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VMZ Sopot : étude sur la présence d’armes bulgares en Syrie
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Nous remercions très chaleureusement B.M, étudiant en histoire, spécialisé dans l’analyse en source ouverte des conflits contemporains, de nous avoir confié la publication de cette étude.  

 

La présence d’armes bulgares en Syrie, et plus particulièrement d’armes fabriquées par la société VMZ Sopot, est établie par de multiples sources indépendantes. Cependant l’explication de cette présence varie fortement, en particulier vis-à-vis du rôle des ÉtatsUnis dans ces livraisons d’armes. Par ailleurs la plupart des sources disponibles se fondent sur les groupes jihadistes alors que les bénéficiaires de ces livraisons sont censés être parmi les rebelles de factions syriennes modérées.

 

Les sites pro-Kremlin on beaucoup relayé l’enquête de Dilyania Gaytandzhieva, une journaliste bulgare qui aurait trouvé d’importantes quantités d’armes bulgares à Alep dans les arsenaux de Jabhat al-Nosra. La journaliste relayée par RT met directement en cause la CIA en l’accusant de livrer des armes aux jihadistes ; elle met en avant des vols sous couverture diplomatique vers la Syrie par le biais de la compagnie aérienne Silk Ways, mais n’établit aucun lien vérifiable entre les Etats-Unis et les groupes jihadistes.

 

Caisse de matériel à Alep provenant de chez VMZ Sopot. Source : RT

 

Caisse de roquettes PG-7M à Alep manufacturées par VMZ (la nomenclature PG-7M désigne la charge du projectile, quand le propulseur est adjoint il s’agit de roquettes PG-7VM). Source : RT

 

Un imposant rapport du Conflict Armament Research met aussi en évidence la présence d’armes bulgares dans les arsenaux de l’EI, ce qui laisse penser que VMZ serait un des gros fournisseurs d’armes pour la Syrie. Mais le Conflict Armament Research défend l’hypothèse d’une récupération sur le champ de bataille ou de changements d’alliances plutôt que la thèse de livraisons d’armes aux jihadistes.

 

Historique de l’entreprise VMZ

 

L’entreprise VMZ (Vazovski Mashinostroitelni Zavodi) est fondée en 1936 dans la ville de Sopot ; elle se spécialise dans la production d’obus pour les canons Krupp, de grenades, et de détonateurs divers. L’entreprise connaît un fort développement sous le régime communiste en produisant pour l’armée des matériels aux standards du Pacte de Varsovie.

 

Avec la fin du régime communiste, la transition est difficile pour les industries lourdes comme VMZ. L’entreprise se restructure pour faire face à la baisse des commandes, mais les licenciements et les faibles salaires provoquent des grèves en 2002, en 2003 et en novembre 2008. VMZ s’endette lourdement auprès de l’Etat bulgare dans les années 2000.

 

Malgré ces difficultés, il s’agit encore aujourd’hui de la plus grosse entreprise du complexe militaro-industriel bulgare ; elle figure parmi les 100 plus grandes entreprises bulgares, et témoigne bien du poids d’un secteur qui représentait 20% du PIB sous le régime communiste.

 

En 2012 l’État envisage la privatisation de VMZ pour financer la modernisation de son armée. Cependant la vente n’est pas menée à son terme du fait des difficultés pour trouver un repreneur. En 2016, la privatisation est relancée, avant que le gouvernement bulgare n’annonce en mai 2017 que la vente de VMZ et de l’exportateur Kintex n’est plus à l’ordre du jour.

 

Entre-temps, l’usine a vu son carnet de commandes se remplir. En 2016 VMZ Sopot génère 501 millions de lev de revenus (250 millions d’euros) et relance son activité en investissant 3,6 millions d’euros dans la modernisation de son outil de production.

 

Production

 

La production de VMZ se base sur les systèmes d’armes aux standards soviétiques, avec parfois des développements récents comme les roquettes à charge multiple pour RPG-7. VMZ a su évoluer depuis les années 1990 : l’usine est désormais certifiée aux normes ISO 9001 et AQAP:2110, un gage de qualité pour les clients à l’export.

 

Contrairement à des usines comme Arsenal en Bulgarie ou Zastava en Serbie qui produisent des modèles locaux de Kalashnikov, et autres armes individuelles, VMZ s’est surtout spécialisé dans les matériels plus lourds et les roquettes.

