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Tractations diplomatiques entre Turcs et Kurdes en Syrie
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Par le pôle Proche & Moyen-Orient, 

 

La montée en puissance des Forces Démocratiques Syriennes (F.D.S), alliance militaire arabo-kurde dominée par les Unités de Protection du Peuple kurde (Y.P.G) et soutenues dans la lutte contre l’Etat Islamique par la coalition internationale, ainsi que l’expansion de leur territoire le long de la frontière turque, a incité les interventions militaires turques en territoire syrien. L’émergence d’un Etat kurde est perçue comme une menace existentielle par Ankara, toujours en lutte contre le P.K.K (parti des travailleurs du Kurdistan turc). Les opérations militaires turques « Bouclier sur l’Euphrate » en 2017 puis « Rameau d’olivier » en 2018 ont jusqu’à présent empêché l’établissement d’un couloir kurde vers la mer Méditerranée.

 

Depuis la prise de Baghouz en mars 2019, symbolisant la fin de l’existence territoriale du Califat autoproclamé, les Kurdes cherchent à normaliser leur situation de fait, afin d’acquérir une certaine légitimité et reconnaissance internationale.

 

Au début du mois de mai 2019, Mazlum Abdi, général en chef des F.D.S, était entré en pourparlers indirects avec Ankara, se disant prêt à régler les litiges avec la Turquie sur les questions de sécurité de la frontière syro-turque. Il avait cependant posé une condition préalable : « Si l’État turc veut une solution politique, il doit rendre Afrin à son peuple. Sans le retour des habitants d’Afrin chez eux et le rétablissement de son statut normal, nous ne pourrons parvenir à une solution. » Abdi a ajouté de surcroît que la Turquie ne devait pas s’immiscer dans les affaires syriennes. Pour autant les pourparlers piétinent, les forces turques ont même déclenché une offensive préventive dans quelques villages du nord de la zone Kurde de Tal Rifaat.

 

Le 23 juin, le même général avait affirmé que les F.D.S étaient prêtes à discuter avec Damas. Un accord avec le régime syrien enlèverait aux Turcs toute légitimité à intervenir militairement en territoire syrien contre les Kurdes et ce alors que le processus entamé lors des accords d’Astana puis de Sotchi s’enraye – la poche d’Idlib échappant au contrôle turc et étant le théâtre d’affrontements et bombardements quotidiens.

 

Le 18 juillet, les forces militaires syriaques (M.F.S) alliées au Y.P.G publiait un communiqué appelant à une mobilisation d’urgence face à l’amassement de troupes turques sur la frontière turco-kurde. Des bombardements et autres escarmouchent ont eu lieu près de Halwanji au nord de Manbij. Parallèlement, des troupes kurdes ont tenté de s’infiltrer dans la zone d’occupation turque près de Miyassa.  Le 22 juillet, des incidents ont éclaté sur la frontière syro-turque entre les villes de Ceylanpinar (côté turc) et Sere Kaniye (côté kurde) où des tirs de roquettes ont été échangés. Les F.D.S ont nié toute responsabilité dans cette affaire, rejetant la faute sur un acteur isolé visant vraisemblablement à faire éclater le conflit.

 

Ce dernier incident est en lui-même emblématique de la situation, aucun des deux camps ne veut prendre le risque de provoquer une trop grande étincelle. Les enjeux sont trop importants et les équilibres bien précaires. Côté turc, un affrontement armé impacterait nécessairement la crédibilité et par là même la légitimité à intervenir sur le sol syrien, la menace d’offensive militaire à surtout pour but de faire avancer les discussions diplomatiques. Côté kurde, il s’agit évidemment de survie.

 

Les Etats-Unis ont d’ailleurs immédiatement réagi à cette brusque montée des tensions en cherchant une voie de médiation. Lors de sa dernière visite à Ankara le 22 juillet, Jim Jeffrey, envoyé spécial américain pour la Syrie, a obtenu peu de résultats, mais les Kurdes syriens ont, semble-t-il, transmis une proposition à l’agence de renseignement turque dans le cadre de contacts indirects négociés par Jeffrey.

 

Cette proposition semble avoir soulagé les Américains et leur a donné une marge de manœuvre face à Ankara. Selon Al-Monitor, la proposition se résumerait comme suit :

 

  • une zone tampon d’une profondeur de 30 km est inacceptable pour les Kurdes, mais 5 km serait envisageable
  • les YPGs, composante dominante des F.D.S. se retireraient de la zone et les forces d’un conseil militaire local s’y déploieraient
  • les YPGs sont prêts à retirer leurs armes lourdes de la zone, et seraient prêts à retirer leurs armes ayant une portée capable d’atteindre la Turquie, dont celles pouvant tirer jusqu’à 20 km
  • en contrepartie, la Turquie consent à la non-agression
  • une mission d’observateurs internationaux serait déployée dans la zone
  • la Turquie ne peut faire partie de cette mission qui devra être neutre
  • la Turquie ne pourra la rejoindre que sous les conditions suivantes : les habitants déplacés d’Afrin doivent pouvoir rentrer chez eux ; les civils et milices arrivés lors de la capture de la ville par la Turquie doivent partir ; les propriétés spoliées doivent être rendues ; le processus serait supervisé par le conseil civil d’Afrin et des garanties internationales. Si des progrès sur ces points sont constatés, la Turquie pourra alors patrouiller dans la zone.
  • néanmoins elle restera hors de portée des milices qui ont la faveur d’Ankara (les groupes ayant soutenu son opération Bouclier sur l’Euphrate), mais les civils de la zone pourront revenir.

 

De leur côté, les Turcs n’ont toujours pas renoncé au contrôle de Manbij.

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