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Visite d’Etat en Australie : faire perdurer un partenariat stratégique dans le Pacifique
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Par Margaux Martin-Péridier

 

 

La visite en Australie du Président de la République Emmanuel Macron du 1er au 3 mai 2018 avait pour objectif de « rehausser le partenariat stratégique »1 entre la France et l’Australie. Cette venue constitue la première visite australienne d’un Président français dans un cadre strictement bilatéral, la dernière ayant eu lieu en 2014 ; François Hollande s’était alors rendu à Canberra dans à l’occasion d’une réunion du G20. Aux côtés du Premier ministre australien Malcom Turnbull, Emmanuel Macron a émis sa volonté de renforcer la coopération entre les deux pays dans les domaines de l’économie, de la défense, et de la sécurité régionale.

 

L’axe franco-australien, un travail de plusieurs générations

 

La relation franco-australienne s’enracine dans l’histoire. Comme a pu le rappeler le chef de l’Etat le 1er mai, « je sais ce que mon pays vous doit »2. Emmanuel Macron est venu commémorer le centenaire de l’Australian and New Zealand Army Corps (ANZAC) et a célébré l’engagement des troupes australiennes aux côtés de la France lors des conflits mondiaux. Le Président français a symboliquement fait honneur à trois anciens combattants australiens de la Seconde Guerre mondiale en leur remettant les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur. En célébrant une coopération militaire ancienne, Emmanuel Macron s’est inscrit dans le sillage de sa visite d’Etat aux Etats-Unis, en avril 2018, à l’occasion de laquelle il avait rendu hommage aux marines américains tombés en juin 1918 lors de la bataille du Bois Belleau.

 

Emmanuel Macron et Malcolm Turnbull

 

Lors de son discours à Sydney, le président Emmanuel Macron a évoqué un renouveau de l’axe franco-australien, « a new faith for our relationship »3. Ce discours s’inscrit dans la continuité de la politique française des années précédentes. En effet, Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, et son homologue australienne, Julie Bishop, avaient, lors d’une déclaration commune en 2013, rappelé la relation privilégiée qu’entretenaient les deux pays : « Nos nations sont unies par des valeurs communes ».4

 

Ainsi, une relation de long terme avec l’Australie semble primordiale pour le million et demi de Français qui vivent dans la région, et pour les huit mille soldats qui travaillent à la sécuriser5.

 

Une coopération industrielle importante : « le contrat du siècle » pour Naval Group

 

Dans l’objectif de se doter d’une véritable « industrie de défense souveraine »6, comme l’a souligné le Chef d’Etat australien Malcom Turnbull, le pays s’est tourné vers la France en signant à la fin de l’année 2016 le « contrat du siècle »7, portant sur la fourniture à l’Australie de douze sous-marins.

 

Il avait tout d’abord été question dans le Livre Blanc de l’Australie sur la défense de 2009 de remplacer les sous-marins de la classe Collins dont disposait la Royal Australian Navy8. Cette volonté a été réitérée dans le Livre blanc de 2016, qui avait mis en exergue le besoin d’une « nouvelle flotte de sous-marins très sophistiqués qui permettraient d’assurer une supériorité régionale »9. L’Australie est aujourd’hui une puissance moyenne, mais veut rester la première de la région. Alors que son voisin le plus proche, l’Indonésie, possède une armée de 200 000 hommes, soit quatre fois plus que l’armée australienne, Canberra mise sur l’avance technologique que peuvent lui conférer ses sous-marins pour conserver son avantage.

 

C’est ainsi que Naval Group, anciennement DCNS, a été choisi par l’Australie en avril 2016 pour la construction des douze sous-marins australiens. Le programme, estimé à 35 milliards d’euros10, inclut notamment les phases de conception, de construction et de maintenance. Le premier de ces sous-marins devrait être livré en 2030, et la flotte constituée en 2050. L’accord-cadre relatif à la coopération sur le futur programme des sous-marins australiens entre la Marine Australienne et le gouvernement français a été signé le 20 décembre 2016 entre Marise Payne, la ministre de la Défense du Commonwealth d’Australie, et Jean-Yves Le Drian, son homologue français. Ce contrat-cadre avait pour objectif de renforcer le lien entre les deux pays ainsi que de « transférer des savoir-faire, des connaissances et des technologies de pointes »11 au gouvernement de Canberra. Après une construction en coopération avec des ingénieurs australiens, Naval Group formera ces derniers à la maintenance des sous-marins pour qu’ils aient la capacité de les entretenir sans plus avoir besoin de faire appel à la France.

