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L’Etat Islamique est-il toujours une menace sérieuse ? L’opération Roundup et la résistance djihadiste
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Par Cyril Blanchard,

 

 

L’opération Roundup[1], lancée en mai par les Forces Démocratiques Syriennes (F.D.S. coalition arabo-kurde), se donne pour objectif de mettre un terme à la présence effective de l’organisation Etat Islamique (E.I.) sur la rive orientale de l’Euphrate. La progression est prudente, en raison de la résistance adverse. Mais dès juillet, lors de la phase II de l’opération, les forces de l’organisation sont chassées de la province de Hassaké au nord de Deir Ezzor puis la frontière avec l’Irak est sécurisée en août. L’emprise de l’E.I. se limite alors à trois villes le long de l’Euphrate – Hajin, al-Chafah et al-Soussah – et quelques localités proches. La phase III, visant à l’éviction finale des forces de l’organisation dans cette poche, débute alors le 10 septembre. Néanmoins, celle-ci va buter à partir de la mi-octobre sur une succession de contre-offensives des combattants jihadistes. Il convient alors de s’interroger sur les capacités opérationnelles restantes de l’E.I., qui, si elles semblent aujourd’hui affaiblies, ne lui permettent pas moins de subsister et de mener périodiquement des offensives.

 

Les opérations

 

Débutée le 10 septembre 2018, la phase III de l’opération Roundup a pour objectif la réduction de l’ultime poche de résistance de l’organisation entre Hajin au nord et Baghuz-Farqawi au sud. Les Forces Démocratiques Syriennes (F.D.S) ont déployé à cet effet plus de 6000 hommes[2], soutenus par l’aviation et l’artillerie de la coalition anti-E.I.. Ces troupes avancent lentement en raison d’une résistance acharnée des membres de Daesh. Au nord, les alentours de la ville de Hajin sont le théâtre d’âpres combats, tandis qu’au sud, les F.D.S. progressent sur l’axe Baghuz-Fawqani – Ash-Shajlah, et que de féroces affrontements urbains éclatent dans la ville d’as-Susah.

 

Les forces de l’E.I. lancent par intermittence des contre-offensives ralentissant l’avancée alliée et provoquant des pertes sensibles. Le mois d’octobre tout particulièrement est marqué par deux de ces épisodes offensifs. Du 10 au 14, une première série d’assauts simultanés des jihadistes fragilise la progression des F.D.S. près de Hajin et affaiblit leurs lignes au sud. Mais c’est entre le 28 et le 30 octobre que les forces de l’opération Roundup subissent une série de coups durs : l’ensemble de l’avancée territoriale au sud est balayée. Les forces de Daech parviennent à reprendre les localités de Baghuz-Fawqani et de Ash-Shajlah. Toute la progression des F.D.S. effectuée depuis le début de la phase III est ainsi rendue nulle. Pire, la frontière irakienne, pourtant sécurisée depuis août, est atteinte par les forces de l’E.I.. L’opération Roundup est alors suspendue, d’autant que la Turquie a bombardé plusieurs positions kurdes à la frontière syrano-turque entre le 28 et le 31 octobre, obligeant à un détournement d’attention vers ce théâtre[3]. Du début à la mi-novembre, l’offensive est donc mise en pause. Durant ce même laps de temps, les frappes de la coalition se sont multipliées, souvent au prix de victimes collatérales, pour affaiblir les troupes islamistes ayant certainement mis à profit ce répit pour se fortifier d’avantage. Du 4 au 10 novembre, ce sont ainsi 150 frappes qui ont été effectuées en Syrie, principalement dans la région de Hajin. Les forces irakiennes apportent aussi leur concours à ces frappes, la frontière étant menacée.

Carte de l’opération Roundup dans la région de Hajin en octobre 2018, au moment de l’avancée maximale des F.D.S. et le début des contre-offensives des jihadistes. Les signets ronds correspondent aux affrontements armés, ceux carrés aux frappes effectuées et les flèches aux offensives. La couleur renvoie directement à l’instigateur de l’action : bleu : les F.D.S. et la coalition ; vert : l’Armée Arabe Syrienne ; rouge : l’armée et les milices irakiennes ; noir : Daech (umap.openstreetmap.fr / Blanchard Cyril)

 

État de l’opération Roundup au 21 novembre 2018. Notez la présence irakienne au niveau de la frontière pour la sécuriser ainsi que les frappes menées par l’ensemble des acteurs (S.A.A., Armée Irakienne, Coalition). Daech a mené à plusieurs reprises des actions contre la ville de Abu Kamal en zone loyaliste,mais aussi au nord de Hajin où les combats contre les F.D.S. sont particulièrement violents, soulignant sa capacité à multiplier les fronts pour desserrer l’étau qui l’enclave. (umap.openstreetmap.fr / Blanchard Cyril)

 

Stratégies et capacités opérationnelles de l’E.I.

 

Il est difficile de définir les effectifs précis des forces de l’organisation. Des estimations de 1 500 à 2000 hommes ont été plusieurs fois avancées, notamment par l’Etat-Major des Armées français[4] et le Département de la Défense américain[5]. Quoiqu’il en soit, le vivier d’hommes est forcément restreint, puisque d’une part, l’opération ayant débuté il y a plusieurs mois, les enrôlements forcés ont probablement décru et d’autre part, alors que les volontaires pour rejoindre Daech ne seraient plus qu’une centaine par mois, encore faudrait-il que ceux qui s’enrôlent pussent atteindre la poche de Hajin.

