Mercredi dernier, la Turquie a signé une série d’accords avec le gouvernement de Fayez el-Sarraj sur les volets militaire sécuritaire et territorial. L’implication militaire de la Turquie en Libye passait déjà par une vente d’arme, notamment de drones et de véhicules blindés. Ces ventes auraient joué un rôle important dans la défense de Tripoli par le gouvernement Sarraj en avril 2019. L’accord de mercredi dernier étendrait ceux préexistants. Ainsi, la Turquie ne se limiterait plus à des ventes d’armes, mais l’accord stipulerait aussi des formations nouvelles pour l’armée libyenne par l’armée turque.
La présence de la Turquie en Libye, si elle se fait au nom de la solidarité musulmane, s’expliquerait davantage par la défense des investissements et des entreprises turcs du secteur de la construction. En défendant le gouvernement Fayez El-Sarraj, la République turque anticipe de futurs contrats pour la reconstruction du pays. Cet accord confirme une motivation économique de la Turquie pour son implication en Libye.
Cet accord a aussi une composante énergétique stratégique : il reconnaît un prolongement des frontières maritimes de la Turquie. Une telle manœuvre s’inscrit dans le sillage de la montée des tensions autour des gisements de gaz en Méditerranée orientale. Le gisement gazier au sud de l’île de Chypre, objet de ces tensions, contiendrait une réserve de 227 milliards de mètre cube de gaz naturel. Cela représenterait une valeur marchande de 44,8 milliards de dollar.
En tout, la Turquie a déployé deux vaisseaux de recherche géologique et de forage, le Yavuz et le Fatih, au nom de la souveraineté de Chypre Nord. Avec ces explorations et ces forages jugés illégaux et agressifs côté grec et côté européen, la Turquie se retrouvait à nouveau vivement critiquée sur la scène méditerranéenne. L’accord turco-libyen doit donc bouleverser le rapport de force sur ce théâtre, car il restreint e facto la coopération entre la Grèce et l’Egypte qui s’entendaient sur leurs revendications territoriales maritimes. Maintenant, la Grèce et l’Egypte devront faire face au tracé de ZEE concurrent, de la part de la Turquie et de la Libye de Fayez el-Sarraj.
Ainsi, l’accord turco-libyen stipule que la Turquie et la Libye sont désormais des voisins maritimes. Le territoire commun serait compris entre Fetiye en Turquie, et Derna-Tobruk-Bordia en Libye. La Grèce a contesté cet accord, soulignant qu’il ne prenait pas en compte les frontières maritimes autour de la Crète, et de l’île de Kastelorizo. La Turquie prend à nouveau le risque de s’isoler sur la scène méditerranéenne en passant un accord ambitieux mais légalement fragile avec un « allié » très contesté tant en Libye que sur la scène internationale, Fayez el-Sarraj.