Sisiku Ayuk Tabe, leader autoproclamé de l’opposition anglophone, accepte de relancer le dialogue avec Paul Biya. La reprise des négociations est conditionnée par plusieurs exigences qu’il a énoncé le 27 mai dans un communiqué public : le président de l’ « Ambazonie » réclame la libération des personnes incarcérées lors du conflit, le retrait des forces gouvernementales au Nord-Ouest et au Sud-Ouest, mais également le renvoi des autorités administratives présentes en territoire anglophone comme les préfets et les gouverneurs. Diverses options sont envisagées pour la relance des négociations, parmi lesquelles l’appui d’observateurs étrangers. La France, le Royaume Uni ainsi que l’Organisation des Nations Unies disposeraient selon lui de ce statut et pourraient donc encadrer les pourparlers à New-York, Genève ou au siège de l’Union africaine.
Cette supervision étrangère n’est pourtant pas du goût du président Paul Biya, qui a fait savoir par l’entremise de son ministre des Affaires étrangères, M. Lejeune Mbella Mbella, qu’il accepte d’organiser les négociations à condition qu’elles puissent avoir lieu au Cameroun. La crainte d’une ingérence est typique du régime camerounais qui s’est toujours méfié de la potentielle influence de Paris dans ses affaires internes, comme en témoigne la création du Bataillon d’intervention rapide (BIR) dépendant de la présidence, véritable « armée dans l’armée » entrainée par les Israéliens et censé pouvoir résister à une tentative de coup d’État militaire. Seule la Communauté de Sant’Egidio, connue pour sa posture médiatrice dans les conflits (en Algérie, au Kosovo ou en Afrique Centrale) et proche de la papauté pourrait intervenir auprès des belligérants au Cameroun avec l’accord de Biya.
Un autre motif de crispation semble brouiller la possibilité d’un dialogue fécond : ni l’État, ni la rébellion ne souhaitent abandonner les territoires de l’Ouest et du Nord-Ouest. L’avancée est donc mitigée, puisque la sécession est le point nodal des révoltes anglophones : le régime n’a pas su réagir face aux revendications qui ont précédé les révoltes de 2017 où il suffisait alors d’ouvrir l’administration aux élites anglophones et de cesser la politique de francophonisation dans le domaine de l’enseignement.
Néanmoins, ces récentes déclarations témoignent d’une réelle évolution de la crise anglophone. Des contacts semblent s’être noués depuis quelques mois entre le pouvoir et divers leaders séparatistes. Le premier ministre M. Joseph Dion Ngute s’était rendu en mai dans l’Ouest pour apaiser les populations et témoigner du soutien de l’Etat face aux exactions des « bandits » ambazoniens. Il avait alors annoncé que le président Biya se déclarait prêt à amorcer un dialogue à la condition d’abandonner les revendications de sécession.
Dans cette lignée, Le Monde a révélé que des réunions se sont tenues à Genève les 17 et 18 mai sous la supervision du Centre pour le dialogue humanitaire proche de la diplomatie suisse. Le chef des services de renseignement extérieur, M. Léopold Maxime Eko Eko aurait également tenté d’organiser des pourparlers en Afrique de l’Est, sans succès. Comme le témoigne M. Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, le gouvernement peine à identifier un interlocuteur légitime, puisque le mouvement ambazonien gravite autour de la diaspora camerounaise basée aux États-Unis. Sisiku Ayuk Tabe n’est finalement qu’un potentiel médiateur parmi d’autres, tous empêtrés dans ‘une compétition quasi commerciale » pour déterminer qui sera le futur porte-parole de la cause ambazonienne.