Par Suzanne Kaltenbach
Le 7 février 2019, la Rada (parlement Ukrainien) a adopté le texte définitif d’un projet de loi inscrivant dans la constitution ukrainienne l’objectif stratégique d’adhésion à l’OTAN et l’UE, l’irréversibilité de ce processus et l’affirmation de l’identité européenne de l’Ukraine. Les relations de l’Ukraine avec l’OTAN sont anciennes, malgré la proximité que le pays a longtemps entretenu avec la Russie. En 1994, l’Ukraine devenait ainsi le premier pays de la Communauté des États indépendants (CEI) à rejoindre le partenariat pour la paix de l’OTAN. Cependant, l’adhésion à l’OTAN n’a jamais été un objectif réalisable à court terme, aussi bien à cause des hésitations politiques en Ukraine, que de la réticence de l’organisation à accélérer le processus de candidature du pays.
Une coopération perturbée
Jusqu’au début du conflit ukrainien, la question de l’adhésion du pays à l’OTAN était loin de faire l’unanimité. Le soutien de la population à une adhésion restait naturellement beaucoup plus fort à l’Ouest du pays, et l’opposition demeurait quant à elle plus forte à l’Est. En 2006, des manifestations anti-OTAN avaient par exemple eu lieu dans la ville de Feodossia (Théodosie), en Crimée, perturbant des exercices conjoints entre l’Ukraine et les Etats-Unis. A partir de 2014, les sondages ont révélé que le soutien envers une adhésion à l’OTAN devenait beaucoup plus fort, même si la variabilité très importante des résultats et la difficulté de sonder les territoires proches du front rendent difficile une estimation précise de l’ampleur de ce soutien.
L’alternance de gouvernements pro et anti-occidentaux en Ukraine a conduit à un va-et-vient dans la position officielle du pays. Il faut cependant noter que même les gouvernements le plus pro-russes n’ont pas abandonné les programmes de coopération avec l’OTAN. Au début des années 2000, les relations diplomatiques entre l’Ukraine et les pays occidentaux se trouvaient fortement dégradées par le scandale des cassettes – une série d’enregistrements ou l’on entend le président ukrainien Leonid Koutchma avouer que l’Ukraine livre à l’Irak de Saddam Hussein du matériel militaire. Koutchma reposait alors de plus en plus sur la Russie, qui le soutient durant le scandale. Les relations très tendues avec un grand nombre de pays membres de l’Alliance écartaient ce faisant toute perspective d’adhésion.
Un projet d’adhésion qui divise
Après la fin de mandat de Koutchma, devenu très impopulaire, l’accession au pouvoir de Viktor Yushchenko a été marquée par son intention affichée de diriger l’Ukraine vers une adhésion à l’UE et l’OTAN le plus rapidement possible. Cette volonté politique est cependant à relativiser, à la fois du fait de l’absence d’une consensus fort sur la question, mais aussi à cause de l’insuffisance des réformes menées, de la réticence des pays de membres de l’OTAN, tout comme celle d’une partie de la population. En 2008, le parlement fût bloqué pendant plusieurs mois par l’opposition, qui refusait le projet de faire bénéficier l’Ukraine du membership action plan (MAP) – un programme d’assistance aux pays souhaitant rejoindre l’alliance.
En 2008, un sondage Gallup révélait que 43% de la population ukrainienne associait l’OTAN à une menace pour le pays. Une partie de l’Ukraine craignait en effet qu’une adhésion fasse de l’Ukraine un lieu d’affrontement entre la Russie et les pays membres de l’Alliance. La même année Vladimir Poutine annonçait en effet que la Russie pouvait orienter des missiles vers l’Ukraine, dans le cas ou le pays accepterait le déploiement sur son territoire de systèmes de défense anti-missile américains. Le président Yushchenko déclara d’ailleurs à plusieurs reprises que l’établissement de bases militaires étrangères sur le territoire ukrainien n’était pas envisageable, alors que le bail de certaines bases militaires russes devait expirer en 2017.
Côté OTAN, une certaine réticence à l’adhésion de l’Ukraine était exprimée par certains pays membres, dont la France et l’Allemagne. Finalement, l’Ukraine bénéficia d’un programme de l’OTAN destiné à aider l’Ukraine à entreprendre les réformes nécessaires à une adhésion future, comprenant par exemple des exercices militaires conjoints. Mais le programme ne fut pas considéré comme ayant le statut d’un membership action plan.
Le non-alignement inscrit dans la loi
L’alternance remit en cause la volonté politique du gouvernement d’intégrer l’OTAN. Avec l’arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch en février 2010, l’Ukraine adopta une position dite de non-alignement et l’inscrit dans la loi. L’objectif d’intégrer l’OTAN était supprimé de la stratégie de sécurité nationale. La même loi empêchait également l’Ukraine d’intégrer un “bloc” militaire, quel que soit son orientation politico-stratégique. En effet, le gouvernement essayait de jouer sur les deux tableaux, misant sur une coopération avec l’OTAN et la Russie. La relation avec l’OTAN, qualifiée de “partenariat” fut maintenue, ainsi que l’objectif d’une intégration européenne ; toutefois, la perspective d’une adhésion devait disparaître de l’agenda politique. Le président Ianoukovitch évoqua également la possibilité de négocier la prolongation du maintien de bases russe à Sébastopol.
Volonté politique et réformes
Après l’exil de Ianoukovitch, le gouvernement Yatsenyuk annonça qu’il n’avait pas l’intention de faire adhérer l’Ukraine à l’OTAN, d’autant que l’Ukraine restait légalement un pays non-aligné. En novembre 2014, le gouvernement de coalition revenait pourtant sur cette position, faisant de l’intégration de l’OTAN l’un de ses objectifs prioritaires. En décembre de la même année, la Rada vota alors la fin du non-alignement de l’Ukraine. Depuis, la présence de l’OTAN en Ukraine s’est renforcée, notamment via des exercices et des programmes de formation en relation avec l’armée américaine et polonaise.
L’Ukraine a également entrepris un ambitieux programme de réforme de l’armée et de sa mise en conformité avec les standards de l’OTAN, laquelle finance une partie de ces transformations. A cet égard, Petro Porochenko a annoncé en juillet 2017 qu’il souhaitait ouvrir des négociations pour faire rentrer l’Ukraine dans un membership action plan. Cet ensemble de décisions semble avoir été pris au sérieux par l’OTAN, qui a, en Mars 2018, ajoute l’Ukraine dans la liste des pays aspirant à être membres de l’organisation.
Le changement constitutionnel voté en ce mois de février intervient donc à un moment clé, où il existe en Ukraine une partie relativement puissante de la classe politique qui souhaite adhérer à l’OTAN, poussant un programme de réformes pour y parvenir effectivement, dans un contexte où les pays membres de l’Alliance semblent moins craindre que jamais de déplaire à Moscou. Cependant, la guerre en Ukraine et l’absence de perspectives de stabilisation à court terme, sans parler de l’inachèvement des réformes entreprises, restent un obstacle important à une adhésion immédiate. En 2016, Jean-Claude Juncker avait par exemple déclaré qu’il faudrait à l’Ukraine au moins une vingtaine d’années avant de pouvoir rejoindre l’UE et l’OTAN.