Par Salomé Sifaoui
Si la plupart des observateurs européens dénient toute possibilité d’invasion russe en Ukraine, du côté outre Atlantique, les scénarios sont bien plus pessimistes comme le témoigne le dernier commentaire du Center for Strategic and International Studies. Il est question pour les Américains de ne pas reproduire l’erreur de 2014 : la réponse aux provocations russes doit être forte et dissuasive. Ces provocations — missiles et soldats russes à la frontière russo-ukrainienne — sont les conséquences d’une situation vécue telle une injustice par la Russie, estimant que le tropisme européen de l’Ukraine et les positionnements transatlantiques en Europe sont destinés à menacer sa puissance. Dans cette mesure, la Russie entend obtenir une garantie juridique que l’influence occidentale dans son ancienne sphère d’influence prenne fin. Moscou exige ainsi, auprès de Washington, l’arrêt de l’expansion de l’OTAN, sinon un retour à la situation précédent les agrandissements à l’Est de l’Europe, au mieux, un retrait des armes nucléaires américaines d’Europe. Ces doléances russes ont été rendues publiques dans deux projets d’accords publiés par le Ministère des Affaires étrangères russe le 17 décembre 2021. Si les ambitions du Kremlin paraissent chimériques, Vladimir Poutine n’entend pas transiger sur la demande de garantie que la Biélorussie, l’Ukraine et la Géorgie n’appartiendront pas à un bloc militaire ou économique autre que ceux contrôlés par Moscou. La raison, selon Vladimir Poutine, est l’unité culturelle, historique et politique entre ces trois pays. Autrement, Moscou mènera à bien ses objectifs par « des mesures technico-militaires ». Quelle peut être l’orientation occidentale face aux exigences russes ? Dans les cercles réalistes américains, une Ukraine qui est prête à se battre pour son intégrité territoriale et son indépendance est une Ukraine qui mérite d’être soutenue. Si l’Ukraine de 2022 n’est pas une démocratie parfaite, la Pologne ne l’était pas non plus en 1939, lorsque la Grande-Bretagne et la France ont décidé que leurs intérêts de sécurité rendaient nécessaire de tracer une ligne contre l’agression nazie le long de ses frontières. La clé pour contrecarrer les ambitions russes est d’empêcher Moscou d’envahir l’Ukraine et surtout de réussir à la préempter, en augmentant les coûts économiques, politiques et militaires par l’imposition de sanctions économiques. « Dans cette guerre, la Russie a peut-être les montres, mais l’Occident et l’Ukraine peuvent avoir le temps. » (Philip G. Wasielewski & Seth G. Jones, CSIS) L’objectif de Washington doit être celui de dissuader les opérations conventionnelles russes en Ukraine par l’interdiction. Cela implique d’empêcher un adversaire d’entreprendre une action parce que les coûts, tels que les armes nucléaires, les sanctions économiques ou une insurrection, sont trop élevés. Les États-Unis, leurs alliés et partenaires européens doivent faire comprendre à Moscou qu’une attaque conventionnelle contre l’Ukraine déclencherait des sanctions paralysantes de la part des pays occidentaux, renforcerait l’isolement politique de la Russie vis-à-vis de l’Occident et déclencherait une insurrection soutenue par l’Occident contre les forces russes en Ukraine. Néanmoins, le manque de convergence dans le camp occidental peut nuire à ces opérations dissuasives : l’Allemagne et l’Autriche, ont déclaré rester neutres en cas de guerre avec la Russie. Davantage, les sanctions imposées ont un coût également pour ceux qui les mettent en place, notamment un coût énergétique en cas de coupure du gaz russe, potentielle conséquence motivant la neutralité allemande. En outre, il est nécessaire d’appréhender les multiples cas auxquels peuvent être confrontés les Occidentaux, notamment celui de l’échec de la dissuasion par sanction et l’invasion par la Russie de l’Ukraine ou du moins, une partie. Dans cette mesure, plusieurs mesures peuvent être utilisée par les États-Unis, leurs alliés et partenaires : Premièrement, les mécanismes de sanctions économiques et financières contre la Russie peuvent être renforcés en coupant les banques russes du système mondial de paiement connu sous le nom de SWIFT. Sur un plan militaire, il est nécessaire de soutenir l’effort ukrainien en fournissant du matériel militaire — les conditions pouvant être modulables (contrat sous forme prêt-bail par exemple). Les éléments prioritaires comprendraient les systèmes de défense aérienne, antichar et antinavire ; les systèmes de guerre électronique et de cyberdéfense ; armes légères et munitions d’artillerie ; pièces de rechange pour véhicules et aéronefs ; pétrole ; rations ; aide médicale ; et d’autres besoins d’une armée impliquée dans un combat soutenu. Un appui sur le renseignement est par ailleurs nécessaire, notamment sur les lignes de communication et d’approvisionnement russes. En cas de déplacement de population, un soutien humanitaire peut être mis en place voire étendu aux partenaires atlantiques frontaliers. Enfin, l’enjeu principal est celui de la diplomatie. Le relais médiatique des événements doit être un élément central de la diplomatie publique occidentale, de même qu’il est opportun de tirer parti de la construction des outils de paix internationaux : le réseau international d’ONG et le relais des instances juridiques internationales (CPI) pour prévenir sinon documenter tout crime de guerre. Plus généralement, il est nécessaire de mener une action diplomatique vers la Biélorussie, dans l’objectif d’éviter que la Russie utilise le territoire biélorusse dans son souhait d’attaquer l’Ukraine. Les infrastructures biélorusses sont stratégiques pour Moscou, notamment les réseaux ferroviaires et routiers qui permettent d’accéder facilement au nord de l’Ukraine. En cas d’invasion, Washington et l’OTAN doivent se tenir prêts à soutenir une résistance ukrainienne, même en cas de résistance non conventionnelle. Ce dernier élément est néanmoins particulièrement délicat, compte tenu de l’appétence russe à cerner et réprimer les mouvements de résistances, par des moyens cyber notamment. Ces tensions reposent donc sur un équilibre fragile compte tenu des moyens conventionnels et nucléaires détenus par les deux camps. Il est alors question de maîtriser tout débordement afin de prévenir un risque d’escalade sans pour autant céder aux exigences russes. Le refus d’un conflit ouvert est contrebalancé par la volonté de ne pas abandonner le territoire ukrainien à son sort.