1) Panorama d’ensemble
La Maison-Blanche a présenté sa requête budgétaire pour l’année fiscale 2020. Ce document prévoit d’allouer 750Mds$ à la sécurité nationale, dont 718Mds$ iraient au Pentagone.
En termes d’activités, voici la répartition requise par l’exécutif :
– R&D/test et évaluation : 104Mds$
– Paiement des soldes : 156Mds$
– Acquisitions : 143Mds$
– Opérations/maintenances : 293Mds$
– Construction et logement des familles de militaires : 22,5Mds$
La ventilation par armée demandée est la suivante :
– US Army : 191Mds$ (soit une hausse de 12,5Mds$)
– US Navy : 206Mds$ (soit une hausse de 10Mds$)
– US Air Force : 205Mds$ (soit une hausse de 12Mds$)
En termes de matériels, voici les principaux points d’effort de la requête budgétaire :
– Domaine terrestre : 15Mds$ (dont 6402 véhicules tactiques et de combat ainsi que plus de 4000 JLTV – Joint Light Tactical Vehicles, dédiés au remplacement des Humvees)
– Domaine naval : 35Mds$ (dont près de 450M$ pour des navires autonomes de grande taille et 10Mds pour trois SNA de classe Virginia)
– Domaine aérien : 58Mds$ (dont 110 chasseurs de 4ème et 5ème génération ainsi que 12 ravitailleurs KC-46)
– Défense ABM : 13,6Mds$ (dont 1,7Mds pour des systèmes terrestres et 174M$ pour des systèmes d’alerte basés dans l’espace)
– Domaine nucléaire : 14Mds$ (dont 570M$ pour le futur bombardier B-21, 712M$ pour le missile LRSW – Long Range Standoff Weapon, missile de croisière air-sol à tête nucléaire – et 2,2 Mds$ pour le développement de la prochaine génération de SNLE de classe Columbia ; sans inclure le coût des têtes nucléaires qui relève de la National Nuclear Security Administration)
– Opérations spéciales : 3,4Mds$
La R&D fait l’objet d’un investissement majeur, avec 104Mds$, soit 9Mds$ supplémentaires par rapport à l’année fiscale 2019.
Ce montant inclut les points suivants :
– Drones et systèmes autonomes : 3,7Mds$ (incluant le développement de navires autonomes armés)
– Armements hypersoniques : 2,6Mds$
– Intelligence artificielle : 927M$ (incluant le controversé projet Maven)
– Lasers : 235M$
– Investissements scientifiques et technologiques : 14Mds$ (dont : 2,3Mds$ pour la recherche fondamentale, 5,3Mds$ pour la recherche appliquée et 6,5Mds$ pour le développement de technologies avancées)
Le domaine spatial se voit affecter 14Mds$, soit une hausse de 15%.
Cela inclut les aspects suivants :
– Mise en place de la Space Force : 72M$
– Mise en place de l’US Space Command : 84M$
– Mise en place de la Space Development Agency : 150M$ (voir brève à ce sujet)
2) Analyse des enjeux politiques et stratégiques
- a) Un délicat arbitrage entre réponse aux besoins opérationnels et préparation de l’avenir
Au sein de la requête budgétaire présidentielle pour l’année fiscale 2020, une large part devrait être consacrée aux armements lourds et d’avenir, dans l’optique de rattraper le potentiel retard des Etats-Unis sur la Chine et la Russie. Selon les mots de David Norquist, sous-secrétaire à la Défense, ce budget devrait intégrer les nouvelles ambitions américaines en matière d’espace et de cyber. Si bon nombre de projets ne pourraient voir le jour à court terme, l’année fiscale 2020 serait celle des technologies du futur, ce qui permettrait de sortir des ornières des programmes d’armement onéreux qui restent aujourd’hui fortement défendus par le Congrès. Ces investissements engagés sur l’année 2020 pourraient aboutir, selon Norquist, sous 70 ans pour le plus long projet en matière de recherche et développement, et dans un délai de 20 ans pour le développement du matériel.
Le contraste est pourtant flagrant entre les vues stratégiques de l’administration et la réalité opérationnelle des besoins des armées américaines. L’US Army, par la voie de son sous-secrétaire Ryan McCarthy, s’est ainsi montrée sceptique, alors même qu’au nom de la modernisation de l’armée de terre, le Pentagone a annoncé mettre un terme à 93 programmes d’armement et réduire l’ampleur de 93 autres qui restent pourtant nécessaires aux opérations en cours. Sont notamment concernés l’AMPV (Armored Multipurpose Vehicle) et le JLTV (Joint Light Tactical Vehicle), programmes majeurs destinés à remplacer respectivement le transport de troupes M-113 et le Humvee. Tout le paradoxe est là alors même que l’Army continue d’acheter et moderniser des véhicules destinés à ses opérations de lutte contre le terrorisme en Syrie et en Afghanistan, à défaut d’un potentiel conflit de haute intensité contre la Chine ou la Russie.
