Mercredi 22 avril, le corps iranien des Gardiens de la révolution (CGRI) a effectué, sans avertissement préalable, la mise en orbite basse (425 km d’altitude) de son satellite d’observation militaire Noor-1 à l’aide du tout nouveau lanceur Qased de conception nationale.
Ce succès, confirmé par l’attribution du numéro 45529 au satellite par les sites de suivi, fut vivement salué par le commandant en chef des CGRI, le général Hossein Salami : « Le lancement réussi de ce satellite a amélioré les nouvelles dimensions de la puissance de défense de la République islamique d’Iran ». Le général a poursuivi en indiquant qu’accéder à la technologie spatiale était une réalisation stratégique pour laquelle les sanctions américaines ne se sont pas révélées un obstacle [1].
Cet événement marque la fin d’une série d’échecs longue de cinq ans dans le domaine spatial pour l’Iran. Le dernier lancement réussi fut réalisé le 2 février 2015 à l’aide du lanceur Safir-1B+. Les six tentatives suivantes, deux sur lanceur Safir-1B+ et quatre sur le nouveau lanceur Simorgh, ont toutes échoué. Entre 2008 et 2020, ce sont 67% des lancements iraniens qui échouèrent. Une enquête publiée par le New York Times en février 2019 [2] révèle l’existence d’un programme secret américain créé sous la présidence de George W. Bush afin de saboter les essais iraniens dans le domaine spatial.
Autre indice venant à démontrer l’implication étatsunienne dans cette série d’échecs, le président Trump, à la suite de l’explosion sur le pas de tir du lanceur Safir-1B+ le 29 août 2019, a posté sur twitter une photographie confidentielle de l’endroit dévasté indiquant que les Etats-Unis n’étaient pour rien dans ce « catastrophique accident » [3]. Le message apparut d’autant plus étrange qu’aucune institution iranienne n’avait réalisé de communication à ce sujet.
A la suite de la mise en orbite ratée du satellite Zafar-1 en février 2020, le ministre iranien de la Défense, Amir Hatami, avait nié toute dimension militaire au programme spatial de son pays, indiquant au passage que le prochain satellite (Zafar-2) serait lancé sur Simorgh [4].
Cependant, alors que toutes les tentatives précédentes furent administrées par l’agence spatiale iranienne au sein du Centre spatial Imam Khomeini, le nouveau lanceur Qased fut employé par les Gardiens de la révolution au sein de la base de Shahroud tenue jusque là secrète.
Un rapport du Conseil de sécurité de l’ONU datant du 11 juin 2014 [5] indique bien qu’un lancement de missile avait eu lieu en 2013 sur un site localisé à 40 kilomètres de Shahroud. Cependant, le site en question, qui s’avère être la base de Shahroud, avait été considéré depuis comme dormant. Pourtant en 2018, le New York Times, s’appuyant sur les travaux du jeune chercheur Fabian Hinz [6], pointait du doigt le maintien de l’activité et le développement de la base [7]. L’enquête tendait à montrer qu’avant son décès en 2011 le général Hassan Tehrani Moghaddam, ancien chef d’état-major adjoint des CGRI et considéré comme le père des missiles balistiques iraniens, avait établi une base à Shahroud dans laquelle ses travaux furent poursuivis dans le plus grand secret.
Le lanceur Qased est composé de trois étages. Le premier d’entre eux a pour modèle le missile Shahab-3, lui-même basé sur le missile NoDong-1 nord-coréen [8], et fonctionne au propergol liquide. Tous les lanceurs spatiaux précédents avaient également leur premier étage dérivé du Shahab-3. Les deux autres étages fonctionnent avec du propergol solide. L’Iran employait déjà ce carburant pour plusieurs de ses missiles balistiques comme le Fateh-110 [9] et le Sajil [10], néanmoins Qased est le premier lanceur spatial iranien l’utilisant. Il s’agit là d’un succès technologique non-négligeable.
A l’inverse des propergols liquides, les propergols solides, stables à température ambiante, ne nécessitent pas d’infrastructures spécifiques pour être stockés. Aussi, il n’est pas besoin de les injecter juste avant le lancement et ils peuvent être conservés dans des contenants facilement dissimulables.
D’autre part, il est notable de constater que Qased est tracté depuis un Tracteur-Érecteur-Lanceur, le rendant mobile à l’instar des lanceurs Start-1 russe, Kuaizhou-1A et Longue Marche 11 chinois. L’utilisation d’un tel véhicule présente peu d’intérêt dans le cadre d’un programme spatial mais un intérêt certain dans le cadre d’une utilisation militaire.
Les technologies nécessaires à la réalisation d’un lanceur spatial et d’un missile balistique intercontinental étant transversales, Qased pourrait éventuellement être transformé en un missile de ce type, qui plus est mobile et dont la mise en exercice serait imprévisible. Face au lancement d’un missile balistique intercontinental, les puissances occidentales ne disposeraient que de très peu de temps pour apporter une réponse adéquate.
La menace est donc prise au sérieux. Mercredi, face à la démonstration technologique iranienne, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, a affirmé que l’Iran devra répondre de cet acte [11]. La France, de son côté, dénonce ce lancement comme une violation de la résolution 2231 [12] du Conseil de sécurité des Nations unies prise après la signature des accords de Vienne en 2015.
Ces accords, déjà chancelants à la suite du retrait unilatéral des Etats-Unis en 2018, pourraient bien devenir caduques. Fabian Hinz décrit ainsi la situation : « Maintenant que la politique de pression maximale est en place, l’Iran n’a plus grand chose à perdre » [13].
Si l’objectif de l’administration Trump, par le rétablissement des sanctions sur l’Iran, était de ramener ce dernier à négocier un nouvel accord limitant encore plus ses capacités militaires, force est de constater que cette stratégie diplomatique est un échec.
[2] https://www.nytimes.com/2019/02/13/us/politics/iran-missile-launch-failures.html
[6] Fabian Hinz est chercheur associé au Middlebury Institute of International Studies at Monterey et est spécialiste des programmes balistique et nucléaire iraniens.
[7] https://www.nytimes.com/2018/05/23/world/middleeast/iran-missiles.html
[8] https://fas.org/nuke/guide/iran/missile/shahab-3.htm
[9] Missile balistique à courte portée.
[10] Missile balistique à moyenne portée.
[12] Le paragraphe 3 de la déclaration finale (située en annexe B de la résolution 2231 du Conseil de sécurité) stipule que : « L’Iran est tenu de ne mener aucune activité liée aux missiles balistiques conçus pour pouvoir emporter des armes nucléaires, y compris les tirs recourant à la technologie des missiles balistiques, jusqu’au huitième anniversaire de la date d’adoption du Plan d’action ou jusqu’à la date de la présentation par l’AIEA d’un rapport confirmant la Conclusion élargie, si elle est antérieure. »