La décision du président Trump de retirer l’ensemble des forces américaines déployées dans le nord-est de la Syrie contre l’avis de ses conseillers militaires semble être lue par le Pentagone comme étant susceptible de constituer une répétition d’un éventuel retrait afghan, voire même la première étape d’un désengagement généralisé des Etats-Unis des conflits du Moyen-Orient, catalysé par le contexte de campagne présidentielle en vue des élections de 2020. Et si un contingent américain pourrait demeurer en Syrie pour empêcher que certains champs pétroliers ne tombent entre les mains de groupes islamistes ou de puissances hostiles à Washington, cela n’altère pas significativement la dynamique d’ensemble.
En effet, selon NBC News qui se fonde sur les déclarations d’officiels du Pentagone restés anonymes, le Département de la Défense serait en train d’élaborer des plans afin de faire face à un éventuel ordre de retrait brutal des forces américaines d’Afghanistan, sur le modèle du désengagement de Syrie. Ces plans doivent prendre en compte le retrait non seulement des personnels, mais également des infrastructures, du matériel et des équipements (la question des munitions et des véhicules légers a été soulignée lors du retrait de Syrie), leur transfert aux forces afghanes voire même leur destruction, et l’organisation des convois aériens et routiers. À cet égard, le général Austin Miller, commandant des forces américaines en Afghanistan et de la mission de l’Otan Resolute Support, a déclaré au New York Times qu’au cours de l’année écoulée, 2000 soldats américains avaient déjà été désengagés d’Afghanistan dans la plus grande discrétion, portant à environ 12000 le nombre de militaires américains déployés sur le territoire afghan. Cette annonce fait suite à des propos du secrétaire à la Défense Mark Esper à des reporters couvrant son déplacement en Afghanistan le week-end dernier, selon lesquels un retrait total serait soumis à des conditions, en particulier un accord avec les Talibans mais que les Etats-Unis estimaient qu’un effectif d’environ 8 600 soldats serait suffisant pour assurer les missions de contre-terrorisme actuellement conduites, fixant de facto un plancher pour les prochaines vagues de retrait. Se voulant rassurant à destination des autorités afghanes, Mark Esper a également souligné les différences entre les théâtres afghan et syrien, estimant que l’objectif politique en Afghanistan était très clair.
Néanmoins, si le Pentagone tient à rappeler que ces préparatifs n’avaient lieu qu’à titre de précaution, et qu’aucun ordre de retrait n’avait été donné par la Maison-Blanche, ces déclarations peinent à contrebalancer les facteurs qui accréditent la possibilité d’un retrait de la totalité ou du moins de la majeure partie du dispositif américain sur le théâtre afghan. Le premier est l’échec du long processus de négociations entre l’administration américaine et les Talibans suite à la décision présidentielle d’annuler la rencontre secrète qui devait avoir lieu en septembre à Camp David en réaction à une attaque ayant coûté la vie à un soldat américain. Le second, qui pourrait peser bien davantage, est le contexte de politique intérieure américaine, marqué par le lancement de la campagne pour les élections présidentielles de 2020. Or, le retrait américain des théâtres extérieurs, en particulier l’Afghanistan, constitue, comme il l’a récemment répété avec vigueur, l’une des principales promesses électorales de Donald Trump qui pourrait être tenté de la réaliser afin de renforcer son assise politique. Plus largement, la dynamique potentiellement enclenchée par le retrait syrien pourrait conduire à remettre en cause le futur de la lutte contre Daech voire plus largement la stratégie qui sous-tend l’action de l’US Central Command, en particulier en matière de lutte contre le terrorisme.
Signe de l’importance que revêt le dossier afghan dans la politique internationale et intérieure des Etats-Unis, dimanche 20 octobre, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants américaine, accompagnée d’une délégation bipartisane (comportant un seul représentant républicain) s’est rendue en Afghanistan lors d’une visite surprise suite à un déplacement en Jordanie concernant la situation en Syrie. La délégation parlementaire a rencontré du personnel militaire américain et des membres du gouvernement afghan, dont le président Ashraf Ghani et le chef de l’exécutif Abdullah Abdullah qui se sont affrontés au cours des élections présidentielles du 28 septembre, dont la proclamation des résultats a été retardée. Nancy Pelosi a expliqué que cette visite était « essentielle afin que le Congrès évalue de manière efficace [la] mission en Afghanistan ». La délégation parlementaire a également rencontré des membres de la société civile.
Enfin, attestant que le vide laissé par les négociateurs américains pouvait rapidement être comblé, les Talibans ont annoncé que des discussions de paix entre Afghans devraient se tenir en Chine les 28 et 29 octobre. Ces discussions seront les premières entre le gouvernement et le groupe rebelle depuis celles tenues à Doha en juillet. Côté américain, le département d’Etat a annoncé que l’envoyé spécial Zalmay Khalilzad avait commencé des discussions avec les représentants européens, de l’OTAN et des Nations-Unies et qu’il devrait ensuite rencontrer des représentants chinois et russes. Il avait joué un rôle clé pendant près d’un an au sein des négociations entre les Américains et les Talibans avant que l’accord, dont la signature au cours d’une rencontre historique à Camp David semblait alors proche, soit tué dans l’œuf par le président Trump après une série d’attaques à Kaboul attribuée à l’organisation islamiste et ayant tué une douzaine de personnes dont un soldat américain. Donald Trump avait ensuite appelé à un retrait des quelques 14 000 soldats américains.
Néanmoins, Khalilzad a rencontré le négociateur taliban Abdul Ghani Baradar, co-fondateur du mouvement taleb, à Islamabad au début du mois d’octobre ; cette rencontre étant la première depuis la fin des négociations en juillet. À ce stade, il est impossible de déterminer dans quelle mesure il pourrait s’agir d’un point de départ pour une reprise du cycle de négociations.
Dès lors, les préparatifs du Pentagone en Afghanistan démontrent, si besoin était, qu’avec le retrait américain de Syrie, l’imprévisibilité de la politique étrangère et de défense américaine devient une donnée stratégique qui entre dans la planification même des opérations militaires. Si, à terme, un désengagement américain d’Afghanistan semble inéluctable, ce dernier pourrait suivre une dynamique incrémentale permettant d’accompagner la montée en puissance des forces afghanes et la relance d’un processus de négociations interafghan. Or, le précédent syrien laisse entrevoir la possibilité d’un retrait tout aussi brutal du théâtre afghan, susceptible de réduire à néant les quelques gains acquis au prix du sang par 18 ans d’engagement américain et international, sans compter le tribut payé par les forces afghanes et la population civile. De fait, toutes les conditions sont réunies pour que l’Afghanistan redevienne très rapidement le théâtre d’une guerre civile meurtrière doublé d’un sanctuaire pour les groupes terroristes islamistes, au premier rang desquels Daech, constituant une menace pour la stabilité régionale et la sécurité internationale.