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Explosion suspecte sur deux pétroliers en mer d’Oman : désinformation et complots aux pays de l’or noir ?
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« You cannot prove a negative.
»
Maxime sceptique britannique.

 

 

Ce jeudi 13 juin, deux pétroliers ont été touchés par une explosion dans les eaux territoriales iraniennes, près du détroit d’Ormuz. D’après le témoignage des membres de l’équipage du Kokuka Courageous, un tanker japonais battant pavillon panaméen, leur navire aurait été frappé par des objets volant au-dessus de la ligne de flottaison, ce qui aurait eu pour effet d’entraîner immédiatement une explosion. Les marins du Front Altair, un tanker norvégien battant pavillon des îles Marshall, confirment également avoir entendu une explosion à leur bord. Après avoir émis des signaux de détresse, les 44 marins des deux bâtiments ont dû être secourus par un bateau de patrouille des Gardiens de la révolution, lesquels ont évoqué, sans plus de précision, un « accident ».

 

Si, fort heureusement, aucune victime n’est à déplorer, la question de l’origine des projectiles, et partant la caractérisation politique de cet événement, donnent lieu à un véritable bras de fer diplomatique entre Washington et Téhéran.

 

Sautant en premier sur l’occasion – assez opportune il faut l’avouer –, l’administration Trump a d’emblée imputé la responsabilité intentionnelle des explosions au régime iranien. Dans cette optique, le Commandement central américain (Centcom) a dévoilé une vidéo qui montrerait les membres d’une vedette des forces navales de la République islamique en train de démonter discrètement une mine qui n’aurait pas fonctionné de la coque du tanker japonais. Mais la vidéo, floue, en noir et blanc et prise depuis les airs, apparaît de piètre qualité. Mises à part les autorités britanniques, sans doute obligées par leur « relation spéciale », aucun autre membre de la communauté internationale ne s’est officiellement rallié à la position de Washington.

 

Sans qu’elle dispose d’éléments factuels à même de prouver, au-delà du doute raisonnable, ces allégations, l’explication avancée par les Etats-Unis trouverait cependant des raisons probantes en sa faveur. D’après le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo, l’« attaque » entrerait en parfaite résonance avec la menace brandie en juillet 2018 par les mollahs iraniens de bloquer le passage aux tankers dans le détroit, afin de riposter aux sanctions américaines prises à leur encontre. Ce scénario s’inscrirait par ailleurs dans la continuité du sabotage intervenu contre quatre autres pétroliers le 12 mai 2019 près des côtes de Fujaïrah, relevant de la souveraineté des Émirats arabes unis. Enfin, seul l’Iran disposerait dans la région des moyens militaires et technologiques suffisants pour enclencher de telles opérations secrètes, supposément perpétrées sous le sceau du « déni plausible (plausible denial) ».

 

Or Téhéran n’a pas grande difficulté à arguer de son côté, dans un joli « appel à l’ignorance (argumentum ad ignorantiam) », que l’absence de preuves convaincantes vaut précisément comme la preuve de sa non-implication dans l’affaire. Quitte à retourner l’accusation contre Washington… Dès lors, qui croire ? Une chose au moins est hors de doute : l’empressement américain à pointer du doigt un responsable tout trouvé, et ce malgré la faiblesse des indices établis, paraît suspect ; nul besoin d’être grand clerc pour comprendre qu’il sera difficile d’amener le gouvernement américain à réviser son avis, tant il tient là le prétexte idéal pour conforter sa stratégie d’endiguement commercial de son adversaire. A ce titre, les observateurs peuvent avoir le sentiment d’être confrontés aux mêmes « ficelles » rhétoriques que celles qui avaient présidé, de 2001 à 2003, à l’enclenchement de la mécanique guerrière contre l’Irak, et dont les spécialistes d’analyse des discours ont depuis savamment décortiqué les ressorts : « The US government needed a case to go to war against Iraq and they manipulated the American public into interpreting the relevance of a war against Iraq within a very specific limited context : that of terrorist attacks against America. In this instance, the strategy used consisted in constraining the set of contextual assumptions summoned for the interpretation of the target utterance […] : We must wage war against Iraq[1]. » A partir de là, comment attacher quelque crédibilité que ce soit à des allégations dont la tonalité fait songer à ce même genre de procédé accusatoire éculé, d’autant que nous ne disposons, à l’heure actuelle, d’aucun autre élément allant dans ce sens ?

 

D’ordinaire, une certaine sagesse parentale invite les enfants à considérer la patience comme la mère de toutes les vertus ; en ce contexte d’accentuation des tensions diplomatiques, alors que le duo « John le Bad Cop[2] & Donald le Good Cop » croit enfin avoir trouvé une scène à sa mesure, ce conseil, qui trouve à s’appliquer aussi à la vérification des preuves, revêt une valeur plus estimable encore.

 

[1] Didier Maillat, Steve Oswald, « Defining Manipulative Discourse: The Pragmatics of Cognitive
Illusions », International Review of Pragmatics, vol.1, no. 2, 2009, pp. 367.

[2] John Bolton, Conseiller à la sécurité nationale depuis 2018.

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