Par Cyrille Bricout
Dans une ordonnance du 14 décembre 2018, le Conseil d’Etat statuant en référé a enjoint aux ministres des Armées, de l’Intérieur, et de l’Europe et des Affaires étrangères d’accorder la protection fonctionnelle à un personnel civil de recrutement local (PCRL) afghan, engagé comme interprète en 2010 et 2011 auprès des militaires français chargés de former les forces afghanes.
La situation des anciens PCRL afghans
Depuis le retrait des forces françaises d’Afghanistan en 2014, le sort de leurs anciens auxiliaires locaux est pour le moins incertain. Menacés ainsi que leurs familles par les Talibans, qui les considèrent comme des traîtres, la France n’a que peu œuvré à les protéger : sur un total d’environ 800 anciens PCRL ayant secondé les forces françaises, 173 se sont vus accorder un visa entre 2013 et 2015 ; 152 demandes ont en revanche été rejetées.
La situation s’est depuis aggravée, entre le silence de l’administration française et la destruction de l’ambassade de France à Kaboul dans l’explosion d’un camion piégé, le 31 mai 2017. Une mission ad hoc a néanmoins été envoyée à Islamabad mi-novembre 2018.
La protection fonctionnelle
L’article 11, IV de la « loi le Pors » du 13 juillet 1983 dispose : « la collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée ».
A l’origine réservée aux fonctionnaires, cette protection a néanmoins été étendue à tous les agents de l’administration. Elle est ainsi susceptible de bénéficier aux personnels – même étrangers – recrutés comme auxiliaires de l’armée française.
Le cas d’espèce : un ex-PCRL en danger de mort immédiat et avéré
L’interprète en question, après avoir fait l’objet de plusieurs menaces de mort, a été blessé une première fois par balles en juillet 2017, puis une seconde fois lors d’un attentat qui a frappé son village au mois de novembre de la même année. Il a finalement fui à Kaboul en septembre 2018. Dès février 2017, il avait envoyé une lettre à l’ambassadeur de France en Afghanistan pour demander au ministre de la Défense de lui accorder la protection fonctionnelle. Cette sollicitation étant restée sans réponse, il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris aux fins d’enjoindre aux autorités françaises de lui accorder la protection fonctionnelle.
Sa demande comportait deux volets visant à assurer sa sécurité ainsi que celle de sa famille, respectivement à court et à long terme : premièrement, en finançant un logement dans un quartier sécurisé de Kaboul ; deuxièmement, en leur délivrant un visa qui leur permettrait de s’installer en France. Toutefois, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté ces demandes. Il ne dispose en effet, aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, que de la capacité de prendre les « mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale » à laquelle a été apportée une « atteinte grave et manifestement illégale ». Or, le juge a considéré que la délivrance d’un visa n’entrait pas dans le cadre de la protection fonctionnelle, et que l’étude de la situation de l’interprète à cette fin ne pouvait donc pas constituer une mesure telle que définie ci-dessus.
Cependant, le juge des référés du Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du tribunal administratif de Paris, dans la mesure où ce dernier n’avait pas motivé le rejet des demandes à court terme ; et, statuant à nouveau, le Conseil d’Etat a considéré contrairement au tribunal administratif que, puisque le péril subi par l’interprète et sa famille résultait d’une carence des autorités françaises, toutes ses demandes entraient bien dans le cadre défini par l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Par conséquent, il a enjoint aux administrations respectivement compétentes d’assurer la sécurité immédiate de l’interprète et de sa famille et de réexaminer leur situation.
La relative inertie des autorités françaises concernant la situation des ex-PCRL afghans a pu être interprétée comme ressortissant à une volonté de ne pas créer de précédent, qui garantirait à l’avenir l’attribution d’un visa à tous les auxiliaires de l’armée française à l’issue de chacune de ses interventions extérieures. De fait, il convient d’être prudent quant à la portée de l’ordonnance du Conseil d’Etat, qui précise à plusieurs reprises prendre sa décision au regard des « circonstances de l’espèce ». En outre, c’est aux ministres des Armées, de l’Intérieur, et de l’Europe et des Affaires étrangères que revient in fine la décision d’attribuer – ou non – les visas.