Par François Gaüzère-Mazauric et Jean Galvé
Le 14 juillet 2015, après plus de dix années de négociations, l’Iran signait l’accord de Vienne et s’engageait sur quatre axes: la réduction des stocks et des capacités d’enrichissement d’uranium ; le blocage de la production de plutonium; l’autorisation d’un régime renforcé de contrôles et d’inspections; la coopération renforcée avec l’AIEA. L’accord, présenté comme une avancée diplomatique historique, trouvait toutefois de nombreux contempteurs pour le pourfendre ; parmi eux, Donald Trump accédait à la Maison Blanche.
Si, comme l’Agence Internationale à l’Energie Atomique l’a établi dans neuf rapports unanimes, l’Iran a jusqu’ici respecté ses engagements – la réduction aux deux-tiers du nombre de centrifugeuses jusqu’en 2025, la limitation de son stock d’uranium faiblement enrichi, l’absence de construction de nouveaux sites d’enrichissement – les détracteurs du JCPOA déplorent que les sunset clauses contenues dans l’accord soient limitées dans le temps.
L’absence de mesures relatives au programme balistique iranien constitue du reste selon les Etats-Unis une violation de l’esprit de l’accord. Il faut cependant bien comprendre que ce programme constitue tout ensemble un symbole de souveraineté, et un atout stratégique. Entre le 29 février et le 20 avril 1988, l’Irak lançait 118 missiles balistiques sur Téhéran, capitale impuissante qui voyait alors mourir nombre de ceux qui n’avaient pas fui. Cette apocalypse a déterminé la République islamique iranienne à se doter de capacités balistiques, essentiellement défensives. Atout stratégique, un tel armement constitue par ailleurs la pierre angulaire d’une doctrine de déni d’accès face aux forces aériennes des pays arabes, équipées d’avions occidentaux.
Si les Européens se sont dits inquiets des derniers développements balistiques iraniens, le gouvernement s’est montré inflexible à leur endroit ; l’observation des tests de missiles ayant révélé une recherche toujours plus grande de précision, il semblerait que ces essais aient une vocation conventionnelle et non nucléaire.
Il faut enfin craindre que l’accord de Vienne ne fasse sourdre une guerre économique entre les Etats-Unis et l’Iran, qui pourrait impliquer l’Europe. Les imprécations de Donald Trump, en créant un climat d’incertitude, empêchent que la levée des sanctions ne soit pleinement effective ; parmi les dirigeants d’entreprise interrogés par l’International Crisis Group, 70% affirment avoir retardé leur entrée sur le marché iranien ces dernières années, et 57% citent la peur d’un retour des sanctions américaines. Alors que la levée des sanctions semblait promettre à Téhéran une embellie économique, les incertitudes sur l’avenir de l’accord voilent les perspectives de croissance.
Il est au reste malaisé de prévoir la réaction européenne dans le cas où les Etats-Unis adopteraient unilatéralement de nouvelles sanctions contre Téhéran. C’est ici l’extraterritorialité du droit des deux rives de l’Atlantique qui est en jeu : en 1996, lorsque Washington avait décidé de sanctionner les entreprises commerçant avec Cuba, la Libye et l’Iran, le Conseil de l’Union Européenne avait adopté un règlement interdisant aux firmes européennes de se conformer à ces sanctions. La guerre commerciale pourrait donc être à nouveau déclarée.
Alors que l’alliance historique entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis était éprouvée par les suspicions de complaisance des monarchies sunnites à la suite des attaques du 11 septembre, le JCPOA apparaissait au mieux comme un « pivot historique », au pire comme un rééquilibrage des puissances régionales. Le pari iranien de Barack Obama, consistant à jouer la carte chiite contre l’extrémisme sunnite, s’est depuis fracassé sur la réalité de l’expansionnisme régional de Téhéran. Consolidant son emprise sur la Syrie et le Liban, au grand dam d’Israël, soutenant les rebelles houthistes chiites contre l’Arabie Saoudite, la République Islamique d’Iran a semblé profiter du répit qui lui était accordé pour avancer ses pions.
Le succès du rapprochement intercoréen semblé avoir galvanisé Donald Trump, convaincu de la pertinence de sa méthode « Fire and Fury ». L’appliquer au cas iranien serait une gageure, pour ne pas dire une folie. Le risque de prolifération nucléaire dans une région à l’instabilité chronique où l’exacerbation des rivalités entre sunnites et chiites d’une part, entre Israël et ses ennemis d’autre part, laisse craindre le pire.
L’accord de Vienne est sans doute un accord insuffisant et imparfait ; le rêve du « pivot iranien » s’est quant à lui révélé chimérique. Le JCPOA devrait donc être avant tout considéré comme un accord d’étape primordial pour limiter la prolifération nucléaire au Moyen-Orient, et comme un acte diplomatique pragmatique qui permet une réintégration partielle de la République Islamique d’Iran dans la communauté internationale.