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En Libye, les déboires du maréchal Haftar
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Lundi 27 avril, le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’est libyen, déclarait sur la chaîne de télévision Libya al-Hadath TV accepter le « mandat du peuple » pour diriger seul le pays, et transférer dans la foulée tous les pouvoirs à l’armée tandis qu’un remaniement constitutionnel serait en cours d’élaboration.

 

Au cours de son allocution, Khalifa Haftar a également annoncé la fin des accords de Skhirat de 2015 qui avaient conduit à la naissance du Gouvernement d’Accord National (GAN) et à l’émergence de son principal opposant, Fayez al-Sarraj. Dès le lendemain, le GAN de Tripoli dénonçait une « farce » et un « nouveau coup d’État » du maréchal Haftar.

 

Deux jours plus tard, le porte-parole de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), Ahmed al-Mesmari, annonçait la « cessation des opérations militaires » et l’instauration d’une trêve pour le mois de Ramadan, répondant ainsi à l’appel conjoint de divers pays de l’UE et de l’ONU publié dans un communiqué du 25 avril. Trêve immédiatement rejetée par le GAN, qui a assuré ne pouvoir faire confiance au chef de l’ANL, et l’a récemment accusé d’exploiter cette fausse trêve pour introduire en Libye des renforts en armes et en mercenaires depuis l’Égypte et les Émirats arabes unis.

 

Ces annonces interviennent après un certain nombre de revers essuyés par l’ANL, les premiers depuis le lancement puis l’enlisement de son offensive sur Tripoli au printemps 2019. Il y a deux semaines, le 13 avril, les forces armées du GAN ont en effet repris les villes côtières de Sorman et Sabratha, à l’ouest de Tripoli, allégeant ainsi la pression sur les centres urbains stratégiques d’al-Zawiyah et Zuwarah. De même, à l’est, de violents combats ont fait reculer provisoirement l’ANL, menaçant la principale base arrière de Haftar en Tripolitaine, la ville de Tarhouna, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Tripoli. Enfin, les milices alliées au GAN ont repris le carrefour stratégique majeur d’Abou Greïn, sur la route de Syrte à Misrata.

 

Ces récents succès du GAN et de Fayez al-Sarraj s’expliquent en grande partie par l’implication croissante de la Turquie dans le conflit libyen aux côtés de son allié. Grâce au soutien aérien des drones turcs, qui multiplient les frappes aériennes sur les lignes de communication du maréchal Haftar en Tripolitaine, et aux mercenaires syriens envoyés en renfort depuis les zones d’Afrin et d’Idlib, le GNA a pu se dégager en desserrant l’étau des troupes et des milices pro-Haftar. Il est d’ailleurs probable que sans cet apport essentiel en armes, munitions et combattants, Tripoli serait déjà tombée dans l’escarcelle de l’ancien compagnon de route puis adversaire de Kadhafi, épaulé quant à lui sur le terrain par les contractorsde la société militaire privée russe Wagner.

 

Les analystes estiment donc que les récentes déclarations du maréchal Haftar, loin d’être inédites, ne visent en réalité qu’à dissimuler sous un rideau martial les récentes déconvenues de son armée. Cela pourrait également servir de message à l’intention des différentes parties prenantes au conflit, Khalifa Haftar s’intronisant définitivement comme seul et unique interlocuteur de l’est syrien, ce qui lui permettrait de renforcer son contrôle sur cette région et d’assurer ses arrières en cas d’échec devant Tripoli.

 

Les réactions internationales n’ont d’ailleurs pas tardé suite à cette annonce. Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, s’est dit « surpris » par les propos du maréchal libyen, tandis que le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, réaffirmait la position de Moscou selon laquelle la seule solution possible en Libye résidait dans la communication politique et diplomatique avec l’ensemble des acteurs. De son côté, la Turquie a affiché sa ferme intention de continuer à défendre le GAN, également soutenu par les membres de l’UE dont notamment l’Italie.

 

La diplomatie française a tenu à réitérer son attachement au « dialogue entre les parties sous l’égide des Nations unies », ainsi que son appel à une trêve humanitaire. Néanmoins, l’implication française en sous-main aux côtés du maréchal Haftar, qui ne s’en cache pas, est régulièrement pointée du doigt par les partenaires européens du Quai d’Orsay. Il semblait un temps que la position de la France oscillait entre celle du ministère des affaires étrangères, favorable au GAN et fidèle aux résolutions de l’ONU, et celle, à l’opposé, du ministère de la défense alors dirigé par Jean-Yves Le Drian, qui préconisait de miser sur le chef militaire de Cyrénaïque. De fait, l’intervention de forces spéciales françaises aux côtés du maréchal Haftar n’est plus qu’un secret de polichinelle pour les connaisseurs du dossier libyen, même si elle est toujours démentie par l’Élysée.

 

Il semble que la France, à l’instar de Washington, se soit donc officieusement alignée sur l’axe Égypte-Arabie saoudite-Émirats arabes unis, qui ont ouvertement soutenu le maréchal Haftar dans sa lutte contre l’État Islamique, notamment à Benghazi, et ont résolument pris parti pour ce dernier contre l’influence politique des Frères musulmans, soupçonnés de tirer les ficelles derrière le GAN de Fayez al-Sarraj. Ce dernier est en effet soutenu par les traditionnels sponsors des Frères à l’international, à savoir le Qatar et la Turquie.

 

Jean-Yves Le Drian, désormais ministre des Affaires étrangères, pourrait également voir dans le maréchal Haftar l’opportunité de ramener la Libye sous la coupe d’un pouvoir fort, ce qui favoriserait sa stabilité et par ricochet celle de la zone sahélienne où l’armée française est engagée depuis 2013.

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