 

Florence Parly et Malcolm Turnbull, à Cherbourg-en-Cotentin

 

Le dimanche 9 juillet 2017, le chef d’Etat australien, Malcom Turnbull, et la ministre française des Armées, Florence Parly, avaient conjointement inauguré aux côtés du PDG de Naval Group, Hervé Guillou, le bâtiment où seront conçus les douze sous-marins destinés à l’Australie, situé à Cherbourg-en-Cotentin (Manche). Une cinquantaine d’ingénieurs, d’architectes navals et de sous-mariniers australiens se sont installés en France pour entamer le programme de construction. En s’exprimant publiquement à cette occasion, Florence Parly a souligné une nouvelle fois la longue durée dans laquelle s’inscrit ce projet, qui s’étend « sur des générations entre les deux pays amis »12.

 

Quel intérêt stratégique pour la France ?

 

La France possède la deuxième Zone Economique Exclusive au monde derrière les Etats-Unis, avec 10 070 754 de km2. Comme Emmanuel Macron l’a rappelé lors de son discours à Sydney, ce sont des « millions de kilomètres carrés de présence française, grâce à ses territoires d’Outre-Mer »13. Les différentes îles du Pacifique Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, Polynésie Française, Île de Clipperton) mais aussi de l’Océan Indien (La Réunion et Mayotte notamment), représentent un facteur de puissance militaire et économique, mais aussi un considérable enjeu de sécurité. Jean-Yves Le Drian l’avait proclamé lors d’un discours en 2016 : « La France, en se donnant les moyens de défendre ses intérêts et en tenant un rôle sécuritaire ambitieux, entend contribuer au maintien de la stabilité en Asie-Pacifique »14. Les forces françaises présentes dans le Pacifique comptent actuellement à 2350 hommes 15.

 

L’association avec l’armée la plus puissante de la région semble aujourd’hui cruciale pour le maintien de la sécurité. C’est ainsi que la Marine Nationale a réalisé en avril 2018 un exercice conjoint du type PASSEX aux côtés de la Royal Australian Navy. A l’Est des côtes de l’Australie, la frégate française Vendémiaire et la frégate australienne HMAS Anzac ont effectué un entrainement de ravitaillement ainsi que des exercices de manœuvre et de communication tactique. Ils ont aussi effectué des échanges de personnel : six marins de chaque équipage ont passé l’après-midi à bord de l’autre bâtiment16. Cet exercice avait pour finalité de renforcer l’interopérabilité entre les deux marines et de renforcer la coopération dans la zone. La frégate française avait quitté le territoire néo-calédonien en janvier pour une mission de trois mois en mer de Chine, dans l’objectif de renforcer la connaissance des zones sensibles du Pacifique-Ouest. Au cours de sa mission, la frégate eu l’occasion d’échanger avec plusieurs autres marines étrangères comme l’Indonésie. Dans cette démarche, la frégate effectue une fois par an une mission « Asie ».

 

 

L’armée française doit du reste assurer une vigilance humanitaire dans la région, fréquemment éprouvée par des catastrophes naturelles. Suite au cyclone Pam (2015), qui avait particulièrement touché l’archipel du Vanuatu 18, ou au cyclone Winston (2016), qui avait ravagé les îles Fidji, les forces françaises du Pacifique sont venues en aide aux populations à travers des missions dites de « secours d’urgence » 19. Elles visent à ravitailler les populations pour répondre à leurs besoins vitaux, et à aider à la reconstruction de logements de substitution.

 

Par ailleurs, les forces françaises luttent continuellement contre le trafic de drogue dans la région. En témoigne la saisie en octobre dernier de près de 1,4 tonne de cocaïne à bord d’un navire, au large des côtes de la Nouvelle-Calédonie20. Ce dernier, en provenance d’Amérique latine, avait pour destination l’Australie. L’aide des puissances régionales est à ce titre indispensable, sachant que les drogues en provenance d’Amérique latine transitent sur des navires souvent très difficiles à repérer dans l’océan Pacifique.

