Par Xavier Marié
Après le retrait américain du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI), leur implication dans un autre accord structurant l’architecture de sécurité internationale pourrait désormais se trouver sur la sellette.
En effet, selon Defense News, lors d’une récente réunion de l’Otan à Bruxelles, une délégation américaine a présenté une liste de points d’inquiétude relatifs au traité Open Skies, demandant une réponse des Alliés à ces derniers, sans quoi un retrait des Etats-Unis serait envisagé. Le traité Open Skies, signé en 2002, autorise le survol mutuel des 34 Etats signataires par des avions de reconnaissance.
Or, parmi les signataires se trouvent les Etats-Unis et la Russie. C’est bien cette dernière qui se trouve au cœur des inquiétudes américaines. Ainsi, la délégation américaine aurait présenté des preuves que Moscou utilise la couverture du traité pour recueillir du renseignement sur des infrastructures américaines sensibles, en particulier lors de vols de transit (durant ces derniers, les capteurs optiques doivent être désactivés, ce qui n’est naturellement pas vérifiable). Par exemple, lors d’un vol vers l’Allemagne, des appareils russes seraient susceptibles de filmer les infrastructures et le dispositif des forces américaines déployées en Pologne. Une autre critique américaine porte sur les restrictions apportées par Moscou quant aux survols de son territoire, en particulier à proximité de l’enclave de Kaliningrad (qui fait l’objet d’une montée en puissance des moyens militaires russes, en particulier via le déploiement de capacités A2/AD et de missiles balistiques courte/moyenne portée Iskander à capacité nucléaire) et des foyers de tension que sont l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. En réaction, Washington avait imposé des restrictions sur les survols de parties d’Hawaii (qui abrite notamment à Pearl Harbor les quartiers généraux et de nombreux navires de la flotte du Pacifique, ainsi qu’une base aérienne dotée de F-22 Raptor) et de l’Alaska (qui accueille l’un des deux sites de défense antimissile américains sur la base de Fort Greely). Plus largement, l’invasion russe de la Crimée en 2014 et la multiplication, voire la prolifération de satellites commerciaux dotés de capacités d’imagerie de haute résolution participent à rendre le traité obsolète selon Washington.
À cet égard, il convient de souligner que l’administration Trump, en sollicitant une réponse de ses Alliés, entend prévenir une décision unilatérale du président américain. De fait, la délégation était très large, comprenant des représentants du Pentagone, du Joint Chiefs of Staff, du département d’Etat et du Conseil de sécurité nationale.
Ce positionnement américain a rencontré une forte opposition de la part des Etats européens, qu’ils soient membres ou non, de l’Alliance atlantique. En effet, ils considèrent le traité Open Skies comme l’un des rares textes créant un canal de communication directe entre Washington et Moscou, favorisant ainsi la transparence et le dialogue entre les deux principales puissances nucléaires mondiales, mais également avec les autres Etats européens, dans un contexte de tensions accrues, notamment sur le théâtre européen et dans son environnement proche. Depuis les retraits successifs des Etats-Unis et de la Russie du traité FNI, le traité Open Skies demeure l’un des seuls accords de contrôle des armements, avec le traité de désarmement nucléaire New Start qui expirera en 2021. Un retrait américain viendrait encore davantage affaiblir l’architecture de sécurité internationale, déjà réduite à peau de chagrin. Deux démarches visant à défendre le texte auprès du Conseil de sécurité nationale ont été conduites, l’une regroupant plusieurs pays scandinaves, la Suède étant en pointe (son ministre de la Défense Peter Hultqvist a envoyé une lettre à son homologue américain Mark Esper pour lui demander de maintenir les Etats-Unis dans l’accord), l’autre regroupant la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Au-delà, le traité Open Skies suscite plusieurs questionnements. Un débat existe quant à la pertinence du renseignement recueilli au cours des vols de reconnaissance organisés par le traité au regard du développement de satellites civils d’imagerie. Au sein du Congrès américain, partisans et détracteurs du texte s’opposent, avec cette spécificité qu’une ligne de fracture existe également au sein des Républicains. Ainsi, les sénateurs républicains du Nebraska, Deb Fischer (président du sous-comité aux forces stratégiques) et Don Bacon (ancien général de l’US Air Force qui a commandé l’escadron chargé des vols de reconnaissance), ont apporté leur soutien au texte, se fondant notamment sur une lettre de l’ancien secrétaire à la Défense James Mattis qui estimait que les vols permis par Open Skies étaient plus nécessaires que jamais pour suivre l’activité russe en Ukraine. Une proposition de loi bipartisane a également été déposée, visant à demander à l’administration de certifier qu’un retrait de l’accord serait dans l’intérêt des Etats-Unis. A l’opposé, deux sénateurs républicains, Tom Cotton (président du sous-comité aéroterrestre) et Ted Cruz, ont présenté une proposition de loi visant à retirer les Etats-Unis du traité et à déclassifier un maximum d’informations sur les modalités selon lesquelles Moscou utilise le texte pour conduire des opérations préjudiciables aux intérêts américains. Du côté de la chambre, deux élus démocrates, Adam Smith (président du comité aux forces armées) et Eliot Engel (président du comité aux affaires étrangères), ont envoyé une lettre au Conseiller pour la Sécurité nationale afin que la Maison-Blanche clarifie sa position sur le traité, et afin de mettre un terme à l’exclusion du Congrès dans ces réflexions sur un enjeu stratégique.