Par Edouard Josse
Dans le climat morose de cette fin de décennie et dans une société fort heureusement déshabituée à la guerre et à la mort – la perte simultanée de treize jeunes Français a quelque chose de brutal et de bouleversant. Pour autant, le lourd bilan ne suffit pas à expliquer l’émotion profonde qui saisit le pays. Il faut dire que depuis l’attentat du Drakkar en 1983 au Liban (cinquante-huit morts), le bombardement de Bouaké en Côte d’Ivoire en 2004 (neuf morts) ou l’embuscade d’Uzbin en Afghanistan en 2008 (dix morts), la France a profondément changé. L’opinion publique n’est plus dans l’indignation, mais bien dans la reconnaissance. Les attentats de 2015 ne sont clairement pas étrangers à cette réappropriation du fait militaire et du sens de l’engagement. Tandis que les foyers de crise se sont rapprochés des rives méridionales et orientales de la Méditerranée, les Français ont pris conscience de la nécessité d’une défense de l’Europe aux avant-postes.
Ce lundi 25 novembre 2019, a eu lieu une opération « d’opportunité » suite à renseignement, visant un groupe djihadiste au sud d’In Delimane, dans le Liptako au Mali. C’est la composante commando de la force Barkhane, le groupement commando parachutiste (GCP) de la 11e brigade parachutiste et le groupement commando montagne (GCM) de la 27e brigade d’infanterie de montagne, qui intervient sur ce type d’opérations complexes dans le cadre d’une action conventionnelle de niveau tactique ; en complément de l’opération Sabre dédiée à l’action spéciale, à visée stratégique. Au titre des mandats Cobra (GCP) et Spartan (GCM), en auto-relève depuis des années, les soldats de ces équipes spécialisées, tout comme leurs camarades de l’ALAT, qui les héliportent et les appuient, possèdent les taux de déploiement parmi les plus élevés de l’armée française.
Débutée le 22 novembre, une action au sol avait été lancée par les opérateurs GCP en infiltration au sud de la route nationale reliant Gao à Ménaka. Arrivés sur zone trois jours plus tard, les commandos décèlent et observent un groupe de djihadistes et très rapidement prennent le contact par le feu avec l’ennemi. Un pick-up s’enfuit alors vers le nord et les commandos demandent un appui aérien pour l’intercepter.
Une patrouille de Mirage 2000 et un hélicoptère d’attaque Tigre sont envoyés en reconnaissance. Un hélicoptère Cougar, avec à son bord une équipe de six commandos montagne, est également engagé pour coordonner l’ensemble des moyens, en mesure de procéder à l’extraction immédiate des commandos au sol. Alors que la manœuvre de reconnaissance de l’oued est effectuée en vue d’engager l’ennemi, le Tigre et le Cougar entrent accidentellement en collision.
Nous perdons dans ce drame treize soldats animés par un inépuisable esprit guerrier. Il suffit de lire leurs états de service pour comprendre qu’il est parfaitement légitime de les désigner comme des héros. La mort met en lumière les actes de bravoure accomplis pendant leur vie. Des héros français donc. Treize fils de France aussi, aux parcours si différents et si riches. Celui-ci est légionnaire venu de loin ; untel est un enfant adopté né en Colombie ; celui-là vient d’un milieu modeste ; celui-là encore est le fils d’un sénateur et ancien ministre ; tandis que son frère d’arme est le fils d’un amiral major général de la Marine. La France aux mille visages et aux mille destins. On repense aux mots de Bainville sur le peuple français : « c’est une nation ». C’est ici qu’on mesure ce que cela signifie en vérité. La France comme patrie charnelle. La France, pour toujours, comme le disait Clemenceau, soldat de l’idéal.
Fidèles à leur promesse, ils sont allés au bout de leur devoir. Soyons dignes de ce qu’ils ont accompli pour nous et en notre nom, jusqu’à ce terrible accident. Soyons attentifs aussi aux vivants, à ceux qui restent, les familles meurtries, et à ceux qui poursuivent le combat.