Now Reading:
Sahel : la France pourrait tirer profit de la rivalité entre l’Arabie saoudite et le Qatar
Full Article 5 minutes read

Sahel : la France pourrait tirer profit de la rivalité entre l’Arabie saoudite et le Qatar

Par Edouard Josse

 

Les 15 et 16 décembre, s’est déroulée la 18e édition du Forum de Doha, la « plateforme de débats » organisée annuellement par le Qatar sur les grandes questions internationales. L’émirat gazier est depuis 2017 le véritable paria de la péninsule arabique, soumis à un blocus économique, mis au ban par l’Arabie saoudite et ses alliés (Émirats arabes unis, Yémen, Bahreïn, Égypte) qui l’accusent de « soutien au terrorisme ». Un terme qui englobe bien évidemment l’Iran, avec lequel le Qatar serait trop complaisant.

 

Or le Qatar a parfaitement résisté à l’embargo saoudien qui s’est avéré contre-productif. Il a au contraire poussé l’émirat à réorganiser ses alliances en se rapprochant toujours plus de l’Iran, mais aussi de la Turquie. Désormais, le Qatar veut profiter de l’affaiblissement de Riyad, embourbé dans la guerre au Yémen et fragilisé par l’affaire Khashoggi. C’est dans ce contexte qu’intervient l’édition 2018 du Forum de Doha, marquant le grand retour diplomatique du Qatar. On note la venue d’intervenants de haut niveau, dont les présences très remarquées des ministres des Affaires étrangères iranien, Mohamed Zarif, et turc, Mevlut Cavusoglu, ou encore le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

 

La question de la sécurité au Sahel figurait en bonne place parmi les sujets de discussion abordés lors de ce forum. À l’occasion d’une table ronde, la diplomatie qatarie avait pris soin de convier de nombreux acteurs régionaux dont notamment Moussa Mara, ancien Premier ministre malien, Yéro Boly, ex-ministre de la défense burkinabè, ou bien Philip Carter, ancien ambassadeur américain en Côte d’Ivoire. Le panel s’est inscrit en cohérence avec l’approche qatarie qui se veut globale et non seulement militaire. La diplomatie qatarie entend contester la « militarisation » du Sahel, source d’instabilité selon elle. Une option dont elle dénonce le soutien par l’Arabie saoudite.

 

Cette analyse est probablement excessive, mais elle comporte une part de vérité. Le soutien financier promis par Riyad au G5 Sahel s’attache en effet essentiellement au volet militaire. L’implication de l’Arabie saoudite au Sahel est d’ailleurs largement facilitée par la France, en échange de contrats au profit de l’industrie de défense française. Les 100 millions de dollars saoudiens devraient donc financer l’acquisition de matériels français, notamment des véhicules Aravis de Nexter (déjà utilisés par les unités génie de Barkhane en BSS et par le COS en Syrie). Le concurrent Arquus qui propose son véhicule Bastion pour les forces spéciales, cherche également à placer son produit grâce au financement saoudien.

 

Pour autant, outre le fait de dénoncer l’action des Saoudiens, le Qatar ne semble pas poursuivre de stratégie bien définie au Sahel ni dans le reste de l’Afrique subsaharienne. Sa diplomatie est essentiellement humanitaire et religieuse. Par le passé, la principale ONG qatarie, Qatar Charity, a été accusée d’avoir apporté une aide financière à des groupes djihadistes au Sahel, mais aucune preuve n’a jamais été apportée pour étayer de telles accusations. Il est clair que l’Arabie saoudite n’est pas étrangère à ces rumeurs qui visent à déstabiliser Doha. En matière de défense et de sécurité, l’émirat devrait donc rester en retrait, de crainte que ses actions ne donnent lieu à interprétation. Le précédent de la Libye est encore dans toutes les mémoires, où le soutien du Qatar aux Frères musulmans avait été très critiqué.

 

De plus, le Qatar n’est pas vraiment en odeur de sainteté auprès des États du G5 Sahel. Les deux poids lourds de l’alliance, la Mauritanie et le Tchad, soutiennent fermement la ligne saoudo-émiratie. De fortes tensions diplomatiques avaient d’ailleurs opposé le Tchad au Qatar en 2017, dans le sillage de la crise avec l’Arabie saoudite, au motif que l’émirat tenterait de déstabiliser le régime tchadien en accueillant sur son territoire Timan Erdimi, ancien directeur de cabinet du président Idriss Déby devenu opposant politique. Le Niger suit également cette ligne pro-saoudienne, tout comme le Sénégal qui s’il n’est pas membre du G5 Sahel n’en est pas moins un acteur incontournable de la région. Néanmoins, la forte pression exercée par Riyad sur le Mali et le Burkina Faso n’a pas donné les résultats escomptés. Bamako et Ouagadougou, qui ont récemment ouvert des représentations diplomatiques à Doha n’ont pas jugé opportun d’annihiler leurs chances de recevoir de potentiels investissements qataris. À cet égard, la présence de la ministre malienne des Affaires étrangères, Kamisssa Camara, au Forum de Doha n’est pas passée inaperçue.

 

Quant à la France, bien qu’alliée de l’Arabie saoudite, elle ménage ses relations avec le Qatar. Et pour cause, si les échanges commerciaux avec l’émirat sont bien moins importants en valeur qu’avec l’Arabie saoudite ou avec les EAU, notre solde commercial vis-à-vis du Qatar est largement excédentaire. Le Qatar constitue ainsi le 8e excédent commercial de la France en 2017, à 1,3 milliards d’euros. La France n’entend donc absolument pas lâcher ce très bon client, mais plutôt profiter de la crise du Golfe pour faire avancer ses intérêts au Sahel.

 

Le retour diplomatique du Qatar – qui vient de quitter l’OPEP – et l’affaiblissement de l’Arabie saoudite est de nature à exacerber la rivalité entre les deux camps qui s’affrontent sur tous les dossiers internationaux. Paris voit dans cette crise une opportunité à saisir pour enclencher une dynamique de désengagement militaire et financier, à travers notamment l’équipement et donc l’opérationnalisation de la force conjointe du G5 Sahel.

Input your search keywords and press Enter.