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La crise kazakhe et le renouvellement des tensions dans l’espace post-soviétique
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La crise kazakhe et le renouvellement des tensions dans l’espace post-soviétique

L’annonce par le gouvernement kazakh, le 1er janvier, de la fin du plafond sur le prix du gaz de pétrole liquéfié (GPL), a provoqué le lendemain une gronde sociale qui a pris une tournure insurrectionnelle en embrasant l’ensemble du pays. Face à l’échec des forces de maintien de l’ordre, le président kazakh Kassym-Jomart Tokayev a déclaré l’état d’urgence et a appelé à la rescousse les Etats membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). C’est dans ce cadre que la Russie, assistée des autres Etats membres de l’OTSC, a envoyé des troupes aéroportées au Kazakhstan. L’ordre rétabli, les troupes russes ont entamé leur retrait le 13 janvier. Dans l’histoire post-soviétique du Kazakhstan, cette crise sociale est inédite par son intensité et son ampleur géographique ; elle pointe les fragilités du modèle autocratique. Pour la Russie cette crise revêt une dimension géopolitique : il s’agit de préserver la stabilité dans sa zone d’influence à un moment où le Kremlin est pris dans une escalade de tensions autour de la question ukrainienne.L’embrasement brutal de la société kazakhe, suscité par la hausse récente des prix du GPL, a pour cause profonde les fortes disparités sociales qui divisent le pays, pourtant riche en ressources naturelles. Première économie d’Asie centrale, le Kazakhstan est un des principaux exportateurs mondiaux d’uranium et d’hydrocarbures [1]. En 2016, 22 % des revenus nationaux ont été perçus par 1 % des personnes les personnes les plus riches, alors que la moitié de la population, la plus pauvre, n’a perçu que 10% des revenus[2]. Ces inégalités sociales résultent du modèle autocratique et oligarchique de cet Etat où pouvoir économique et pouvoir politique sont détenus par une poignée d’individus installés par l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev, en poste depuis la chute de l’Union soviétique à 2019. Or, la hausse des prix du carburant a été suivie d’une augmentation du coût de la vie, accentuant les dysfonctionnements du modèle socio-économique kazakh. Dès lors, en dépit des apparences d’un ordre retrouvé, en l’absence d’une redistribution équitable des richesses, la stabilité du régime sur le long terme demeure hypothétique, ce d’autant plus que les autorités kazakhes se sont montrées incapables de maitriser l’explosion de violence sans l’intervention russe.L’intervention russe s’est inscrite dans le cadre d’un mandat donné par l’OTSC : en se voulant légale et de courte durée, cette intervention cherchait à mettre fin à l’insurrection tout évitant un certain nombre d’écueils. En effet, si l’appel à l’aide de la Russie reflète la volonté des élites kazakhes de garder le Kazakhstan dans le giron de la Russie, elle n’en affaiblit pas moins la souveraineté du pays. Dès lors cette intervention se devait d’éviter de susciter un sentiment antirusse ce d’autant que le Kazakhstan, comme les autres pays centrasiatiques, est devenu convoité par d’autres puissances. En effet, alors que la Chine cherche à renforcer son emprise économique sur la région, la Turquie projette de constituer un ensemble cohérent turcophone en Asie centrale. Enfin, la crise kazakhe surgit à un moment où la Russie prise dans d’une nouvelle escalade des tensions avec l’OTAN à propos de la question ukrainienne.Des manifestations de 2020-2021 en Biélorussie, à la crise kazakhe, en passant par le problème ukrainien, l’« étranger proche » de la Russie est entré dans un nouveau cycle de crises. Il s’agit d’autant de symptômes de l’incapacité de Moscou à normaliser ses relations avec ces anciennes subdivisions territoriales de l’URSS. Durant ces trente dernières années, ces Etats ont cherché « à la fois à construire leur nouvelle identité nationale et [tenté], à des degrés divers, de définir une insertion internationale qui leur permettrait de se désengager d’une trop grande influence de leur ancienne métropole devenue la Fédération de Russie.[3]»La dynamique de ces Etats se heurte à une politique étrangère russe qui peine à accepter qu’avec l’indépendance des anciennes républiques soviétiques, « les anciennes limites administratives internes de l’Union soviétique deviennent des frontières internationales[4] ». En voulant inscrire son intervention au Kazakhstan dans la légalité octroyée par le mandat de l’OTSC la Russie cherche à éviter, dans le contexte de la crise ukrainienne, la constitution d’un nouveau front de tensions en Asie centrale.


[1] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/06/26/les-ressources-energetiques-du-kazakhstan
[2] https://www.kz.undp.org/content/kazakhstan/en/home/sustainable-development-goals/goal-10-reduced-inequalities.html
[3] Ibid.
[4] Raviot, Jean-Robert, et Taline Ter Minassian. Russie : vers une nouvelle guerre froide ? 2016, Documentation Française
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