 

Sur son site, la production de VMZ est référencée selon neuf catégories :

  • Munitions d’artillerie : obus de calibre allant de 100mm à 152mm, projectiles à charge creuse, fumigènes, éclairants, ou embarquant un brouilleur de communication ; projectiles de mortier de 82mm et 120mm à effet thermobarique
  • Munitions pour lance-roquette multiple : roquettes de 122mm pour le système Grad (très présent en Syrie)
  • Munitions pour RPG-7 : large gamme de projectiles à charge creuse, charge creuse tandem, fragmentation et combinaison de charge (creuse et fragmentation)
  • Munitions pour lance-grenade jetable : lanceurs à usage unique RPG-22 avec projectiles à fragmentation ou charge creuse
  • Munitions pour canon sans recul : munitions de 73mm pour canon sans recul SPG-9 et 2A28 Grom (monté sur les BMP-1) anti-chars, thermobarique ou fragmentation
  • Roquettes air-sol : projectiles non guidés de 57mm et 80mm pour paniers à roquette
  • Missiles anti-char guidés : modèles soviétiques allant du vétuste 9M14 Malyutka/AT-3 Sagger, aux 9M111 Fagot/Faktoria, 9M113 Konkurs et 9M115 Metis-M omniprésents en Syrie
  • Mécanismes pyrotechniques : retardateurs, détonateurs de contact et fusées pour tous types de munitions
  • Concepts (produits les plus récents) : gilets tactiques ; roquettes de RPG-7 à effet spécialisé : incendiaire, perforant (produit en collaboration avec la firme suisse RUAG), fumigène, charge mixte et charge tandem

 

Certaines sources indiquent que VMZ produit aussi des MANPADS (missiles antiaériens portables) mais aucun élément ne permet de confirmer ce point, il s’agit probablement d’une erreur provenant du fait que d’autres usines bulgares en produisent.

 

Industrie d’armement bulgare et marchés d’exportation

 

L’industrie d’armement bulgare est issue de la période soviétique, durant laquelle les usines sous contrôle de l’État fournissaient le Pacte de Varsovie et les « pays frères ». Dès cette période l’industrie d’armement bulgare est tournée vers l’étranger et la spécialisation, avec près de 90% des ventes réalisées à l’export.

 

Le complexe militaro-industriel bulgare souffre dans les années de transition vers l’économie de marché. Les fonds alloués à l’innovation, à la modernisation et au développement sont coupés, l’industrie de la défense perd son statut privilégié, et le secteur qui employait 110 000 personnes en 1980 n’en emploie plus que 25 000 en 2003. La production d’armements baisse fortement mais la circulation des armes se maintient à un haut niveau ; les acteurs non-étatiques se développent en parallèle de l’affaiblissement de l’État, les industries sont privatisées et les marchés civils absorbent une part grandissante de la production.

 

A partir des années 1990, la place de la Bulgarie dans le commerce des armes diminue. Les exportations, qui représentaient 900 millions de dollars dans les années 1980 tombent à 100 millions de dollars en 2000. Le commerce mondial des armes légères pèse environ 4 milliards de dollars en 2002, et la Bulgarie exporte pour environ 30 millions de dollars, pesant moins de 1% du commerce mondial. Même sur le terrain du commerce illégal, la Bulgarie devient un acteur de second rang en terme de volume.

 

Si les exportations sont en baisse, elles gagnent fortement en visibilité : les organisations internationales comme Human Rights Watch, mais aussi l’ONU, l’UE et l’OTAN dénoncent le rôle de la Bulgarie dans le commerce illégal des armes à destination du crime organisé et des pays en guerre civile (un rapport accablant de Human Rights Watch date par exemple de 1999).

 

En effet, face à une réduction de ses marchés d’exportation, la Bulgarie se tourne vers des petits marchés à haut risque. Avec le passage aux normes OTAN et la réduction des effectifs des forces armées bulgares, les surplus des arsenaux se retrouvent dans des zones de conflit. On retrouve des armes bulgares chez les cartels colombiens, parmi les équipements de l’UNITA, au Sierra Leone, et au Yémen. En 2002 des canons M-46 sont vendus à l’Ouganda en pleine guerre civile et à l’Azerbaïdjan sous embargo de l’ONU,  et des mortiers de 120mm sont envoyés en Côte d’Ivoire.

