Now Reading:
Quiproquo administratif et réconciliation ivoiro-malienne
Full Article 9 minutes read

 

Les premiers jours de l’année 2023 ont été marqués par la stupéfaction engendrée par la condamnation par la Cour d’Assises de Bamako des 46 soldats ivoiriens mis en cause depuis le 10 juillet 2022 pour “mercenariat”. Cette décision de justice, non conforme à première vue aux attentes ivoiriennes, a été supprimée par la grâce présidentielle accordée le 6 janvier 2023 par décret d’Assimi Goïta, président de transition du Mali. Si cette grâce témoigne, selon les soutiens du président malien, de son attachement « à la paix, au dialogue, au panafricanisme, à la préservation des relations fraternelles et séculaires avec les pays de la région, en particulier le Mali et la Côte d’Ivoire » [1] , la décision de justice en elle-même et le temps pris pour la supprimer est aussi interprétée comme une ultime provocation du Mali, perdant de cette passe d’arme diplomatique.

Pour rappel, le 10 juillet 2022, quarante-neuf Éléments de soutien nationaux (NSE), des militaires ivoiriens, furent arrêtés à l’aéroport international de Bamako par les autorités maliennes, immédiatement qualifiés de “mercenaires” par la junte au pouvoir, et incarcérés un mois plus tard pour « tentative d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat » [2]. Il a finalement fallu six mois à la justice malienne pour donner un verdict, alors même que le procès n’a débuté que le 29 décembre 2022 et a condamné dès le 30 décembre les 46 militaires ivoiriens toujours incarcérés à 20 ans de réclusion criminelle. Les trois femmes du groupe, libérées à la mi-septembre pour des raisons humanitaires, ont été condamnées à la peine de mort par contumace, cette différence de traitement n’a pas encore été justifiée.  Ces militaires  ont été déclarés coupables des infractions suivantes : crimes d’attentat et de complot contre le Gouvernement; atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat; détention, port et transport d’armes, de munitions de guerre ou de défense, intentionnellement, en relation avec une entreprise individuelle et collective ayant pour but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur [3].

La tenue du procès semble avoir été  subordonnée aux négociations diplomatiques, entre le Mali et la Côte d’Ivoire arbitrés par le Togo. En effet, une délégation ivoirienne menée par Ibrahim Téné Ouattara, ministre de la défense et frère cadet du président Alassane Ouattara, s’est rendue à Bamako le 22 décembre afin de s’accorder avec le Mali sur la libération des soldats. C’est le mémorandum signé à l’issue de ces négociations qui a permis la tenue du procès et qui en a probablement dicté le verdict. Cette réunion a été décisive, et a probablement conduit à la grâce présidentielles des accusés. Celle-ci est un droit du président de la République malienne qui est garanti par l’article 45 de la Constitution [4], et diffère de l’amnistie. L’amnistie est un “oubli” de la peine, tandis que la grâce n’annule pas l’inscription de la condamnation aux casiers judiciaires des détenus.

L’acte d’Assimi Goïta lui a donc permis de garantir une image de souveraineté, alors même que cette faveur est contrainte par l’ultimatum lancé au Mali le 4 novembre 2022, lors du 62e sommet des chefs d’Etats et des gouvernements de la CEDEAO, exigeant une libération des détenus avant le 2 janvier 2023 [4] . L’arrestation des 49 soldats en juillet dernier suivait de près la programmation par la junte malienne d’une élection présidentielle en février 2024, et la publication d’une nouvelle loi électorale, qui avait mis fin à l’embargo économique et financier de la CEDEAO contre le Mali.  Il est donc possible de lire l’octroie de cette grâce comme un geste accordé par le président Goïta afin de ne pas subir l’ire de la CEDEAO. Malgré les critiques à l’encontre de la récente grâce présidentielle, il paraît en effet clair que l’économie malienne ne pourrait supporter de nouveau ce régime de sanctions [5]

Dans ce contexte d’incompréhension qui a suivi la décision de la Cour d’Assises de Bamako, la grâce présidentielle a montré que les relations entre le Mali et la Côte d’Ivoire sont apaisées, en grande partie grâce à l’intermédiaire du président togolais Faure Gnassingbé, et de la délégation diplomatique ivoirienne. Toutefois, ce dénouement favorable n’est pas sans conséquences. Comme rappelé précédemment, la grâce présidentielle ne remet pas en question la décision de la Cour d’Assises de Bamako, qui a conclu à la culpabilité des militaires. Le maintien symbolique de ces condamnations aux casiers judiciaires des prévenus témoigne, sinon d’une réelle menace contre le Mali, au moins de sa psychose sécuritaire.

L’ordonnance de renvoi devant la Cour d’assise de Bamako par la Chambre d’accusation de la Cour d’appel permet d’avoir tous les détails de l’accusation malienne : le dimanche 10 juillet 2022, à une heure d’intervalle, deux avions ont atterri à l’aéroport international de Bamako. Le premier compte à son bord les quarante-neufs passagers, tous militaires ivoiriens sous les ordres du lieutenant Kouassi Adam Sanni, qui déclare être à la tête du huitième contingent de NSE ivoiriens, dont la mission serait la sécurisation de l’aéroport Bamako-Sénou où est installé le détachement allemand de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) [6]. Le deuxième aéronef, un avion ukrainien Antonov AN 26B, affrété par le contingent allemand, contient des armes, des équipements et d’autres matériels militaires.

