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Les conséquences de la démission du Secrétaire à la Défense James Mattis
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Par Xavier Marié

 

Jeudi 20 décembre, le Secrétaire à la Défense James Mattis a remis sa lettre de démission au président Donald Trump. Il devrait quitter ses fonctions vers la fin février. L’ancien général des Marines, tenu en très haute estime à la fois par le milieu militaire et le milieu politique, a justifié sa décision par ses divergences de vue avec le Président américain en matière de politique étrangère et de défense. De nombreux médias avancent que la décision unilatérale du président Trump de retirer les forces américaines de Syrie a joué un rôle majeur dans la démission de James Mattis, qui s’y était fermement opposé et avait échoué à convaincre le Président de renoncer à sa décision.

 

En effet, dans sa lettre de démission, ce dernier met en exergue l’importance des alliances dont bénéficient les Etats-Unis, citant pour exemple la coalition internationale contre Daech au Levant. Le Secrétaire à la Défense estime également que les Etats-Unis « doivent se montrer résolus et sans ambigüité dans leur relation avec les Etats dont les intérêts stratégiques sont de manière croissante en contradiction » avec ceux de Washington. Le pendant de cette approche est de « traiter les alliés avec respect » et de faire « tout ce qui est possible pour promouvoir un ordre international qui soit le plus propice à la sécurité, à la prospérité et aux valeurs [américaines] ».

 

Ses dissensions avec Donald Trump avaient revêtu une tournure plus marquée depuis plusieurs mois, la presse évoquant assez tôt la possibilité de son départ, notamment après qu’il a été qualifié par le Président américain de « sorte de démocrate », du fait de sa modération et de son approche équilibrée des relations internationales, qui n’empêchait pourtant pas une grande fermeté, en particulier face à la Russie et la Chine, comme en témoigne sa lettre. Un point de désaccord majeur avait notamment été la décision de Donald Trump de se retirer de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA).

 

Considéré de manière bipartisane comme un garde-fou face aux décisions parfois impulsives et imprévisibles du président Trump, James Mattis, par cette décision, s’inscrit dans la continuité des généraux H.R. McMaster (ancien Conseiller à la Sécurité nationale, remplacé par John Bolton) et Joseph Dunford (actuel Chef d’Etat-Major conjoint qui sera remplacé en septembre prochain par l’actuel Chef d’Etat-Major de l’Army, le général Mark Milley.

 

Cette personnalité va également être regrettée du côté de l’OTAN où il avait su entretenir le lien transatlantique malgré les velléités de son Président. Il était en cela un fervent partisan de l’Alliance comme il l’affirme dans sa lettre, rappelant au passage le soutien inconditionnel des nations européennes aux Etats-Unis après le 11 septembre. Oana Lungescu, porte-parole de l’Organisation a sobrement salué James Mattis, « respecté comme soldat et comme diplomate », qui a joué « un rôle-clé pour garder une OTAN forte et prête à affronter les défis de la sécurité ». Son rôle n’est pour autant pas terminé, et James Mattis devrait pouvoir participer à la prochaine réunion des Ministres de la Défense de l’Otan, ce qui lui permettra de s’atteler au dernier dossier important de son mandat, puisque l’ultimatum de 60 jours adressé par l’Otan à la Russie au regard de ce qui est considéré comme sa violation du traité INF sur les forces nucléaires intermédiaires devrait bientôt arriver à son échéance.

 

Les spéculations sont désormais ouvertes pour tenter de déterminer l’identité du remplaçant de James Mattis. Plusieurs noms ont été évoqués, parmi lesquels :

 

  • Patrick Shanahan, actuel Secrétaire-adjoint à la Défense, jouera indiscutablement un rôle clé dans le processus de transition. Peu connu du grand public, ce vétéran de l’industrie de la défense (Boeing) s’est pour l’instant concentré sur la réforme des dispositifs internes du Pentagone.
  • Jack Keane, ancien Vice-Chef d’Etat-Major de l’Army et l’un des favoris, a déclaré n’être pas intéressé par le poste.
  • Tom Cotton, sénateur républicain de l’Arkansas et vétéran des guerres d’Irak et d’Afghanistan. Soutien de la politique de défense du président Trump, il s’est néanmoins opposé aux différents plans de retrait des forces américaines déployées au Levant et en Afghanistan, ce qui pourrait jouer contre lui.
  • Richard Spencer, actuel Secrétaire à la Navy : ancien aviateur des Marines ayant ensuite eu une carrière dans le secteur privé, il a noué de longue date des liens avec le milieu de la défense. Son application de bonnes pratiques issues du secteur privé pour améliorer l’efficience de la Navy répond bien aux objectifs fixés par Donald Trump en matière d’efficacité.
  • Heather Wilson, actuelle Secrétaire à l’Air Force : vétéran de l’Air Force et ancienne parlementaire, elle allie à la fois expérience opérationnelle et familiarité avec les mécanismes politiques et législatifs. Des rumeurs de départ avaient circulé à son sujet en octobre suite à son opposition à la Maison-Blanche sur la Space Force, avant d’être démenties par l’administration et par les faits. Elle serait proche du Vice-Président Mike Pence.

 

Le président Trump pourrait enfin décider de procéder à un choix totalement discrétionnaire, portant sur une personnalité inconnue du grand public (comme cela s’est vu avec la nomination avortée de Ronny Jackson comme Secrétaire aux Affaires des Vétérans) et éventuellement en contradiction avec les avis de son Cabinet mais avec laquelle il aurait davantage d’affinités, à l’instar du choix du général Milley pour remplacer le Chef d’Etat-Major conjoint Dunford.

 

En tout état de cause, le départ de celui dont l’un des surnoms était le « moine-soldat », fervent partisan d’un appareil de défense aux capacités et ressources consolidées apte à faire face aux différentes menaces géostratégiques, tenant d’une ligne à la fois ferme et équilibrée, soucieux de ménager ses alliés tout en n’hésitant pas à mettre en cause ses adversaires, ouvre à n’en pas douter une ère d’imprévisibilité et d’instabilité encore accrue en matière de politique étrangère et de défense, dont les alliés de Washington devront tenir compte.

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