En annonçant, le mardi 8 mai 2018, sa décision de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, le président américain Donald Trump a pris de court les chancelleries européennes. Le 12 janvier 2018, ce dernier avait fixé un délai de 120 jours à ses partenaires pour renégocier et réparer les « erreurs désastreuses » de l’accord sur le nucléaire Iranien (JCPOA), négocié par l’administration Obama. Ce délai s’est trouvé avancé de 4 jours.
Des pays européens majoritairement hostiles à la sortie de l’accord
Ces derniers mois, les signataires européens négociaient avec le directeur politique du département d’Etat Brian Hook. Le renvoi du Secrétaire d’État Rex Tillerson, dont Hook était un proche[1], et son remplacement par Mike Pompeo[2], ancien directeur de la CIA, représentant du Tea Party du Kansas et partisan de la ligne dure avec l’Iran, a toutefois compliqué ces négociations. Si les Européens s’étaient résolus à un refus de l’administration américaine d’appliquer les dispositions de l’accord[3], ce sont l’ampleur des marges de manœuvres laissées aux Européens pour permettre la survie du JCPOA sans les États-Unis qui sont l’enjeu des discussions. Les modalités du retrait américain détermineront les stratégies des autres parties prenantes.
Depuis l’entrée en vigueur de l’accord le 16 janvier 2016, Washington laissait planer le doute sur l’avenir de l’accord et sur ses modalités d’application. L’Iran se trouvait donc déjà privé des capitaux et des facilités d’investissements attendus en contrepartie des concessions accordées sur son programme nucléaire.
L’annonce, le mardi 8 mai, de la rupture formelle de l’accord de Vienne par les Etats-Unis fut agressive et tonitruante. Les sanctions liées au développement du nucléaire iranien sont rétablies, mais les modalités d’un tel rétablissement par l’OFAC (Office of Foreign Assets Control) restent à déterminer, notamment en ce qui concerne l’interprétation de l’« aide apportée à l’Iran dans sa quête pour acquérir l’arme nucléaire »[4]. En effet, cette formule utilisée par le président américain lors de son discours peut avoir de multiples significations. L’interprétation de cette annonce par les différentes parties, signataires et concernés, du JCPOA sera primordiale.
Une administration américaine divisée
Le retrait américain proclamé par le président Trump révèle les divisions profondes de l’administration américaine sur le dossier iranien. D’aucuns, comme le Secrétaire à la Défense James Mattis, pensent que l’accord, quoi qu’imparfait, permettait de contenir les ambitions nucléaires iraniennes[5]. Partisane de la politique de l’« America First », cette frange de l’administration n’en lutte pas moins contre l’isolement de l’Amérique. D’autres, comme le National Security Advisor John Bolton, prônent une ligne plus dure, et souhaitent imposer unilatéralement une pression maximale à Téhéran, sans cacher leur volonté de mettre à bas le régime iranien dans son ensemble.
L’enjeu serait de laisser aux pays européens une marge de manœuvre pour leur permettre de respecter leur part de l’accord ; ils hériteraient alors de la responsabilité de convaincre l’Iran de rester dans le protocole de vérification des installations nucléaires de l’AIEA, qui a déjà certifié 11 fois la conformité de ses actions avec les dispositions du JCPOA.
Empêtrée dans ses divisions, l’administration américaine fait face à la difficulté de formuler une stratégie iranienne unifiée et cohérente : en se désengageant du JCPOA, les États-Unis cherchent l’endiguement régional de l’Iran et le changement de régime, tout en souhaitant que celui-ci ne prolifère pas.[6]
Le dimanche 6 mai 2018, le Guardian[7] et le New Yorker[8] révélaient l’existence d’opérations menées à la demande de collaborateurs de l’administration Trump par la société de renseignement privé israélienne Black Cube. Ces opérations visaient à discréditer d’anciens négociateurs de l’administration Obama. Après l’offensive menée le lundi 30 avril par Benjamin Nethanyaou lors de sa conférence de presse sur le programme nucléaire iranien, ces opérations montrent une fois encore la fébrilité des partisans de la ligne dure et la férocité de la bataille engagée au sein de l’administration américaine sur ces questions.
La possibilité d’un conflit entre Israël et l’Iran
La rapide montée des tensions entre Israël et l’Iran à l’approche de la précédente date butoir du 12 mai a montré comment le dossier du nucléaire iranien pouvait servir de catalyseur à une escalade entre les deux pays. La destruction par des F-15 israéliens d’une cache de 200 missiles d’origine iranienne en Syrie, tuant une douzaine d’opérationnels iraniens, la décision de la Knesset d’autoriser le Premier Ministre et le Ministre de la Défense à déclarer la guerre dans des circonstances extrêmes, ainsi que l’allocution de Benjamin Netanyahou (révélant par là même une opération israélienne majeure de renseignement sur le sol iranien) ont eu lieu le même jour[9].
