Par Suzanne Kaltenbach
« La Georgie exprime son espoir que le pouvoir légitime du Venezuela soutiendra résolument le principe fondamental du droit international qu’est le respect de la souveraineté des Etats indépendants, de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues », peut-on lire dans une note du 24 janvier publiée par le ministère des affaires étrangères géorgien. La Géorgie devient ainsi l’un des premiers pays à avoir répondu à l’appel de Donald Trump à reconnaître Juan Guaido comme président légitime du Venezuela.
La rapidité de cette décision n’a rien d’étonnant puisque Tbilissi avait déjà déclaré la victoire de Maduro aux élections de mai 2018 comme illégitime. Si les bonnes relations qu’entretient la Géorgie avec les Etats-Unis entrent en ligne de compte dans la décision de Tbilissi, c’est avant tout la question de l’intégrité territoriale du pays qui est en jeu.
Aujourd’hui, le Venezuela fait en effet partie des 5 pays membres de l’ONU reconnaissant l’indépendance de l’Abkhazie, les autres étant la Russie, le Nicaragua, la Syrie et la république de Nauru. Après la guerre d’indépendance abkhaze, en 1992, Moscou n’avait pas réussi à convaincre ses alliés de reconnaître l’indépendance de ce territoire. Même des pays traditionnellement proches de la Russie, tels que la Biélorussie – qui est pourtant allée jusqu’à étudier la question en commission parlementaire – n’ont pas suivi Moscou. La période suivant la guerre de 2008, lors de laquelle la Russie reconnaît l’indépendance de l’Ossétie du Sud, marque alors le début d’une intensifications des partenariats établis par Moscou avec des pays d’Amérique latine : la Russie, en manque de soutiens sur la question Ossète dans son voisinage proche, se rapproche de « l’Alliance bolivarienne », organisation créé par Hugo Chavez et Fidel Castro en 2004, pour tirer profit de la position anti-américaine et du besoin de financements non occidentaux de ses pays membres. La Russie est ainsi « observateur invité » lors du sommet de l’alliance de 2009, l’année suivant la deuxième guerre d’Ossétie du Sud.
La reconnaissance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par ces quatre pays ne s’était pas faite sans contrepartie ; si l’adhésion de Nauru – l’un des plus petits Etats du monde – avait coûté à la Russie 50 millions de dollars d’aide, l’alignement du Venezuela sur la position russe était fortement conditionnée par une série de crédits et de contrats d’une ampleur bien plus large dans les domaines de l’armement et de l’extraction du pétrole. En 2008, la Russie accorde au Venezuela un crédit de 2,2 milliards de dollars pour acheter des systèmes d’armement. En 2010, Vladimir Poutine, alors premier ministre, vient en visite d’Etat à Caracas pour renforcer la coopération en matières énergétique et militaire entre les deux pays, qui prend par exemple la forme d’une usine de raffinage (20 milliards de dollars). L’importance de la question géorgienne dans les relations entre le Venezuela et la Russie n’a donc rien d’anecdotique. Raoul Khadjimba et Anatoliy Bibilov, présidents de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, étaient d’ailleurs présents à la dernière cérémonie d’inauguration de Maduro. Tbilissi et Caracas ont pour leur part rompu leurs relations diplomatiques en 2009, quand Hugo Chavez avait reconnu l’indépendance de Soukhoumi et Tskhinvali lors d’une visite en Russie.
Est-il réaliste pour la Géorgie de placer ses espoirs dans le potentiel nouveau pouvoir Vénézuélien ? Il faut le croire. Bien que la non-reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud ne fasse pas partie des impératifs les plus médiatisés de l’opposition, un nouveau gouvernement vénézuélien, pour s’assurer de l’aide économique américaine et européenne, s’éloigner d’une Russie qui soutient toujours Maduro et se défaire de l’héritage de l’ère précédente, aura tout intérêt à aligner sa position sur celle des pays occidentaux et de Tbilissi, historiquement opposé à Moscou.
Lors d’une interview donnée à la radio-television publique géorgienne en mars 2018, Juan Guaido avait ainsi annoncé l’intention de l’opposition, si celle-ci parvenait au pouvoir, de revenir sur de nombreuses lois adoptées sous ses prédécesseurs : « la loi concernant la reconnaissance de deux états occupés et à l’existence illégale – l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud – en fait partie. J’en suis convaincu : leur reconnaissance sera annulée ».
Un changement rapide dans la position vénézuélienne est d’autant plus probable que la reconnaissance de l’indépendance des deux territoires sécessionnistes par Hugo Chavez, qui l’avait longuement négociée, avait pris la forme d’une déclaration du président et d’une note du ministère des affaires étrangères mais n’avait pas fait l’objet d’une ratification par le parlement, et n’est donc pas, quoiqu’en ait dit Juan Guaido, une loi. Le Nicaragua n’avait pas non plus ratifié cette décision, et pourrait revenir dessus, comme l’ont déjà fait le Vanuatu et les Tuvalu. L’affaiblissement ou l’effondrement de l’Alliance Bolivarienne serait donc également de nature à faire revenir le Nicaragua sur son soutien à Moscou, ou du moins, à en augmenter le prix.
SOURCES ET REFERENCES :
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“У Грузии появились виды на Венесуэлу” – Mzia Paresishvili, Ekho Kavkaza, 24 janvier 2019. (https://www.ekhokavkaza.com/a/29729087.html)
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“России дорого обходится каждое новое признание абхазской и югоосетинской независимости”, Sergueï Markedonov, Ekho Kavkaza, 10 Novembre 2009 (https://www.ekhokavkaza.com/a/1874411.html)
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“Abkhazia Is Recognized — by Nauru.” Ellen Barry, The New York Times, 15 décembre 2009. (https://www.nytimes.com/2009/12/16/world/europe/16georgia.html)
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Déclaration du ministère des affaires étrangeres géorgien du 24 janvier 2019. (http://www.mfa.gov.ge/News/saqartvelos-sagareo-saqmeta-saministros-ganck-(38).aspx)
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“МИД Грузии: Грузия признает временным президентом Венесуэлы Хуана Гуаидо” (https://www.apsny.ge/2019/pol/1548367810.php)
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“Грузия признала Хуана Гуайдо президентом Венесуэлы” Nestan Tcharviani – Voice of America, 24 janvier 2019
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Грузия признала Гуаидо временным президентом Венесуэлы – dépêche Interfax, 24 janvier
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Conference de Presse de Hugo Chavez et Dmitri Medvedev, 10 septembre 2009 (http://kremlin.ru/events/president/transcripts/5419)