 

Les forces australiennes, néo-zélandaises et françaises travaillent enfin conjointement à l’arrestation des navires se livrant à des activités de pêche illégale. Avec l’appui important de la Communauté du Pacifique (communauté internationale basée à Nouméa), et la Pacific Island Forum Fishery Agency, le travail colossal effectué par la police pour lutter contre la pêche illégale se fait conjointement avec l’Australie, par exemple à travers l’opération PASSEX. Cette opération, conduite depuis la signature du traité de Niue en 1992 entre les membres du Quadrilateral Defense Coordinating Group (Australie, Nouvelle-Zélande, France et USA), mène des actions de surveillance maritime. Elle représente un soutien essentiel au Forum Fishery Agency dans la préservation des zones économiques exclusives contre la pêche non déclarée et non réglementée, et par conséquent dans la défense des intérêts de la Communauté du Pacifique et de ses vingt-deux Etats et territoires insulaires. La France, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, étant trois membres fondateurs de cette organisation (créée en 1947), représentent les seuls pays possédant des moyens d’actions suffisants pour la sécurisation de la zone.

 

Contrer les ambitions chinoises dans le Pacifique

 

Finalement, une coopération sécuritaire est aussi un enjeu de puissance. Emmanuel Macron l’a rappelé lors de son discours à Sydney : « if we want to be seen and respected as a partner by China, as an equal partner, we have to organize ourselves. »22 La Revue Stratégique de Défense et de Sécurité Nationale 2017 avait défini comme priorité la surveillance de la montée en puissance de l’armée chinoise. Alors que les Chinois ont considérablement augmenté, depuis 25 ans, le budget qu’ils allouent à la défense, la construction d’îlots artificiels militaires et d’infrastructures portuaires considérables inquiète la France. La Chine développe ses capacités aéronavales à un rythme très soutenu avec la mise à l’eau en moyenne d’un sous-marin par an et la production continue d’avions de chasse de cinquième génération23.

 

De ce fait, les chefs d’Etats français et australiens s’accordent pour renforcer la présence occidentale dans la région, à l’heure où la Chine fait de sa politique Pacifique une de ses priorités stratégiques. Emmanuel Macron aspire à un travail commun ; selon son expression, « multilateralism is a precondition for the stability of the region »24. La Chine est aujourd’hui le concurrent direct de ces deux puissances dans la zone Pacifique. La présence accrue des investissements chinois dans les zones insulaires permet à Pékin d’acquérir dans la région une position de force, et d’ainsi fragiliser les défenses australiennes et françaises.

 

Cette influence croissante de la Chine a stimulé l’avènement d’une « guerre des investissements » dans les îles du Pacifique. Le premier ministre australien a d’ailleurs présenté le 8 mai son projet de budget 2018-2019, comprenant notamment les sommes versées au titre de l’aide internationale : l’Australie prévoit d’augmenter son aide aux Nations du Pacifique de 200 millions de dollars australiens (125 millions d’euros). De ce fait, la région Pacifique recevra 30% de l’aide internationale, soit 1,26 milliards de dollars australiens (800 millions d’euros environ)25. Cette initiative résulte de la mainmise économique et bientôt militaire de Pékin en mer de Chine. A l’heure ou « l’arc mélanésien est la première ligne de défense australienne pour parer à tout risque sécuritaire venant du Nord »26, il semble primordial pour l’Australie de redoubler d’efforts à travers des investissements économiques et humanitaires dans ces territoires du Pacifique. Premièrement, ces investissements permettent à Canberra de renforcer sa sécurité en s’assurant d’un soutien de ses alliés et voisins ; mais, surtout, ils permettent à l’Australie de préserver son influence, en des temps où la guerre des capitaux avec la Chine pourrait l’ébranler.

 

L’Australie s’inscrit de ce fait dans la continuité du discours du président français quelques jours plus tôt. Après la visite en Inde d’Emmanuel Macron, l’axe Paris-New Delhi-Canberra semble se renforcer face aux volontés hégémoniques de la Chine. En effet, alors que le président Emmanuel Macron était en Inde il y a deux mois, le contrat sur les avions de combat Rafale qu’il a passé avec le chef d’Etat indien27, entre dans la même dynamique de resserrement des liens qu’avec l’Australie. Le président français souhaite ainsi redéfinir l’ordre géostratégique de la zone pour répondre à trois menaces : la projection chinoise, le terrorisme et le changement climatique. Le président l’a rappelé à Sydney : l’objectif n’est pas de s’opposer à la route de la soie chinoise mais de pouvoir garantir la liberté de circulation navale et aérienne dans la zone. Les possessions françaises (Réunion, Mayotte,), australiennes (îles Cocos et îles Christmas) et indiennes (îles Andaman et Nicobar) représentent un triangle hautement stratégique en termes de surveillance maritime dans l’Océan indien28. C’est en créant un lien renforcé entre les trois pays que la France pourra s’assurer de la stabilité de la région de l’Océan indien et du Pacifique.

