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« Missile Defense Review » : les Etats-Unis se laissent le droit de développer leur arsenal spatial
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« Missile Defense Review » : les Etats-Unis se laissent le droit de développer leur arsenal spatial

Par Matthieu de Ramecourt

 

 

Formellement présentée au Pentagone par le président des Etats-Unis, la Missile Defense Review américaine ne rompt que très partiellement avec les doctrines précédentes. Mettant en exergue la cohérence de cette dernière avec la National Security Strategy de 2017, la National Defense Strategy de 2018 et la Nuclear Posture Review de 2018 [1], le département de la Défense souligne cependant qu’elle contient une innovation notable. En effet, elle ouvre la possibilité d’un placement d’outils spatiaux de défense supplémentaires. Parmi les deux moyens envisagés, « senseurs » et « intercepteurs », les seconds soulèvent de nombreuses problématiques, tant juridiques que diplomatiques.

 

La Missile Defense Review ne s’intéresse que marginalement à l’espace extra-atmosphérique, son objectif principal étant, comme son nom l’indique, la description des « doctrines, stratégies et capacités qui guideront les programmes de défense antimissile du département de la Défense ». Largement focalisé sur les menaces liées au développement des capacités de la Corée du Nord, de l’Iran, de la Chine et de la Russie, le rapport de l’administration Trump reconnaît cependant explicitement « l’importance de l’espace ».

 

Ainsi, à travers la promotion d’une étude approfondie d’un potentiel placement de senseurs et intercepteurs, le rapport consacre à l’extra-atmosphérique une sous-partie de la rubrique Roles, Policy and Strategy[2]. Plus loin, le titre Preparing for emerging offensive missile threats and uncertainties[3] est l’occasion d’un rappel insistant de l’intérêt stratégique et financier que représenterait la mise en place opérationnelle de laser à énergie dirigé, déjà en cours de développement sur le territoire américain, ainsi que le déploiement des outils spatiaux mentionnés ci-dessus.

 

Sans en imposer l’application de manière frontale, le rapport promeut ainsi une mesure particulièrement controversée : le déploiement d’intercepteurs au sein de l’espace extra-atmosphérique. Concrètement, il s’agit du développement de satellites capables d’intercepter un missile se déplaçant en bordure atmosphérique. De tels moyens peuvent prendre différentes formes : bien que l’image de satellites équipés de missiles marque tout particulièrement les esprits[4], il convient de souligner que le précédent programme envisageant une telle pratique prévoyait de recourir à des moyens légèrement plus discrets. Comme le rappelle Fabrice Wolf[5], un tel dispositif a en effet été pensé dans les années 80 dans le cadre de l’Initiative de Défense Stratégique américaine. Le déploiement d’un réseau d’intercepteurs surnommé Brilliant Pebbles envisageait l’emploi de de projectiles de taille réduite en tungstène[6]. Ce système, développé par Lowell Wood et Edward Teller du Livermore National Laboratory, puis annulé en 1994, visait à intercepter les potentiels tirs de missiles soviétiques, mettant de facto un terme à l’équilibre de la terreur.

 

Un tel programme possède de nombreux avantages. Comme l’indique la Missile Defense Review, il permet non seulement de réduire le nombre d’intercepteurs terrestres nécessaires à la défense antimissile américaine, et donc son coût, mais il offre également la possibilité de détruire les cibles au-dessus du territoire de l’agresseur[7]. Cependant, les conséquences juridiques et diplomatiques d’un tel déploiement semblent à première vue catastrophiques. Alors que le traité de l’espace de 1967 entérine le principe de l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique[8], le placement unilatéral de moyens utiles tant à la défense anti-missile balistique qu’à des fins anti satellitaires serait reçu par la communauté internationale comme une réelle provocation. Le consensus international qui prévaut depuis la guerre froide permettait en effet le déploiement de moyens militaires en soutien aux opérations de défense – on parle alors de militarisation -, mais se refusait au placement permanent d’armes dans l’espace – ou arsenalisation. Après avoir avancé l’idée de la création d’une Space Force indépendante des autres corps d’armée, les États-Unis viennent une fois de plus d’ébaucher le portait d’un espace martialisé à travers l’emploi du terme « intercepteur ».

 

 

SOURCES ET REFERENCES :

 

[1]Office of the Secretary of Defense, 2019 Missile Defense Review, disponible en PDF au lien suivant :

https://media.defense.gov/2019/Jan/17/2002080666/-1/-1/1/2019-MISSILE-DEFENSE-REVIEW.PDF

[2] Ibid., p. 36.

[3] Ibid., p. 54.

[4] MEHTA, Aaron. Space-based interceptors and drones with lasers: the Pentagon’s Missile Defense Review wish list revealed, DefenseNews, 17/01/2019. Disponible en ligne :  https://www.defensenews.com/breaking-news/2019/01/17/space-based-interceptors-and-drones-with-lasers-the-pentagons-missile-defense-review-wish-list-revealed/

[5] WOLF, Fabrice. «Confidentiel : La revue de défense antimissile américaine préconise des senseurs et lasers spatiaux», Analysedéfense, 17/01/2019. Disponible en ligne :

https://analysedefense.fr/blogs/articles/confidentiel-la-revue-de-defense-antimissile-us-preconise-des-senseurs-et-lasers-spatiaux

[6] BROAD, J., William. « What’s Next for ‘Star Wars’? ‘Brilliant Pebbles’ », The New York Times, 25 avril 1989. https://www.nytimes.com/1989/04/25/science/what-s-next-for-star-wars-brilliant-pebbles.html

[7]Op. cit, Missile Defense Review, p.36.

[8] Assemblée générale des Nations Unies, Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, rés. 2222 (XXI),19 déc. 1966, art. 3.

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