Par Edouard Josse
Le Brexit aura donc bien lieu. La victoire de Boris Johnson aux élections générales a le mérite de la clarté. Le Royaume-Uni quittera ainsi très vraisemblablement l’Union européenne le 31 janvier prochain après que l’accord ait été ratifié par la Chambre des communes et le Parlement européen. L’officialisation de ce divorce soulignera à nouveau une situation déjà bien connue : la France est seule.
Seule puissance militaire capable de se projeter et d’entrer en premier sur un théâtre, seul pays à posséder un modèle d’armée complet parmi 27 États européens, seule nation à disposer d’une autonomie stratégique, de la dissuasion nucléaire, d’un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies, et d’une BITD nationale forte. Surtout, la France est la seule à penser l’Europe comme une puissance dans le monde. La position d’Emmanuel Macron est en cela fidèle à la vision gaullienne qui consiste à faire de la construction européenne un vecteur et un multiplicateur de la puissance française.
La nouvelle bipolarité sino-américaine qui monte nous oblige à construire un outil de défense souverain européen pour conserver demain un poids géopolitique. L’ « armée européenne » est une chimère, mais il convient d’imaginer une capacité militaire ad hoc, intégrée, agile et respectueuse des identités nationales. L’appellation importe peu, mais il faut sortir du bricolage de structures de coordination à géométrie variable et sans débouché opérationnel. Alors que les foyers de crise se multiplient à ses portes et que le tabou de la guerre entre États semble s’effriter, l’Europe doit devenir une puissance d’équilibre et conserver au monde un caractère multipolaire.
À l’autonomie de l’outil militaire européen s’ajoute l’enjeu intimement lié de la souveraineté numérique. Il est indispensable que l’Europe s’émancipe et se protège dans les technologies qui feront l’économie de demain : l’intelligence artificielle, le Big Data, la 5G, l’informatique quantique, etc. Autant de défis qui concernent au premier chef Thierry Breton, nouveau commissaire européen chargé notamment des questions de défense. Il affiche précisément une volonté de renforcer une BITD européenne et souveraine, grâce notamment au Fonds européen de la défense doté de 13 milliards d’euros. Il y a aujourd’hui un vrai besoin de consolidation de l’industrie de défense européenne face aux coûts de la R&D. Outre les rapprochements entre acteurs industriels, l’instauration d’une préférence européenne dans l’acquisition de matériels militaires – visant à rendre très coûteux le choix capacitaire non-européen – doit être une priorité.
Quant à la proposition faite par Emmanuel Macron d’un traité de défense et de sécurité, est-elle toujours d’actualité ? Si tel devait être le cas, il semble indispensable de pouvoir y associer les Britanniques d’une manière ou d’une autre. Indépendamment du Brexit, la France est étroitement liée au Royaume-Uni sur le plan militaire par les accords de Lancaster House. L’appui logistique des Chinook de la Royal Air Force au titre de l’opération Barkhane en est une belle illustration. Le Sahel pourrait d’ailleurs être le laboratoire d’un engagement opérationnel européen sous commandement français. Le Danemark vient également de rejoindre le Royaume-Uni et l’Estonie au sein de Barkhane, en fournissant des hélicoptères de manœuvre Merlin. La coalition de forces spéciales européennes « Takuba » lancée par Florence Parly est en passe de rassembler plusieurs nations (République tchèque, Suède, Norvège, Estonie, Belgique). Formons le vœu que 2020 soit pour la défense européenne l’année du grand saut en avant aux plans politique, industriel et opérationnel.