Par François-Emmanuel Lacassagne
Les services de renseignement intriguent, leur caractère secret suscite la fascination. S’ils ont pu avoir l’image d’organismes omniscients, voire omnipotents, la lutte contre le terrorisme a remis ces visions en cause. Le mouvement de réformes de ces dernières années a fait du renseignement un objet politique presque comme un autre. Aussi nécessite-t-il un cap, une vision, une stratégie.
C’est précisément l’objet de la Stratégie nationale du renseignement (SNR), publiée le 15 juillet dernier. Mise en place par la loi du 18 décembre 2013, sa rédaction a été confiée au coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), lui-même placé sous la responsabilité directe du Président de la République.
La seconde version de la SNR a donc été publiée par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), instance placée sous la responsabilité du Premier ministre, en même temps qu’a été supprimée la première version, datant de 2014.
Le document, divisé en trois parties, présente tour à tour les enjeux prioritaires du renseignement, ses missions et ses perspectives. C’est un court texte de cadrage (12 pages) qui entre peu dans les détails et se veut très général. Il a fait l’objet d’une validation présidentielle après une série d’échanges interministériels.
Enjeux prioritaires
Sans surprise, la lutte contre les menaces terroristes apparaît comme la priorité des services de renseignement. Premier enjeu cité, cette lutte figure également dans les parties « missions » et « perspectives » du renseignement, au titre de la mission d’entrave et de la perspective de protection des populations.
Le second enjeu évoqué, « l’anticipation des crises et des risques de ruptures majeures », est nettement plus vaste, mais semble prendre acte des nombreux épisodes de colère jaune, sans pour autant citer le mouvement. Si le renseignement territorial n’est pas explicitement évoqué, il ne sera guère surprenant que cette nouvelle feuille deroute en préfigure le renforcement dans la mesure où sont évoqués la connaissance de la vie locale, celle des mouvements sociaux ou encore les liens avec les acteurs locaux (élus, associations, médias…). Par ailleurs, la dernière partie consacrée aux perspectives pour le renseignement évoque le « réinvestissement du renseignement territorial ».
La position du CNRLT à l’égard de la défense et la promotion de notre économie, troisième enjeu prioritaire, semble se vouloir particulièrement offensive. Les auteurs affirment ainsi que les services ont vocation à « contribuer à la diffusion auprès des acteurs économiques des informations stratégiques utiles à leur développement international », impliquant de facto un travail conjoint des services avec les industries nationales. Par ailleurs, la mention d’un suivi particulier des instances normatives surprend dans un document aussi général que celui-ci et pourrait montrer l’intérêt substantiel que portent les services à la défense des intérêts économiques nationaux.
Le quatrième et dernier enjeu prioritaire concerne la lutte contre les menaces transversales qui regroupent la menace cyber, les ingérences et l’espionnage, la criminalité organisée et la prolifération des armements (notamment des armes de destruction massive). Deux éléments méritent une attention plus particulière : l’affirmation de l’existence d’organisations criminelles, capables de concurrencer les Etats et le fait que la France soit une proie privilégiée en matière d’espionnage industriel.
Les missions des renseignements
Sans être révolutionnaire, la Stratégie nationale du renseignement divise en trois les missions des services : aide à la décision, entrave et promotion de nos intérêts. Si tout est ici classique, cette partie fait sourdre plusieurs interrogations : en séparant les « donneurs d’ordre » des « bénéficiaires » et en appelant plus loin à renforcer leurs interactions avec les services, se pose la question de la nature des destinataires du renseignement ;
Cette partie du texte mentionne des opérations militaires au titre de l’entrave ; celles-ci seraient exécutées dans le respect du droit des conflits armés et du droit international humanitaire. Se pose alors la question de la dichotomie entre le service action de la DGSE et les forces spéciales des armées, dans la mesure où le service action n’est pas censé opérer officiellement.
Des perspectives classiques pour les services
Cette dernière partie du document appelle à une poursuite des réformes engagées, notamment en matière de contrôle, de coordination et de décloisonnement. Elle identifie en outre un nouvel enjeu de coordination, au travers de la poursuite des mutualisations technologiques.
Les services sont également invités à s’ouvrir vers leurs pairs, nationaux comme étrangers, vers l’opinion publique et vers leurs « bénéficiaires ». Communication, coopération et interaction constituent ainsi une forme de triptyque, sur lequel les services doivent s’appuyer pour refondre leurs méthodes de travail et leur image.
Un document de cadrage éminemment politique
Ce document est volontairement large, très large. Il n’entre pas dans les détails, ni ne constitue une source d’information importante sur le fonctionnement des services ou ses missions concrètes. Il présente néanmoins le mérite de montrer, en creux, quelques inquiétudes de la communauté du renseignement.
La mention régulière, sous-entendue ou clairement affirmée, d’un respect des règles de droit, d’une adhésion pleine et entière au pacte républicain et d’un souci de garantir les libertés traduit le caractère éminemment politique de ce texte. La communauté du renseignement cherche ainsi peut-être à changer l’image que peuvent avoir les services auprès de l’opinion publique : liberticides, s’affranchissant parfois du droit et n’ayant pour mesure que la seule raison d’Etat.
Certaines mentions surprennent également. Ainsi, des groupes d’extrême droite et les Black blocs sont évoqués, les premiers au titre du terrorisme et les seconds dans le cadre des subversions violentes. Plus étonnante encore la présence des dérèglements climatiques aux côtés des crises politiques, économiques et sociales comme un « grand risque de crise internationale ». En évoquant ces sujets précis au sein d’un texte de cadrage, les renseignements paraissent vouloir donner l’image d’institutions en prise avec les enjeux politiques et sociétaux de l’époque.
Ainsi, malgré son appellation de « stratégie nationale », en dépit de la volonté d’en faire un texte de référence et de programmation quinquennale d’une politique publique, ce document apparaît plutôt comme un outil de communication à destination de l’opinion publique et de la presse.
Pour retrouver le document dans son intégralité : http://www.sgdsn.gouv.fr/evenement/strategie-nationale-du-renseignement-juillet-2019/.