Le Pentagone a donc besoin avant tout de ressources financières pour engager ces investissements d’avenir tout en conservant un équilibre avec les besoins actuels liés aux opérations en cours. Dans sa requête présidentielle, Donald Trump demande ainsi une augmentation de 9% du budget alloué au développement des armes de nouvelle génération par rapport à l’année précédente. Quelles seront dès lors les priorités ?
Tout d’abord, il s’agit du développement d’armes hypersoniques, après les annonces tonitruantes de la Russie en la matière. Chacune des trois armées est en cours de développement de son propre vecteur hypersonique. Ces programmes devraient recevoir une augmentation de 200 M$ pour atteindre les 2,6 Mds$, dans l’objectif d’atteindre une enveloppe générale de 10 Mds$ sous cinq ans. En matière de défense contre les engins hypersoniques, la Missile Defense Agency demande dans ce budget 170 M$ dans le but de développer des satellites capable de suivre de tels missiles.
La deuxième technologie privilégiée est celle des véhicules autonomes, chacune des armées faisant plus que doubler son enveloppe en la matière : l’US Army requiert ainsi 115 M$ contre 74 l’année dernière, la Navy 143 millions contre seulement 44 millions. Il faut ajouter à cela les 671 M$ destinés au développement d’un porte-avions autonome !
Troisièmement, le développement de l’intelligence artificielle à usage militaire fait l’objet d’une requête budgétaire de 930 M$, dont le programme « Joint Artificial Intelligence » représenterait 200 millions et le projet Maven 221 millions.
Autre point clé des futurs investissements : le développement de différents missiles et notamment le « precision strike weapon » de la Navy qui recevrait 720 M$ contre seulement 90 l’année dernière.
Enfin, 9 milliards devraient être alloués aux programmes relevant du cyber.
Les demandes de l’US Air Force sont plus difficiles à lire derrière un semblant de baisse dans certains domaines (notamment dans celui des drones). Son budget général demandé est cependant en augmentation par rapport à 2019 et pourrait atteindre 166 Mds$. Il faut notamment mettre en avant le milliard de dollars requis pour le programme de « next-generation air dominance », qui désigne le développement d’avions de combat de sixième génération qui pourront être sans pilote. Le projet de bombardier à longue distance B-21 devrait également passer de 2,3 milliards à 3 Mds$, ce qui s’inscrit dans la dynamique de modernisation de la force de frappe nucléaire américaine. Le budget pour le développement des vecteurs ICBM devrait aussi passer de 410 M$ à 570 M$. Cette tendance marquerait dès lors un ralentissement dans les acquisitions d’avions prévues par l’USAF autour de 56 appareils pour 2020 (contre les 72 recommandés par l’État-major de l’US Air Force). Ces choix budgétaires expliqueraient en partie le recours aux F-15X (cf. précédente brève) au détriment d’une flotte aérienne qui se composerait uniquement d’avions de la cinquième génération.
Ce choix se retrouverait également du côté de la Navy dont les investissements se feraient au détriment du porte-avions USS Truman qui se trouverait retiré de la flotte américaine. Ce choix s’inscrirait, selon les déclarations de Patrick Shanahan, dans la préparation de l’éventualité d’un conflit avec la Chine : le porte-avions serait une cible facile pour les derniers missiles terrestres chinois (DF-21 notamment). De fait, si le porte-avions demeure une plateforme privilégiée pour conduire bon nombre de missions (notamment celles contre le terrorisme), certains estiment qu’il serait par trop vulnérable dans un conflit contre une puissance similaire à celle des Etats-Unis. Le budget 2020 permettrait dès lors à la Navy d’approfondir la gamme de ses moyens d’actions offensifs, allant des drones aux missiles (dont la conception se trouve facilité par la future sortie du traité INF).
Ces deux exemples, de la Navy et de l’US Air Force¸ illustrent l’esprit du nouveau modèle d’armée américain, dont l’année 2020 pourrait bien être le prodrome.
- b) Vers des négociations politiques serrées
Pour autant, la requête budgétaire présidentielle risque fort de rencontrer l’opposition de la Chambre et devrait ainsi faire l’objet de négociations et d’arbitrages qui s’annoncent houleux. Le premier point de blocage réside dans ce que l’opposition démocrate considère comme un artifice comptable. En effet, si la proposition de budget de la défense respecte le plafond législatif de 576Mds$, 164Mds$ supplémentaires sont alloués au fonds dédié au financement des opérations extérieures (OCO – overseas contingency operations).
Le deuxième point d’achoppement majeur a trait au financement du mur frontalier. De fait, sur les 9,2Mds$ dédiés aux dépenses d’urgence, il est estimé que plus d’un tiers (3,6Mds$) pourrait aller au financement des travaux de renforcement des infrastructures frontalières, ce que ne sauraient accepter les législateurs démocrates.
Dès lors, le budget du Pentagone pour 2020 devrait encore voir ses contours fortement évoluer au gré des négociations et arbitrages politiques qui s’annoncent ardus.