Par Salomé Sifaoui et Clémence Cassé
Du 17 au 20 mars s’est déroulée une série de rencontres qui visait à renforcer l’alliance bilatérale entre le Brésil et les Etats-Unis.
Jair Bolsonaro s’est rendu à Washington accompagné d’une délégation de six personnes, dont ses ministres Sergio Moro (Justice), Paulo Guesdes (Economie) et Ernesto Araujo (Affaires Étrangères). Deux proches du Président étaient également présents, en raison de leur participation au rapprochement des deux pays, dont son fils, Eduardo Bolsonaro, en lien avec Steve Bannon (directeur de campagne puis ancien conseiller de Donald Trump et figure conservatrice influente et controversée).
Au programme de la visite du président Bolsonaro : une rencontre avec le secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains (OEA) Luis Almagro, une autre à l’ambassade brésilienne de Washington où il a pu s’entretenir avec Steve Bannon. La situation particulièrement critique au Venezuela et l’éventualité d’une utilisation par les Etats-Unis de la base spatiale d’Alcantara (située dans l’Etat de Maranhao, au nord du Brésil) furent au cœur des discussions ; la question de l’entrée et du statut brésilien dans les organisations internationales et régionales (OTAN, OCDE) a également été abordée.
La problématique du Venezuela s’est heurtée à la frilosité brésilienne face à la possibilité, non-exclue mais pour l’instant purement virtuelle, d’une intervention armée des Etats-Unis. De son côté, Jair Bolsonaro, tout comme ses homologues du Groupe de Lima (dont le Canada), se refuse à tout emploi de la force armée contre le régime de Nicolas Maduro. Un rapprochement bilatéral autour d’une ligne dure, du moins au plan diplomatique et rhétorique, demeure envisageable sur cette question, quoique Jair Bolsonaro soit resté, lors des différentes rencontres, très peu loquace sur la potentielle implication brésilienne si recours à la force il devait y avoir.
La base spatiale d’Alcantara : au fondement d’un partenariat stratégique ?
Sur le plan économique et industriel en revanche, les intérêts des deux Etats convergent davantage ; en témoigne le partenariat stratégique et commercial entre Etats-Unis et Brésil sur la base de lancement d’Alcantara qui s’inscrit dans une dynamique enclenchée dès janvier 2018. Cette dynamique s’est illustrée par l’alliance en cours des deux géants nationaux Embraer et Boeing. James Mattis, ancien secrétaire d’Etat américain à la Défense avait déjà appelé en août 2017 à renforcer les liens entre le Brésil et les Etats-Unis, évoquant ce partenariat.
Dans le même esprit, le projet d’utilisation de la base spatiale d’Alcantara par les Etats-Unis, outre un renforcement du lien bilatéral, s’inscrit dans une logique visant à contrebalancer l’influence chinoise grandissante en Amérique latine, en particulier en Argentine où Pékin dispose déjà d’un site d’observation spatiale.
Idéalement positionnée, la base d’Alcantara se situe à proximité de la ligne de l’Equateur, permettant ainsi de réaliser environ 30% d’économies de combustible lors des lancements. Si le projet devait aboutir, la base spatiale d’Alcantara rentrerait dans la liste des bases spatiales commerciales disponibles dans le monde (Cap Canaveral, Baïkonour, Kourou…). En outre, depuis 2000, des négociations sont ouvertes quant à un accord sur la protection des droits de propriété intellectuelle relatifs aux fusées et satellites, qui viserait à autoriser l’utilisation commerciale de la base dès 2020, selon Luiz Fernando de Aguilar, responsable du programme spatial brésilien à Alcantara. La principale réserve à l’égard de ce projet émane des militaires brésiliens qui craignent une perte de souveraineté, la base spatiale relevant en effet de l’autorité de la Force aérienne brésilienne.
Le Brésil dans les organisations internationales
La volonté, de la part de Brasilia, de marquer sa présence dans les organisations internationales fut également un point saillant de la visite présidentielle. S’adressant à ces homologues internationaux, mardi 19 mars, lors d’une conférence de presse, Donald Trump a affirmé soutenir le Brésil dans sa démarche de rapprochement avec l’OTAN. « Nous souhaitons étudier très attentivement tout ce qui concerne l’adhésion [du Brésil] à l’Otan ainsi que toute sorte de relation de partenariat du pays avec l’Alliance », a t-il déclaré. Il s’est également engagé à soutenir la candidature brésilienne à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Ce rapprochement avec l’OCDE permettrait au plus grand État d’Amérique latine de bénéficier de certains privilèges, comme celui d’acheter plus facilement de l’armement américain.
