Lundi 28 janvier se tenait à N’Djamena une cérémonie d’hommage pour les dix Casques bleus tchadiens tués la semaine précédente au Mali. La commune d’Aguel’hoc a été en effet le théâtre d’une attaque violente, particulièrement bien coordonnée, menée par environ 150 terroristes, et revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les soldats ont été décorés par les autorités tchadiennes, mais aussi par le ministre malien de la Défense nationale, Tiémoko Sangaré. Cela a été l’occasion pour le Secrétaire général adjoint aux opérations de paix des Nations unies, Jean-Pierre Lacroix, de souligner qu’au service de la MINUSMA, le contingent tchadien compte le plus de pertes, avec un total de 61 soldats tués.
Rien de fortuit pourtant dans cette attaque : AQMI l’a explicitement relié à la visite de Benjamin Netanyahou au Tchad. Il faut donc y voir une réaction au rapprochement progressif qui s’opère entre N’djamena et Tel-Aviv. En novembre dernier, le président tchadien Idriss Déby se rendait en Israël, puis, ce fut au tour de Benjamin Netanyahou de visiter N’Djamena afin de consolider un processus de rapprochement diplomatique. Pourtant, en 1972, le Tchad avait annoncé sa rupture des relations avec Israël, dans la lignée d’une vingtaine de pays africains ayant mis un terme aux échanges avec Tel-Aviv, sous l’impulsion du colonel Mouammar Kadhafi. La collaboration perdurait sur le plan militaire : dans les années 1980, des armes et des formateurs en provenance d’Israël furent envoyés au Tchad afin de protéger le régime d’Hissène Habré. Son renversement par Idriss Déby n’y a rien changé : l’armée tchadienne recevait encore des blindés légers israéliens.
Néanmoins, les deux pays tentent aujourd’hui de normaliser leurs relations via la signature de plusieurs accords bilatéraux, dans un processus enclenché depuis janvier. Bien qu’Israël revendique son savoir-faire agricole en zone désertique, c’est surtout son expertise dans les technologies de surveillance, spécialement en matière de drones, et son industrie de l’armement, qui intéressent N’Djamena. Officiellement, les efforts de mutualisation des forces visent à endiguer le phénomène terroriste, mais la société civile s’inquiète de ce rapprochement, et notamment des technologies de contrôle de l’internet, alors que les réseaux sociaux sont coupés depuis le 28 mars 2018. Là réside sans doute le véritable enjeu de ce rapprochement. Idriss Déby se sait menacé, alors qu’il a modifié la constitution pour renforcer son pouvoir et qu’il compte bientôt 30 années passées à la tête du gouvernement. Comme ses homologues Paul Biya et Ali Bongo, il pourrait chercher à s’entourer d’un service de sécurité israélien, pour mieux se prémunir de la gronde populaire : au Nord, la rébellion du Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR) représente une menace aussi sérieuse que le terrorisme pour le régime de Déby.
D’autres pays africains voient dans l’Etat hébreu un allié de choix, à l’instar du Premier ministre malien, lequel a annoncé effectuer une visite prochaine en Israël. Au-delà des intérêts économiques, Tel-Aviv pourrait chercher à renouveler ses liens diplomatiques avec le G5 Sahel pour raffermir son influence au sein de l’ONU, mais aussi pour exercer un poids sur l’Organisation de la coopération islamique (OCI).