 

Ces dernières années les acteurs bulgares progressent sur les marchés du Moyen-Orient : Armaco, un concurrent de VMZ a traduit son site en arabe. Les entreprises bulgares se sont aussi diversifiées : Samel-90 produit des missiles anti-aériens, Arsenal offre une large gamme de Kalashnikov dans des calibres OTAN et soviétiques, etc… Cette situation complique l’évaluation précise de l’origine des matériels fournis : plusieurs de ces sociétés produisent pour l’export des matériels comparable a ceux issus de VMZ Sopot.

 

Pour s’assurer que les livraisons proviennent bien de VMZ, le moyen le plus fiable est de se fonder sur les marquages de série. Les marquages bulgares sont caractéristiques, avec un numéro d’usine à deux chiffres entouré d’un double cercle. Le numéro permet d’identifier l’usine avec précision :

  • Arsenal – Kazanlak
  • VMZ Sopot
  • Sredetz – Sofia
  • et 27 NITI Kazanlak
  • ELOVITZA – Gabrovo

25 Optiko Elektron – Panagiurishte

33 et 20 ARCUS – Lyaskovetz

46 DUNARIT – Ruse

61 MECHANICS & ASSEMBLY – Sevlievo

233 TEREM – Kostenetz

 

Trajet du matériel vers la Syrie

 

Après avoir passé commande, les Etats-Unis ont recours à des intermédiaires comme Chemring et Orbital ATK habitués au commerce des armes et aux contrats à l’export ; ces sociétés délèguent à des sous-traitants les différentes étapes de la livraison.

 

Depuis la Bulgarie les envois se font par voie aérienne et maritime. Le port de Burgas et l’aéroport de Sofia servent de plateformes pour les envois de matériel. Sofia a vu une forte augmentation du nombre de vols à destination du Moyen-Orient ces dernières années.

 

Pour les livraisons par voie maritime, la compagnie H. Folmer & Sons a affrété les navires Marianne Danica, Hanne Danica et Karina Danica vers l’Arabie Saoudite pour plusieurs rotations en 2017. Le navire MV Norfolk aurait aussi été utilisé pour les livraisons américaines. Les navires transitent par la mer Noire, le Bosphore, la Méditerranée, Suez et la Mer Rouge pour atteindre Jeddah en Arabie Saoudite. La Jordanie, la Turquie et les Émirats Arabes Unis participent aussi à ces livraisons.

 

Présence en Syrie

 

Le matériel utilisé en Syrie est très largement d’origine russe et soviétique. Dans ce contexte le matériel bulgare y trouverait une plus grande utilité qu’au sein de l’armée américaine, turque, jordanienne, émiratie ou saoudienne qui utilisent un matériel conforme aux standards occidentaux.

 

Dès 2012 des clichés attestent de la présence de roquettes PG-7VM de production ancienne (1986). Les roquettes ont pu arriver au Moyen-Orient avant les commandes américaines à destination de la Syrie. Il semble que jusqu’à juin 2015 les commandes d’armes bulgares concernaient du matériel ancien, ce qui a amené les autorités américaines à annuler certaines livraisons trop vétustes. Ces matériels anciens ont causé la mort de Francis Norwillo, employé par un sous-traitant américain, et décédé en manipulant une grenade fabriquée en 1984. Après 2015 les commandes de matériel neuf progressent, ce qui explique le regain d’activité dans les usines bulgares.

 

Sur le terrain en Syrie : Jaych-al-Nasr

 

Une fois que les armes sont en Syrie, il est plus difficile de les tracer avec précision, mais l’étude de l’équipement des groupes peut être instructif. La présence chez Jaych al-Nasr (« l’Armée de la Victoire ») de matériel étranger peu courant en Syrie laisse penser que le groupe bénéficie de livraisons de matériel, en particulier des armes bulgares en quantités importantes, parfois de fabrication récente.

 

Jaych al-Nasr (JaN) est fondé dans la région d’Hama en 2015, et regroupe initialement 16 factions rebelles modérés qui mènent des opérations communes. La même année JaN évolue avec la fusion de trois groupes en son sein (Faucons d’al-Ghab, Front du Salut et Régiment 111). En février 2017 ils subissent de lourdes pertes en affrontant Jund al-Aqsa, et fin 2017 les défections affaiblissent encore le groupe. JaN est proche de la Turquie et opérerait à Afrin depuis février 2018.

