Par Margaux Sciandra
Vendredi dernier, les forces de sécurité irakiennes de la lutte contre le terrorisme (CTS) ont mené une opération de première envergure dans le quartier général des ”Kataëb Hezbollah”, au sein du district de Dora, au sud de Bagdad. Cette opération a permis l’arrestation d’une partie du personnel et d’une douzaine de miliciens ainsi que la réquisition d’une usine de lance-roquettes, armes régulièrement utilisées lors des récentes attaques depuis quelques semaines contre les sites militaires américains.
Quelques heures plus tard, en réponse à cette attaque, des centaines de membres des Kataëb Hezbollah et de ses forces alliées – dont Harakat Hezbollah al-Nujaba – sont entrés par effraction dans le bureau d’un service de la CTS, portant des menaces directes à l’encontre du Premier ministre et réclamant la libération des prisonniers.
Le chef de ces brigades pro-iraniennes, Abu Ali Al-Askari, accuse le nouveau Premier ministre irakien, Mustafa al-Kadhami d’être à la solde des Etats-Unis et de vouloir cacher sa part de responsabilité dans l’assassinat du commandant Soleimani.
Ces accusations s’inscrivent dans le cadre des actuelles négociations initiées le 11 juin dernier par les autorités irakiennes avec Washington autour de leur futur partenariat stratégique. Cette opération irakienne contre les forces pro-iranienne vise en effet à garantir à l’allié américain la capacité de l’Irak à assurer la protection et la sécurité des sites et des troupes américaines sur son sol en échange d’une importante aide économique. L’obtention du soutien financier des Américains comme de la communauté internationale constitue, pour Bagdad, une priorité afin d’endiguer la crise économique qui touche le pays, aggravée par la crise sanitaire liée au coronavirus et la diminution de la rente pétrolière.
Le FMI estime que l’économie irakienne devrait se contracter de 6% cette année avec un taux d’inflation de l’ordre de 34,2 % : ces chiffres alarmants sont susceptibles d’attiser une nouvelle fois la colère de la rue irakienne. Depuis novembre 2019, les manifestations irakiennes ont porté plusieurs revendications. Premièrement, l’ingérence iranienne dans le pays est dénoncée ; deuxièmement, c’est le système politique confessionnel qui est décrié.
A l’occasion d’une audition avec la représentante spéciale des Nations Unies pour l’Irak, Jeanine Hennis Plasschaert, le Premier ministre Kadhimi a réaffirmé son intention de finaliser l’établissement d’une constitution, et d’organiser de nouvelles élections parlementaires. Du reste, Kadhimi ambitionne de s’attaquer aux activités économiques illégales des partis politiques et des milices par le vote d’une nouvelle loi contre les réseaux de corruption.
D’après Ishan al Shammari, directeur de l’Iraqi Center for Polital Thought, l’opération orchestrée par le CTS ce vendredi est hautement symbolique et s’attaque à l’influence iranienne en Irak. Elle constitue une véritable démonstration de force de l’Etat irakien cherchant à établir un nouveau rapport de forces avec les factions armées dans le pays. Cela est d’autant plus nécessaire que ces derniers mois, de nouvelles milices ont vu le jour : Usbat al-Thairin, Ghabdhat al-Huda, Kaiteb Thourat al-Ishrin, Ashab al-Kahf, la brigade Thar al-Muhandis, tous des groupuscules proches des Kataëb Hezbollah et leur servant parfois de couverture lors de leurs attaques en Irak.
Cette opération s’inscrit dans un contexte particulièrement difficile pour ces milices pro-iraniennes basées en Irak. Depuis la mort de Soleimani, l’influence iranienne en Irak se fragilise, le nouveau chef de la Force Quds du Corps des gardiens de la révolution islamique iranien, Esmail Ghaani, semble se détourner de l’Irak au profit de la Syrie. Cette tendance semble confirmée par le récent voyage de Ghaani près de la ville frontalière d’Al-Bukamal, au bord de l’Euphrate, une zone clé pour le trafic d’armes iranien et qui abrite également la base de l’Imam Ali. Téhéran utilise ce couloir d’influence stratégique entre Al-Bukamal et Deir Ezzor pour déplacer des armes dans cette zone avec l’aide de son réseau de milices. Ce coup de force survient en tout cas après que les autorités irakiennes avaient émis plusieurs avertissements auprès de ces milices contre leurs attaques répétées en zone verte.
Sources:
https://www.lorientlejour.com/article/1223642
https://www.middleeastmonitor.com/20200627-iraq-hezbollah-brigades-threaten-pm/
https://www.middleeastmonitor.com/20200624-pm-iraq-to-hold-early-parliamentary-elections/