« On voit que les Romains, même dans les commencements de leur empire, ont mis en usage la mauvaise foi. Elle est toujours nécessaire à quiconque veut d’un état médiocre s’élever aux plus grands pouvoirs ; elle est d’autant moins blâmable qu’elle est plus couverte, comme fut celle des Romains. »
Nicolas Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, Livre II, Chapitre XIII, 1531, Traduit de l’Italien par Toussaint Guiraudet, Paris, Bibliothèque Berger Levrault, 1980
Ce lundi 17 septembre, un avion de reconnaissance russe Iliouchine-20 a subitement disparu des écrans radars au-dessus de la mer Méditerranée, avant que l’on apprenne qu’il avait été abattu à 35 kilomètres des côtes syriennes, entraînant dans sa perte la vie de 15 hommes. Si les soupçons ont pu se porter un temps vers Paris, déterminée à faire respecter la ligne rouge fixée par le Président de la République en cas d’utilisation d’armes chimiques par le régime de Damas, il n’a guère fallu de temps pour écarter l’hypothèse de tirs provenant de la frégate Auvergne. L’attention s’est alors déplacée vers un raid de F-16 israéliens envoyés en mission pour détruire des stocks de munitions dans la province de Lattaquié. Les chasseurs se seraient couverts derrière l’avion russe, l’exposant ce faisant à des tirs de barrage de la défense anti-aérienne syrienne, laquelle aurait porté le coup fatal.
Moscou s’est en effet vite ravisé de ses premières déclarations belliqueuses, mettant finalement en cause, selon les mots de Vladimir Poutine, « un enchaînement de hasards tragiques », une formule qui a l’avantage de permettre à la Russie de ne pas s’aliéner ses précieux alliés, sans faire pour autant l’impasse sur le bilan humain de l’accident. De son côté, Israël a fait part de sa tristesse en gage de bonne volonté, déclarant mettre à la disposition de la Russie l’ensemble des informations relatives à la mission engagée par ses F-16. Enfin, Damas a exprimé son embarras, reconnaissant à demi-mot sa responsabilité dans l’affaire.
Il se fait que l’incident en rappelle un autre, quoique moins dramatique sur le plan humain, qui avait conduit au même genre de procédure de désescalade afin d’apaiser les tensions diplomatiques susceptibles d’être ravivées entre les puissances. Le 24 novembre 2015, deux F-16 turcs avaient abattu un avion de combat Soukhoï SU-24 russe non loin de la province de Lattaquié, entraînant la mort d’un des deux pilotes. En réaction, Sergueï Lavrov, Ministre des affaires étrangères, avait annulé sa visite prévue à Ankara, tandis que le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu refusait de reconnaître la responsabilité de son pays dans l’incident. Mais Erdogan, voulant éviter à tout prix de se mettre à dos un partenaire stratégique incontournable dans la région, finit par présenter ses excuses, ce qui n’empêcha pas Vladimir Poutine de décréter des mesures de sanction économiques.
Lorsqu’un drame ébranle des alliances éprouvées, toute la communauté internationale retient son souffle, guettant un retournement stratégique ; sans doute les conséquences diplomatiques de ce tragique accident ne dépasseront-elles toutefois pas le stade de l’algarade…