 

Finalement, le président français s’accorde avec la politique mise en place par les Etats-Unis ces quatre dernières années. L’ex-président américain, Barack Obama, avait fait de la zone Asie-Pacifique une priorité en termes de défense en 2014 ; Donald Trump a en 2018 réaffirmé cet axe stratégique. Dans un communiqué du département américain de la défense, les Etats-Unis affirment leur volonté de développer un travail multilatéral dans la région pour contrer l’« economic and military ascendance » de la Chine29. Washington prévoit de déployer 60% de ses moyens navals et aériens dans la zone Pacifique d’ici à 202030, une présence significative qui ne manquera pas de conduire la France et l’Australie à renforcer leur coopération avec les Etats-Unis dans la région.

 

 

SOURCES :

 

1 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/australie/evenements/article/declaration-conjointe-de-partenariat-strategique-rehausse-entre-la-france-et-l

 

2 Discours d’Emmanuel Macron à Sydney : http://www.elysee.fr/videos/new-video-281/

 

3 Discours d’Emmanuel Macron à Sydney : http://www.elysee.fr/videos/new-video-281/

 

4 https ://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/australie/evenements/article/declaration-conjointe-de-partenariat-strategique-rehausse-entre-la-france-et-l

 

5 Discours d’Emmanuel Macron à Sydney : http://www.elysee.fr/videos/new-video-281/

 

6 https ://www.ouest-france.fr/normandie/cherbourg-en-cotentin-50100/sous-marins-naval-group-accueille-l-australie-pour-le-contrat-du-siecle-5126406

 

7 https ://www.ouest-france.fr/normandie/cherbourg-en-cotentin-50100/sous-marins-naval-group-accueille-l-australie-pour-le-contrat-du-siecle-5126406

 

8 http://www.defence.gov.au/whitepaper/2009/docs/defence_white_paper_2009.pdf

 

9 http://www.defence.gov.au/whitepaper/Docs/2016-Defence-White-Paper.pdf

 

10 https ://www.ouest-france.fr/normandie/cherbourg-en-cotentin-50100/sous-marins-naval-group-accueille-l-australie-pour-le-contrat-du-siecle-5126406

 

11 https ://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/des-sous-marins-francais-vendus-a-l-australie

 

12 https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/des-sous-marins-francais-vendus-a-l-australie

 

13 Discours d’Emmanuel Macron à Sydney : http://www.elysee.fr/videos/new-video-281/

 

14 https ://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/enjeux-regionaux/la-france-presente-sa-politique-de-defense-en-asie-pacifique

 

15 https ://www.defense.gouv.fr/operations/rubriques_complementaires/carte-des-operations-et-missions-militaires

 

16 https://navaltoday.com/2018/04/12/australian-french-navies-exercise-at-sea/ 

 

17 https://www.corlobe.tk/article44784.html

 

18 http ://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2015/03/15/l-aide-commence-a-arriver-au-vanuatu-devaste-par-le-cyclone-pam_4593831_3216.html 

 

19 https ://www.defense.gouv.fr/ema/forces-prepositionnees/nouvelle-caledonie/dossier/les-forces-armees-en-nouvelle-caledonie

 

20 https://www.defense.gouv.fr/ema/forces-prepositionnees/nouvelle-caledonie/actualite/fanc-operation-de-lutte-contre-le-narcotrafic

 

21 http://www.defence.gov.au/Operations/SouthWestPacific/

 

22 Discours d’Emmanuel Macron à Sydney : http://www.elysee.fr/videos/new-video-281/

 

23 https ://www.defense.gouv.fr/dgris/presentation/evenements/revue-strategique-de-defense-et-de-securite-nationale-2017

 

24 Discours d’Emmanuel Macron à Sydney : http://www.elysee.fr/videos/new-video-281/

 

25 https://www.theguardian.com/australia-news/2018/may/09/in-australias-reduced-aid-budget-pacific-gets-lions-share

 

26 http://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/02/Asia-focus-61.pdf

 

27 http://nemrod-ecds.com/?p=1341

 

28 https://iapsdialogue.org/2018/05/10/paris-delhi-canberra-a-new-indo-pacific-axis/

 

29 https://www.defense.gov/Portals/1/Documents/pubs/2018-National-Defense-Strategy-Summary.pdf

 

30 https://www.meretmarine.com/fr/content/60-de-la-flotte-americaine-massee-dans-le-pacifique-dici-2020

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