 

Divers missiles Tow

 

De nombreux tirs de Tow sont visibles sur les vidéos du groupe, en particulier au moment de l’offensive contre les forces du régime à Hama en mars-avril 2017.

 

VZ-58

 

Le groupe dispose d’un nombre important de fusils tchèques VZ 58, récemment diffusés dans la région.

Matériel VMZ : obus d’artillerie

 

Le 30 avril 2017 obus de 100mm, provenance probable VMZ

 

Fagot

 

Un premier lanceur Fagot le 21 décembre 2016

 

Les 29 et 31 juillet 2017, un autre Fagot

Grad

 

Le 30 novembre 2016, important lot de roquettes

 

Le 8 mars 2017

 

Le 16 avril 2017, autre lot

 

Le 15 juin 2017

 

 

 

Le 16 décembre 2017, assemblage et tir d’engins Grad fabriqués entre juin 2016 et 2017 (3 images)

 

Le 11 janvier 2018

 

Le 14 janvier

 

Le 2 février 2018

 

Conclusion

 

L’armement produit par VMZ est facilement identifiable étant donné que l’entreprise commercialise des armes de taille intermédiaire, plus faciles à tracer que les armes légères. Le chargement des roquettes Grad rend les marquages bien visibles, et il semblerait que la majorité des roquettes que possède Jaych al-Nasr aient été produites par VMZ. La provenance des roquettes de plus petit calibre est probablement la même, quoi qu’elle soit plus difficile à déterminer sur les sources vidéo et photo.

 

Le Pentagone a reconnu consacrer des fonds importants à l’entraînement et l’équipement des rebelles syriens ; c’est probablement dans ce cadre que les acteurs d’Europe Centrale comme VMZ font office d’intermédiaire pour les livraisons. La Bulgarie est un fournisseur privilégié, le pays fait figure de partenaire fiable, et il dispose des savoirs-faire pour la production de matériel militaire.

 

Les sources pro-Kremlin ont été promptes à analyser ces livraisons d’armes comme la preuve du soutien américain à l’EI et aux terroristes en associant toute force d’opposition aux terroristes. En réalité, le matériel est livré à des factions jugées modérées, et l’armement utilisé par Jaych al-Nasr est caractéristique cette aide, par son volume et sa provenance. Le groupe bénéficie aussi, pour s’équiper, de sa proximité avec la Turquie.

 

SOURCES :

 

http://www.novinite.com/articles/99135/Workers%2C+Management+of+Bulgaria

 

%27s+Military+Factory+VMZ+Strike+Deal http://www.bdia-bg.com/en/member/vmz https://www.files.ethz.ch/isn/28959/10.pdf

 

http://www.nytimes.com/1998/08/03/world/bulgaria-becomes-a-weapons-bazaar.html

 

http://www.hurriyetdailynews.com/guns-not-roses-conflicts-fire-up-bulgaria-arms-trade–100541

 

https://www.theguardian.com/world/2016/jul/27/weapons-flowing-eastern-europe-middleeast-revealed-arms-trade-syria

 

http://www.armstrade.info/countryprofile/bulgaria/

 

http://www.balkaninsight.com/en/article/making-a-killing-the-1-2-billion-euros-armspipeline-to-middle-east-07-26-2016

 

https://rogueadventurer.com/2012/10/14/update-rpg-7-projectiles-in-syria/

 

https://southfront.org/tracing-bulgarian-arms-shipments-to-syrian-islamists/

 

https://www.hrw.org/news/1999/11/14/clinton-visits-bulgaria

 

http://jamesbevan.com/images/Marks.pdf

 

https://www.defensenews.com/pentagon/2017/05/12/bulgaria-halts-defense-industryprivatization/

 

https://seenews.com/news/bulgarias-vmz-sopot-completes-36-mln-euro-upgrade-of-twoindustrial-units-525415

 

https://trud.bg/350-diplomatic-flights-carry-weapons-for-terrorists/

 

https://www.globalresearch.ca/journalist-interrogated-fired-for-story-linking-cia-and-syriaweapons-flights/5606848

 

https://www.occrp.org/en/makingakilling/pentagon-hired-questionable-contractors-for-syriaarms-purchases

 

https://www.occrp.org/en/makingakilling/the-black-sea-route-to-syria

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