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Nouvelle route de la soie et implication militaire chinoise en Afrique
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Par Louis Lafaurie

L’Afrique est aujourd’hui un nœud stratégique des futurs intérêts chinois. Elle est une composante clé du projet de nouvelle route de la soie, constitué d’un ensemble de liaisons maritimes et de voies ferroviaires reliant la Chine à l’Asie du Sud Est, au Golfe persique et à l’Europe, et qui s’étend donc désormais à l’Afrique. La Chine est ainsi devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique: les échanges commerciaux sont passés de 2,5 à 127 milliards d’euros entre 1995 et 2017.

L’implication croissante de Pékin en matière de sécurité sur le continent africain est à lire au regard de ces nouveaux intérêts chinois. Il s’agit pour la Chine d’assurer la protection des infrastructures et des 10 000 entreprises chinoises liées à cette nouvelle route de la soie, afin de garantir son approvisionnement en matières premières. Cette implication est un exemple de la nouvelle doctrine de l’armée chinoise qui se concentre, depuis 2009, sur la défense des intérêts nationaux et la sécurité des mers, faisant de l’armée un acteur de plus en plus présent à l’échelle mondiale. Le Forum sino-africain sur la défense et la sécurité qui s’est tenu du 26 juin au 10 juillet 2018 a défini les objectifs de l’implication militaire chinoise en Afrique, avec en priorités la lutte contre le terrorisme et contre la piraterie, et la protection des infrastructures et des ressortissants chinois.

Tout d’abord, la protection des intérêts chinois sur le continent africain repose sur la stratégie du «collier de perles», une stratégie maritime qui consiste à faire installer par la marine de guerre chinoise des points d’appui, commerciaux ou militaires, jusqu’en Afrique. Dans cette optique, le Golfe d’Aden fait l’objet d’une présence militaire chinoise renforcée, avec l’inauguration de la base militaire de Djibouti le 1er août 2017, qui occupe une importante position stratégique d’entrée vers l’Afrique de l’Est. Cette position stratégique explique les 14 milliards de dollars d’investissements chinois à Djibouti depuis 2017, ainsi que les 250 soldats qui y sont postés en permanence. Une présence plus importante est à attendre dans le futur, avec une projection de 10 000 soldats à l’horizon 2026, date à laquelle Pékin compte avoir transformé cette enclave en avant-poste militaire. D’autres bases militaires pourraient suivre; le projet le plus avancé étant à Walvis Bay, en Namibie.

Par ailleurs, cette stratégie de défense se réalise en grande partie dans un cadre bilatéral, avec un engagement coopératif militaire sino-africain approfondi dans plusieurs secteurs. Les ventes d’armes chinoises sur le continent africain sont en pleine croissance. Ainsi 33% de l’armement importé en Afrique provient de la Chine, et 22 pays africains achètent du matériel militaire chinois de toutes catégories : armes légères, chars d’assaut, véhicules de transport, avions de patrouille maritime, missiles et drones. L’engagement militaire chinois bilatéral en Afrique passe aussi par des manœuvres conjointes comme au Nigéria, au Ghana, ou encore au Gabon pour l’année 2018. Enfin, la Chine forme des militaires africains sur le territoire chinois, au sein de l’Académie militaire chinoise, de l’Académie de l’aviation des Forces aériennes et de l’Académie navale de Dalian.

Dans le même temps, il est intéressant de noter qu’au sein même du cadre multilatéral que sont les Nations Unies, la participation de la Chine aux opérations de maintien de la paix en Afrique vise avant tout à défendre ses propres intérêts. Ainsi, le déploiement du 6 ème bataillon de l’APL (Armée Populaire de Libération ) au Mali dans le cadre de MINUSMA (opération de maintien de la paix au Mali) vise essentiellement à assurer la protection d’infrastructures critiques et de personnel chinois. De plus, les casques bleus chinois sont les plus nombreux sur le continent avec une participation de 3000 hommes. La contribution chinoise est également financière : le Fonds ChineAfrique pour la paix et la sécurité soutient la Force africaine en attente (FAA) et la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises à hauteur de 100 millions de dollars.

 

Tant en matière économique que militaire ce développement n’est pas sans risque pour la relation entre les Etats africains et la Chine. Le modèle commercial chinois en Afrique est déjà critiqué par la communauté internationale, le FMI et la banque mondiale, qui dénoncent une stratégie de la dette. L’implication militaire crée désormais ses propres tensions. Ainsi, les formations chinoises et les coopérations sino-africaines dans le domaine militaire soulèvent le problème de deux styles de gouvernance antagoniques, entre une armée placée sous le contrôle législatif et civil dans la plupart des constitutions africaines, et une armée chinoise entièrement subordonnée au Parti. Dans le même temps, les services de sécurité privée appointés par la Chine sont en expansion sur le territoire africain afin d’accompagner le développement des infrastructures de la nouvelle route de la soie, soulevant la question d’une privatisation de la sécurité sur le territoire africain.

 

Ces implications militaires peuvent annoncer de futures tensions de souveraineté dans les pays africains accueillant les intérêts chinois, au-delà du simple domaine économique, puisque tout laisse à penser que l’emprise chinoise dans les secteurs militaires et de la sécurité va grandir parallèlement au développement de la nouvelle route de la soie.

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