La méthode qui consiste à lier le sort du JCPOA non plus à la seule réalité du programme nucléaire, mais aux opérations extérieures iraniennes, est loin de faire l’unanimité en Israël[10]. Certains observateurs israéliens attribuent la relative passivité de l’Iran et la liberté d’action dont ont bénéficié les forces de défenses d’Israël à la décision de Téhéran de geler ses opérations jusqu’à l’annonce américaine[11]. Pour eux, l’ayatollah Ali Khamenei et le commandant du Corps des Gardiens de la révolution islamique Qasem Soleimani n’ont aucun intérêt à un conflit ouvert avec Israël du fait du renforcement de leurs positions en Syrie et de la large victoire des militants du Hezbollah aux législatives libanaises.
Des répercussions politiques et économiques en Iran
Le gouvernement iranien, par la voix de son président Hassan Rohani, a fait entendre le 7 mai 2018 que l’accord pourrait être préservé si les pays européens (et l’UE) respectaient le JCPOA.
L’accord reflétait une politique plus large d’interactions de l’État iranien avec les organismes internationaux sur les questions économiques. Les problèmes de corruption, combinés à la faible réglementation du secteur financier iranien, s’ils ont encouragé l’apparition d’une “économie de résistance“, sont les principaux moteurs des défaillances structurelles et fonctionnelles de l’économie de la République Islamique. La non-adhésion à des organisations telles que l’OMC ou le GAFI (Groupe d’Action Financière), a en particulier créé une myriade de difficultés pour l’Iran. Le pays n’a notamment pas réussi à renouer des correspondances bancaires avec les institutions financières internationales primordiales pour relancer son économie éreintée par les sanctions.
Les réformes financière et réglementaire engagées en Iran sont motivées par le besoin de stimuler la croissance économique.[12] La date butoir pour la mise en conformité de l’Iran avec les plans d’action du GAFI, et donc son retour dans les circuits financiers mondiaux, est toutefois fixée à juin 2018. L’annonce du président Trump risque donc de politiser à outrance la mise en conformité de ces secteurs en Iran et la validation par les membres du GAFI de ces réformes.
La Russie et la Chine ayant déjà annoncé qu’elles soutiendraient Téhéran face à Washington[13], la survie du JCPOA dépend maintenant de l’arbitrage, en Iran, entre nécessité économique et instrumentalisation politique de l’annonce américaine. L’Europe se trouve quant à elle partagée entre la défense de ses intérêts sécuritaires et le risque que l’alignement sur les Etats-Unis ferait peser sur les négociations commerciales à venir[14]. Le président iranien a déjà fait savoir qu’il souhaitait discuter avec les signataires du JCPOA afin de voir si ces derniers pouvaient garantir les intérêts iraniens après le retrait des Etats-Unis, accusant le président Trump de vouloir mener une “guerre psychologique”.[15] La bataille de l’opinion est lancée.
Sources :
[1] https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-03-15/a-tillerson-confidant-survives-the-purge-with-help-from-friends
[2] http://www.bbc.com/news/world-us-canada-38029336
[3]http://www.lefigaro.fr/international/2018/04/26/01003-20180426ARTFIG00009-macron-pense-que-trump-va-se-retirer-de-l-accord-nucleaire-iranien.php
[4] https://www.theatlantic.com/politics/archive/2018/05/full-transcript-iran-deal-trump/559892/
[5] http://iranprimer.usip.org/blog/2018/apr/27/secretary-mattis-iran-nuclear-deal
[6] https://www.theatlantic.com/politics/archive/2018/05/full-transcript-iran-deal-trump/559892/
[7] https://www.theguardian.com/uk-news/2018/may/05/trump-team-hired-spy-firm-dirty-ops-iran-nuclear-deal
[8] https://www.newyorker.com/news/news-desk/israeli-operatives-that-aided-harvey-weinstein-collected-information-on-former-obama-administration-officials/amp?__twitter_impression=true
[9] https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2018/05/israel-iran-netanyahu-syria-targets-nuke-speech-archive-war.html
[10] https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2018/05/israel-netanyahu-iran-speech-mossad-nuclear-agreement.html?utm_campaign=20180506&utm_source=sailthru&utm_medium=email&utm_term=Daily%20Newsletter
[11] https://www.al-monitor.com/pulse/originals/2018/05/israel-iran-netanyahu-syria-targets-nuke-speech-archive-war.html?utm_campaign=20180506&utm_source=sailthru&utm_medium=email&utm_term=Daily%20Newsletter
[12] https://www.bourseandbazaar.com/articles/2018/4/29/irans-currency-crisis-spurs-bold-moves-in-financial-reform-efforts
[13] https://www.reuters.com/article/us-iran-nuclear-russia/russia-and-china-seek-international-support-for-iran-nuclear-deal-idUSKBN1HV10M
[14] https://www.challenges.fr/economie/trump-vante-les-guerres-commerciales-ses-partenaires-prets-a-en-decoudre_570955
[15]https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/nucleaire-iranien-rohani-veut-discuter-avec-europeens-russes-et-chinois_2006990.html