Donald Trump a même évoqué la possibilité qu’il soutienne le Brésil comme candidat au statut de membre à part entière au sein de l’Alliance. Aujourd’hui, en Amérique latine, seule la Colombie est affiliée à l’OTAN, et est devenue, l’année dernière, le premier « partenaire mondial » de l’Alliance en Amérique latine à l’issue de plusieurs années d’alliance et de coopération (participation colombienne à l’opération maritime de l’Union européenne Atalante de lutte contre la piraterie au large de la Corne de l’Afrique, entre autres).
Une adhésion de la Colombie à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a déjà été présentée comme impossible car ce pays ne satisfait pas aux critères d’adhésion. De fait, conformément à l’article 10 du traité fondateur de Washington, l’Alliance atlantique n’est ouverte qu’aux pays de la région nord de l’Atlantique.
La question est donc de savoir si cet argument sera à nouveau opposé à une éventuelle candidature brésilienne : bien que situé dans la partie sud de l’Atlantique, le Brésil possède une immense façade atlantique, contrairement à la Colombie qui s’ouvre sur la mer des Caraïbes (même si cette mer fait géographiquement partie de l’océan). C’est peut-être avec cet exemple en tête que le président Trump a affirmé que pour intégrer le Brésil à l’Otan, « il [lui] faudrait parler à beaucoup de monde ».
Certains membres de la communauté internationale se sont déjà prononcés sur cette question : Paris et Moscou ont tranché par la négative, brandissant rapidement l’argument de l’article 10 du traité nord-atlantique. « L’Otan est une alliance de nations liées par une clause de défense collective dont le traité de Washington (…) définit précisément le champ d’application géographique », a relevé Agnès von der Mühl, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères. De la même manière mais dans une perspective différente, son homologue russe, Sergueï Riabkov, a rappelé la signification de l’acronyme Otan, et la nécessité de se recentrer sur cette notion. Moscou est suffisamment préoccupée par l’extension de l’Otan en Europe pour être prête à accepter sans broncher la simple perspective d’un rapprochement entre l’alliance Atlantique et la première puissance latino-américaine.
Il n’en demeure pas moins certain que les deux Présidents ont mis en scène leur bonne entente et leur intention de rapprocher leurs deux Etats. A cet égard, le pro-américanisme de Jair Bolsonaro tranche résolument avec la tradition diplomatique brésilienne axée sur un partenariat sud-sud propre aux années Lula, se traduisant par le primat donné aux relations entre BRICS. Ainsi, dès son arrivée, le Président brésilien a visité la CIA, sans rancune pour le rôle joué par l’agence en Amérique latine au cours du XXe siècle et notamment dans le coup d’état de 1964 au Brésil. Une première, donc, que cette visite d’un chef d’état brésilien à Langley, d’autant plus que les derniers froids diplomatiques sont assez récents : les révélations d’Edward Snowden en 2013 avaient ainsi permis de mettre en lumière les opérations pratiquées par le renseignement américain au Brésil.
De cette rencontre, il ressort une asymétrie frappante : les concessions brésiliennes et les démonstrations plus que cordiales à l’égard de Donald Trump font face à des promesses américaines, qui ne se limiteront peut-être qu’à des éléments de langage, en particulier quand le mandat du 44ème président des Etats-Unis se termine dans un an et demi environ. Cet alignement total, au caractère contradictoire, pourrait présager des déconvenues diplomatiques pour le Brésil. De fait, cette configuration nouvelle obligerait Brasilia à rééquilibrer ses alliances, en particulier avec la Chine, en pleine guerre commerciale avec les Etats-Unis, alors même que Pékin constitue le premier partenaire commercial du Brésil (hors Union européenne), devant Washington. Ainsi, la fraternisation autour d’idéologies conservatrices convergentes, pleinement revendiquées durant le cours même de la rencontre, n’induit pas pour autant la cohérence d’une alliance, qui au regard des composantes nationales des deux Etats-continents et de leurs divergences d’intérêts et de moyens, pourrait s’avérer bancale, principalement au détriment du Brésil.