 

Pour compenser une telle infériorité numérique, les effectifs et matériels disponibles sont donc utilisés avec parcimonie : les petites unités sont généralement privilégiées aux grosses concentrations de combattants, pour ne pas offrir de cibles faciles aux frappes de la coalition. Il est impossible de chiffrer le nombre de véhicules dont dispose l’Etat Islamique, bien que des colonnes aient été aperçues lors de ses contre-offensives. Quoiqu’il en soit, ceux à disposition sont employés en soutien lorsque les conditions le permettent : ils restent en effet une cible de choix pour la coalition. Contre les F.D.S, l’usage de Suicide Vehicle Borne Improvised Explosive Devices   (S.V.B.I.E.D.), et d’Engins Explosifs Improvisés, de mortiers et de tireurs d’élite permettent d’infliger des pertes à moindre frais. L’utilisation de tunnels et l’incendie de pneus permettent en outre de protéger les déplacements, en les dissimulant et en gênant la visibilité adverse.

 

La présence de cellules dormantes sur les arrières adverses, ainsi que d’unités infiltrées, ont ajouté à la confusion et renforcé le sentiment d’insécurité dans les zones récemment libérées. La stratégie d’usure à base de tactiques irrégulières porte donc ses fruits : la connaissance du terrain, la posture défensive, le brouillard de guerre avantagent l’E.I. et lui évitent d’exposer trop de combattants. Par ailleurs, les forces de l’organisation ont aussi bombardé occasionnellement l’Armée Arabe Syrienne sur l’autre rive de l’Euphrate et même traversé le fleuve pour y mener des raids terrestres[6], notamment pour s’y approvisionner. Ainsi, leur aptitude à multiplier les fronts simultanément et à projeter des effectifs sur des théâtres éloignés les uns des autres soulignent la subsistance de capacités opérationnelles suffisantes malgré un état de siège patent. L’Etat islamique demeure donc une menace, malgré la disproportion entre les moyens dont il dispose et ceux dont disposent ses adversaires.

 

Friction météorologique

 

Cependant, un phénomène naturel favorise les entreprises offensives de Daesh : la plupart de leurs contre-offensives ont été lancées lors de tempêtes de sable[7]. Ce phénomène météorologique favorise les combattants islamistes pour deux raisons : d’une part, les mauvaises conditions climatiques perturbent la visibilité. Les mouvements de troupes sont donc difficilement repérables, permettant assauts de masse surprises et embuscades, notamment sur les lignes arrières ennemies. D’autre part, sans visibilité et sous des conditions climatiques exécrables, le soutien de la coalition se fait plus difficile. Les frappes aériennes perdent en efficacité lorsqu’elles ne sont pas tout bonnement annulées, ce qui permet aux djihadistes d’employer un matériel plus lourd, comme des technicals, sans prendre le risque de s’exposer.

 

Ainsi, la phase III de l’opération Roundup a rencontré une farouche résistance dans des conditions climatiques défavorables, jusqu’à sa suspension fin octobre. Le 12 novembre, après une campagne de frappes intensives de la coalition, les F.D.S. déclarent enfin reprendre l’offensive. On aurait pu alors penser la situation redressée, mais les combattants de Daech sont parvenus, sous couvert du brouillard, à lancer plusieurs offensives entre le 23 et le 25 novembre au nord de Hajin[8]. En particulier, la ville de Bahra fut le théâtre d’affrontements violents[9]. Cependant, les F.D.S., soutenues par la coalition et les habitants des villes ciblées, sont parvenues à repousser ces incursions, au prix de nombreuses pertes et prisonniers. Par la suite, au moins l’un de ces captifs a été exécuté et sa mise à mort filmée et diffusée via les canaux de propagande de Daech[10]. En contrepartie, les pertes de l’organisation ont aussi été lourdes et l’un de ses dignitaires aurait même été capturé[11].

 

L’opération Roundup risque donc de durer, mais la victoire des F.D.S. ne signifierait pas pour autant la fin de l’E.I. : outre ses cellules dormantes et ses infiltrations, sa résilience n’est plus à prouver.

 

 

 

SOURCES ET REFERENCES :

 

[1]http://www.opex360.com/2018/05/09/soutien-de-coalition-forces-democratiques-syriennes-menent-loperation-roundup-contre-daesh/

[2]http://www.francesoir.fr/en-coop-matteo-puxton/puissante-contre-offensive-de-etat-islamique-dans-le-desert-syrien?platform=hootsuite

[3]https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/10/28/syrie-l-armee-turque-bombarde-une-milice-kurde-soutenue-par-washington_5375815_3218.html

[4]https://www.defense.gouv.fr/operations/points-de-situation/point-de-situation-des-operations-du-27-avril-au-3-mai

[5]https://dod.defense.gov/News/Transcripts/Transcript-View/Article/1689611/combined-joint-task-force-operation-inherent-resolve-press-briefing-by-uk-army/

[6] https://twitter.com/oryxspioenkop/status/1059125502328352768

[7]http://www.francesoir.fr/en-coop-matteo-puxton/syrie-etat-islamique-inflige-une-lourde-defaite-aux-fds

[8] https://twitter.com/StrategicNews1/status/1066352268063252482

[9] http://www.inherentresolve.mil/News/Article/1697432/cjtf-oir-partner-forces-counterattack-isis-breakout/

[10] https://twitter.com/RosannaMrtnz/status/1066621002619211776

[11] https://twitter.com/SyriacMFS/status/1066349103150522368

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