Ces armes se sont révélées être destinées aux  militaires ivoiriens arrivés une heure plus tôt. C’est l’absence d’ordre de mission de ce contingent,  qui a conduit le Mali  à arrêter tous les passagers de l’avion, et à leur retirer leurs passeports. Cependant, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, avait rapidement contesté le qualificatif de “mercenaire” [7], allant ainsi dans le sens du porte-parole de la MINUSMA, Olivier Salgado. Ce dernier avait en effet déclaré sur son compte Twitter que ces soldats ivoiriens n’appartenaient pas à l’un des contingents de celle-ci, mais étaient des Éléments nationaux de soutien (NSE). Ces déclarations lui avaient valu d’être expulsé du territoire.

Ensuite, le journal Jeune Afrique avait fait la lumière sur le contrat entre le prestataire de l’armée allemande Sahel Aviation Service (SAS) et l’armée ivoirienne. Les Allemands se seraient tournés par l’intermédiaire de leur ambassade aux Etats-Unis vers la l’armée ivoirienne pour assurer la sécurité de la base de soutien logistique autonome de Bamako. Ce partenariat aurait été signé en juillet 2019, et validé par l’ONU, entendant que la Côte d’Ivoire utiliserait ses propres armements, et que le prestataire SAS se chargerait de toutes les démarches administratives nécessaires auprès de la MINUSMA et des autorités maliennes  [8].

L’ensemble des preuves avancées par la justice malienne ne sont pas inexistantes et peuvent cependant justifier la peur d’un coup d’Etat. : la non-transmission aux autorités maliennes de la liste complète de la cargaison, le mutisme prétendu des soldats lors de leurs auditions, la majoration des effectifs de ce contingent (de 25 à 49), la démesure des équipements militaires et des armes (32 fusils d’assaut, 13 pistolets automatiques, 150 chargeurs, environ 3000 munitions de calibres 5,56 mm, 7,62 mm et 9 mm, des gilets pare-balles et des casques lourds), et les profils des militaires ivoiriens, dont 21 sont membres des forces spéciales.  S’il est étrange qu’aucune explication par aucun des soutiens de la Côte d’Ivoire n’ait été apportée à ce sujet, il semble toutefois que tous ces éléments témoignent plus d’un manque de rigueur administrative que d’une volonté ivoirienne de déstabiliser l’Etat malien. L’incarcération des 49 militaires signifie que la justice malienne à conclu à la responsabilité de la Côte d’Ivoire dans cette erreur administrative.

Si la réaction de la justice malienne, et la récupération politique qui s’en est suivie,  est significative de la paranoïa sécuritaire et de son isolement en Afrique de l’Ouest, il est évident que s’il s’agit d’une maladresse administrative de la MINUSMA et de la Côte d’Ivoire, cela a constitué un véritable affront pour le Mali. Toutefois, le Mali a déjà été accusé de ne pas autoriser des manœuvres validées par la MINUSMA et transmises à son ministère des affaires étrangères. Ces refus avaient notamment été dénoncés par l’Allemagne, qui avait pour celà suspendu la majeure partie de ses opérations au Mali [9].

 —

[1] Communiqué n°043 du gouvernement de la transition.

[2] “Au Mali, 49 militaires ivoiriens interpellés puis considérés comme des « mercenaires » par le gouvernement, Le Monde (AFP), 12/07/22.

[3] “Au Mali, les 46 soldats ivoiriens condamnés à vingt ans de prison ; et les 3 soldates, à la peine de mort”, Le Monde (AFP), 30/12/22.

[4] Constitution malienne du 25 février 1992.
[4] “Affaire des 46 soldats ivoiriens: malgré la fin de l’ultimatum, la Cédéao ne compte pas sanctionner le Mali”, par RFI, 02/01/23.
[5] “Au Mali, soulagement à Bamako après la levée des sanctions ouest-africaines”, Le Monde (avec AFP), 04/07/22.
[6] “Mali, voici l’intégralité de l’ordonnance de renvoi de la justice, des 49 militaires ivoiriens”, Afriksoir, Elvire Ahonon, 29/12/22.
[7] “Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU: «J’espère que la CPI va pouvoir enquêter sur Izioum», Entretien accordé  RFI et France 24, Marc Pelman, Christophe Boisbouvier, 18/09/22.
[8] “Affaire des 49 soldats ivoiriens : les dessous du mystérieux contrat de SAS à Bamako”, Jeune Afrique, 01/09/22.

[9] “Mali : pourquoi l’Allemagne suspend la majorité de ses opérations militaires avec la Minusma”, TV5 Monde (avec AFP), 15/08/22.

Input your search keywords and press Enter.