle et en pleine crise de confiance, Dicko a su fédérer les différentes oppositions et se pose en caution morale du mouvement. Il en donne pour preuve son refus de privilèges et de portefeuilles ministériels, proposés par IBK en échange de son retrait de la contestation. Choguel Kokala Maïga[1], l’un des leaders du M5-FRP, déclare à son sujet : « Mahmoud Dicko est un personnage controversé mais c’est un leader religieux charismatique, populiste et très investi dans le combat politique[2]. […] Son ascension est le symbole de l’échec de l’élite politique malienne. »

 

 

Au-delà de la tentation islamiste, la présence de Dicko dans la reconstruction malienne pourrait influencer l’avenir de l’opération Barkhane. Pour Serge Michailof, chercheur à l’Iris et ex-directeur des opérations de l’Agence française de développement, le religieux pourrait se révéler « un Khomeini malien »[3]. Il assure qu’en dépit d’incontestables succès tactiques, la France s’est enlisée au Mali, car la victoire définitive ne peut être obtenue qu’à la condition de la reconstruction de l’appareil régalien malien et de son armée. Or, actuellement, l’armée française est la seule à pouvoir tenir le terrain. « En mettant la France en première ligne et en apportant une garantie de survie au régime actuel, elle lui a permis de se dispenser des incontournables réformes de son appareil de sécurité. » La France, tout comme la communauté internationale, s’est révélée être une béquille sur laquelle s’est appuyé le régime d’IBK pour se maintenir. La condamnation de la politique française au Mali a largement été manifestée ces derniers temps, et il est plausible, si elle persistait, que la présence française soit durement remise en cause. « Ce serait le manifeste d’un désaveu de la politique menée par la France au Mali, mais aussi une porte de sortie offerte à « Barkhane », quand la situation semble sans issue ».

 

 

Notes :

[1] Ingénieur des télécommunications et ministre de l’Économie numérique, de l’Information et de la Communication de janvier 2015 à juillet 2016, Choguel Kokala Maïga fait partie des leaders de la contestation contre le président IBK.

[2] L’imam Dicko a été impliqué dans un grand nombre de négociations maliennes depuis les années 1990, comme médiateur, notamment entre certains mouvements contestataires et le régime de Moussa Traoré. Il a permis de bloquer l’adoption d’un nouveau code de la famille en 2008 et, il y a un an encore, il est parvenu à obtenir la démission du Premier ministre de l’époque, Soumeylou Boubèye Maïga.

[3] Le Monde Afrique, « L’imam Dicko peut offrir une porte de sortie à la France au Mali », 10 juillet 2020.

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