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La République Centrafricaine à nouveau meurtrie
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Par François Gaüzere et Jean Galvé

 

Le premier mai, une fusillade dans l’église Notre-Dame de Bangui causait 24 morts et 170 blessés. En représailles, deux hommes identifiés comme musulmans furent lynchés par la foule, et une mosquée fut incendiée. Ces violences suivent le macabre sillage de l’opération onusienne conduite le 10 avril dernier dans le quartier musulman PK5, poumon économique de Bangui ; 28 personnes étaient alors tombées dans les affrontements entre les groupes armés musulmans du général “Force” et les troupes de la MINUSCA. A nouveau, les violences religieuses et communautaires plongent le pays dans la nuit.

 

Plus inquiétant encore, ces affrontements semblent ressusciter le conflit qui embrasa la République Centrafricaine de la fin de l’année 2012 à l’élection du président Touadéra le 30 mars 2016. Au mois d’avril 2018, deux des principaux groupes de l’ex-Séléka – alliance des groupes armés majoritairement musulmans historiquement implantés dans le Nord-Est du pays –  se sont regroupés à Kaga Bandoro, dans le Nord. “L’option de descendre sur Bangui n’est pas exclue“, a affirmé le vendredi 13 avril à l’AFP Aboubakar Sidik Ali, membre du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), la composante la plus extrémiste de la Séléka, à l’issue d’une réunion “de coordination militaire” avec le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC). De telles imprécations ressassent le souvenir de l’entrée des troupes Séléka dans Bangui, le 24 mars 2013.

 

Comment analyser le risque d’une montée des tensions qui hante aujourd’hui les esprits ?

 

La transition centrafricaine, et l’élection du président Faustin Archange Touadéra en 2016, avaient semblé signifier que du retour de la démocratie surgirait une paix durable ; deux ans plus tard, la MINUSCA, instituée par la résolution 2127 du 5 décembre 2013, est pourtant plus mobilisée que jamais. Le 25 avril dernier, le président Touadéra, anticipant un reflux de violence, a réclamé qu’aux 10 000 Casques Bleus déjà présents sur place viennent s’ajouter des bataillons supplémentaires.

 

Les Anti-Balaka n’ont de leur côté pas déposé les armes, bien au contraire. Ces milices étaient à l’origine des groupes paysans d’autodéfense, constitués pour protéger les troupeaux contre le banditisme ; en réaction aux exactions des groupes Séléka, leurs armements ont gagné en puissance, et leurs méthodes en cruauté.

 

Les premiers combats avaient risqué de transformer un affrontement de milices en guerre de religion ; la minorité musulmane se trouve encore aujourd’hui harcelée par les milices Anti-Balaka, majoritairement chrétiennes – comme 85% de la population centrafricaine. Du reste, la présence dans les rangs Séléka de mercenaires tchadiens a contribué à associer les musulmans à une influence étrangère, et à en faire, aux yeux des groupes armés à dominante chrétienne, des ennemis de l’intérieur.

 

En retour, les musulmans menacés se sont bien souvent organisés en groupes d’autodéfense, comme le groupe du “général Force” que la MINUSCA pourchassait à Bangui durant la tragique journée du 10 avril 2018. Alors que les milices étendent chaque jour leur contrôle sur les circuits de transhumance, l’économie largement agricole de la République Centrafricaine est mise à mal.

 

Qu’attendre des interventions internationales? Le processus mené par l’ONU et l’Union Africaine, après avoir sans succès choisi pour garant le Président congolais Denis Sassou Nguesso, a souffert de la fragmentation des acteurs et de la désorganisation des initiatives.

 

Mais alors que l’opération Sangaris s’est achevée le 31 octobre 2016, les Occidentaux ne sont plus les seuls hérauts de l’aide militaire internationale. 40 membres des forces spéciales russes, épaulés par des conseillers militaires, ont formé en 2017 la garde présidentielle de Faustin Archange Touadéra – qui trouve dans ce soutien inespéré un moyen de diviser les ingérences pour mieux régner. Des rumeurs vont bon train sur la mise en place d’une base militaire russe à Berengo, ancien domaine de l’empereur Bokassa. Moscou pourrait alors y installer des sites d’écoute, et construire un aéroport militaire sur cette terre où résonnent encore les cris du despote.

 

Sur les ruines de la Françafrique, la Russie fait donc siennes certaines méthodes employées par les missi dominici de Jacques Foccart pour sanctuariser les régimes en place dans l’ancien “pré carré” français : la constitution de gardes présidentielles était notamment l’un des leviers d’influence privilégiés par le colonel Maurice Robert, dirigeant du secteur N (Afrique) du SDECE. Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place…

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