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En Libye, un pas chancelant vers la paix
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Un cessez-le-feu est entré en vigueur samedi, et les deux chefs adverses sont attendus à Moscou lundi pour la signature de l’accord. Cela intervient juste après l’annonce du soutien militaire turc au gouvernement libyen et la prise de Syrte par les forces du maréchal Haftar (le 6 janvier). Après une semaine frénétique et la menace d’une explosion régionale, la Libye connaît une accalmie précaire.

 

Le vide laissé par la mort de Kadhafi, 41 ans à la tête de l’État, a aspiré le pays dans une course au pouvoir meurtrière (30 000 morts depuis 2011). La rivalité qui oppose des cadres issus de l’ancien régime aux révolutionnaires a rapidement tourné à la lutte armée. Le pays est aujourd’hui partagé entre deux gouvernements, chacun soutenu par des troupes militaires : à Tobrouk, un parlement défendu par l’Armée nationale libyenne (ANL) avec à sa tête le maréchal Khalifa Haftar ; et Tripoli, pouvoir exécutif internationalement reconnu, appuyé par des milices. Alors que des conflits géographiques, ethniques, économiques et religieux amplifient le désordre, l’implication turque a poussé le maréchal rebelle à intensifier la pression. Se détachant de la capitale qu’il assiégeait depuis avril 2019, il a préféré envoyer ses forces à Syrte, ancien fief de Kadhafi puis de l’EI, et ouvrir une voie vers le bastion militaire d’Al-Sarraj, Misrata. Les rebelles, soutenus par des forces spéciales venues par la mer, ont commencé par s’emparer de l’aéroport avant de prendre la ville par cinq axes. En quelques heures ce fut la débandade pour les unités du gouvernement d’union nationale.

 

Lors de la prise de la ville, une salle de commandement turque d’envoi de drones a été détruite. Cet affront vient contrecarrer les espérances du président Erdogan, qui souhaitait dissuader Haftar par l’envoi de troupes en Libye. Le déploiement fut validé par le parlement turc le 2 janvier et annoncé le 6 par le président entre dans le cadre d’un accord de coopération militaire. Lequel concède l’accès et l’utilisation de zones maritimes abondantes en gaz, en échange d’un déploiement de troupes à la demande du gouvernement libyen. Ce traité a suscité de vives critiques sur la scène internationale. Le président de la commission de l’Union africaine considère que ces ingérences militaires et politiques dans les affaires intérieures libyennes « accroissent les risques de confrontation dont les mobiles n’ont rien à voir avec les intérêts fondamentaux du peuple libyen et ses aspirations à la liberté, la paix, la démocratie et le développement ». L’Union européenne, l’Algérie et les pays limitrophes lui ont emboité le pas, condamnant fortement une immixtion turque dont les répercussions pourraient affecter tout le Sahel. Du côté du Caire, la réponse ne s’est pas faite attendre. Une démonstration de puissance navale en mer Méditerranée a averti Ankara de la réprobation égyptienne. Impassible, la Turquie n’a guère semblé se soucier des démonstrations de forces avoisinantes, ni de l’incessant ballet diplomatique.

 

Pourtant, une amplification régionale est toujours à craindre, d’autant plus que si, officiellement, les États voisins appellent au cessez-le-feu, ils entretiennent le conflit en sous-main. Le spectre de la Syrie refait surface avec l’affrontement par pions interposés de puissances rivales. Si le soutien de Moscou au maréchal Haftar n’est pas aussi inconditionnel que celui dévolu à Assad, la Russie est bien présente pour pourvoir les rebelles en matériel et en mercenaires (société Wagner) aux côtés des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite et de l’Égypte. Outre la cabale diplomatique qui s’est formée contre Ankara et qui favorise en retour Haftar, une intervention turque viendrait bouleverser davantage l’échiquier régional. Par exemple, l’accord signé entre Alger et Ankara, faisant de la Turquie l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’Algérie, pourrait devenir caduc. Les exercices conjoints et les transferts de technologies qui maintenaient les forces algériennes au meilleur niveau seraient remisées.

 

Concernant l’Europe, dont l’un des enjeux est la pression migratoire, la situation ne semble pas meilleure. Officiellement, une neutralité collective est de mise. Ce qui n’empêche pas l’autorité européenne d’être réduite à peau de chagrin. L’Italie, qui jusqu’alors jouait un important rôle de médiation entre la Libye et l’Union européenne, a perdu toute consistance après un incident diplomatique le 8 janvier. Le premier ministre libyen Al-Sarraj qui était attendu au palais Chigi a claqué la porte avant le début de la rencontre, en découvrant la présence de son rival, ce dont il n’avait pas été informé. Le dialogue semble rompu. Quant à la France, son soutien au maréchal Haftar depuis 2015 a été pointé du doigt à plusieurs reprises. Autant d’éléments qui servent la Russie et la Turquie dont l’influence en Libye n’est plus à démontrer.

 

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